Les IEP ont connu le mouvement "Sciences porcs", début 2021. CentraleSupélec, il y a deux ans, menait une enquête auprès de ses étudiants, qui l'a conduite à dénoncer des faits graves à la justice. C'est aujourd'hui l'Essec et l'université Paris-Saclay qui sont au cœur de l'actualité. Et toujours, la difficulté de trouver une réponse efficace et juste.
Un travail "long et difficile" pour mettre en place un dispositif fonctionnel
Aline Faes, responsable Vie du campus à CentraleSupélec, parle d'une "prise de conscience" de l'école et des étudiants, après la publication de la première enquête interne.
Loin d'éloigner les partenaires de l'école, Alexandrine Urbain, directrice de la Vie étudiante, témoigne du "soutien" reçu. "Nous avons eu des propositions d'aide spontanées, fortes et constructives", de la part des entreprises, mais aussi des alumnis. Car une fois le problème soulevé, la question de la mise en place de procédures adéquates pour y remédier demeure.
Dans l'école d'ingénieurs, cet électrochoc a ouvert la discussion autour du sexisme ordinaire et du manque d'ouverture aux femmes des carrières scientifiques. Mais le travail, "long et complexe", repose sur un nombre de personnes limitées.
Après l'enquête, CentraleSupélec a remarqué que son dispositif d'alerte n'était pas efficient puisque la plupart des faits, même graves, ne remontaient pas. Depuis, un partenariat a été créé avec l'association France Victime et une ligne est ouverte pour signaler des faits.
Des moyens insuffisants débouchant sur des "coquilles vides"
Après un scandale médiatique, "les établissements ne peuvent pas ne rien faire, alors ils mettent en place des dispositifs, mais la question c'est celle des moyens qui ne suivent pas derrière", constate Gaëlle Berton, secrétaire générale de l'observatoire étudiant des violences sexistes et sexuelles (VSS).
Cette association a mené une enquête qui révèle qu'un tiers des dispositifs d'écoute sont des coquilles vides. "Il n'y a aucune suite donnée aux dénonciations", déplore-t-elle.
En octobre 2021, le ministère de l'Enseignement supérieur annonçait un plan de lutte contre les VSS, doté de 7 millions d'euros, jusqu'en 2025. Un budget largement insuffisant pour Camille, du Collectif Clasches, collectif anti-sexiste de lutte contre le harcèlement sexuel dans l'enseignement supérieur, fondé dès 2002 pour lutter contre le harcèlement sexuel à l'université.
"Le fait que les dotations soient attribuées par appel à projets crée de la concurrence entre les associations et ne permet pas de développer des dispositifs pérennes". Pour Camille, "les chargés de mission égalité comme les personnes dans les cellules de veille n'ont pas de moyens, pas de feuilles de route, parfois même pas de décharge dans leurs heures de services. Même pleines de bonne volonté, elles doivent gérer énormément d'affaires difficiles, sans être préparées voire formées à y répondre. C'est épuisant et insatisfaisant."
Des formations et des initiatives pourtant mises en place
Toutefois ,"il y a eu un renforcement des formations, et davantage d'établissements ont pris le problème en charge", remarque Gaëlle Berton, mais le système pêche toujours. D'abord, lors du signalement, si la cellule d'écoute est interne, "et qu'au bout du fil il y a un fonctionnaire, il est obligé de dénoncer un crime ou un délit à la justice". Et ce, même si la victime ne le souhaite pas.
Pour cette raison, de nombreux établissements délèguent le début de la procédure à des associations extérieures, mais encore faut-il investir et les trouver.
"Quand l'enquête interne aboutit, le dossier est transmis au président, qui décide seul des suites à donner, explique Gaëlle Berton, ce qui est un problème car tous ne sont pas formés sur ces questions".
Pour l'étudiante, "les procédures disciplinaires ne sont pas conçues pour traiter des VSS : les victimes ne sont que témoins. Elles n'ont pas accès au dossier et ne seront pas toujours informées des suites".
Des réactions variées selon les établissements
Gaëlle Berton plaide pour une modification du code de l'Éducation afin d'évoquer explicitement des VSS. "Les sanctions - et il y en a peu - restent peu élevées". Les mesures conservatoires ne sont pas non plus systématiquement mises en place.
Mais il existe des différences entre les établissements, "certaines réagissent très vite" et "misent sur la transparence en publiant les sanctions".
À cet égard, la récente réaction de l'université Paris-Saclay fait figure d'exception. Alors qu'un étudiant de la faculté de médecine fait l'objet de plaintes pour des faits graves, notamment de viols, poursuivis au pénal, l'établissement a publiquement fait part de son désaccord concernant les sanctions prononcées par sa propre structure interne.
La section disciplinaire "a considéré que la plupart des faits étaient avérés mais que les circonstances plaidaient pour une sanction d’un an d’exclusion avec sursis", note l'université qui estime que cette réponse n'est pas assez forte, l'étudiant ayant pu passer ses examens.
L'université Paris-Saclay a donc décidé de contester cette décision devant le Tribunal administratif pour "erreur manifeste d’appréciation en raison d'une disproportion de la sanction au regard de la gravité des faits commis".
On le voit, les établissements marchent sur des œufs dans la mise en place de sanctions administratives. "Il faut faire preuve de pédagogie pour expliquer aux victimes et aux autres étudiants que nous ne sommes pas la justice", estime Alexandrine Urbain.
L'enquête administrative, menée avant une décision éventuelle de sanctions, nécessite des moyens. Menée à charge et à décharge, elle ne démontrera pas systématiquement la matérialité des faits.
Des étudiants qui souhaitent des réactions plus fortes
Même lorsque les procédures aboutissent à des sanctions, l'établissement n'est pas à l'abri d'une réaction du corps étudiant. C'est ce qu'il s'est passé à l'Essec.
Le collectif Les Méduses s'est monté pour contester la faiblesse de sanctions prises à l'encontre de deux étudiants accusés d'agressions sexuelles graves.
"Dans l'un des cas, il y a plusieurs plaignantes, et on nous dit que la sanction maximale est de deux ans d'exclusion. Il aura son diplôme", regrette Cha, du collectif, qui a lancé, fin avril, une pétition auprès des étudiants, avant d'organiser des manifestations devant l'école.
"On est obligés de passer par l'action publique parce qu'on est dans une impasse. On veut montrer que les étudiants sont indignés. Et il n'y a qu'avec des actions qui touchent à la réputation de l'école qu'on peut y arriver", observe-t-elle.
Parmi ses revendications, le collectif demande "des sanctions proportionnelles à la violence commise" avec exclusion définitive "en cas de viol ou d'agression sexuelle", et mention du motif dans le dossier pédagogique.
Il réclame également des délais plus courts de traitement des dossiers avec davantage de transparence sur les suites et une stricte séparation des volets judiciaires et disciplinaires.
Le collectif a été reçu à plusieurs reprises par la direction, qui "partage la plupart de ces revendications", assure Anne-Claire Pache, directrice de l'engagement sociétal de l'Essec.
Dialoguer pour faire comprendre les procédures
"Notre seul désaccord réside autour de la question des sanctions prises. Le conseil de discipline, composé de représentants étudiants, enseignants et administratifs s'est prononcé, en accord avec le règlement intérieur, à la suite d'une enquête. Les sanctions, de 11 mois et 24 mois d'exclusion, sont lourdes", ajoute Anne-Claire Pache.
L'Essec a mis en place un dispositif de prévention, en plus d'une plateforme de signalement. Quand les faits dénoncés sont graves, c'est un cabinet externe spécialisé qui mène l'enquête. "Nous avons créé beaucoup d'attente", considère Anne-Claire Pache, qui mise sur "le dialogue" pour faire comprendre les procédures.
Parfois, celles-ci sont suspendues pour laisser la place à l'enquête judiciaire, d'autre fois, elles prennent plus de temps que prévu, faute de disponibilité des cabinets extérieurs. "Nous sommes dans une logique d'amélioration continue, sur un sujet d'une très grande complexité", ajoute la directrice de l'engagement sociétal.
Si les répercussions médiatiques peuvent inquiéter les établissements, en revanche, les affaires de VSS ne semblent pas influer sur l'appui de leurs partenaires, publics et privés.
En matière de lutte contre les VSS, "il y a un décalage très fort entre l'affichage et la réalité sur le terrain, où les avancées restent assez faibles", déplore Camille. "Les échos médiatiques ont un impact direct puis que les établissements ne peuvent plus faire comme si le problème n'existait pas, complète Gaëlle Berton, mais le fond de la question reste : quels moyens on investit pour lutter réellement contre la violence ?"