D. Hissard (Campus France) : "Comme les frais différenciés ne sont pas appliqués, on se demande à quoi ils servent"

Pauline Bluteau, Amélie Petitdemange Publié le
D. Hissard (Campus France) : "Comme les frais différenciés ne sont pas appliqués, on se demande à quoi ils servent"
Donatienne Hissard, directrice générale de Campus France. // ©  Caroline Bleux
Après la décision du Conseil constitutionnel de censurer plusieurs articles de la loi immigration, dont la caution retour pour les étudiants internationaux, la directrice générale de Campus France, Donatienne Hissard, revient sur l'évolution de la stratégie d'accueil des étudiants étrangers initiée par le dispositif Bienvenue en France.

Depuis mai 2022, Donatienne Hissard est directrice générale de Campus France, agence officielle chargée de promouvoir l’attractivité de l'enseignement supérieur français auprès des étudiants internationaux.

Elle revient pour EducPros sur les effets du plan "Bienvenue en France", lancé en 2019, mais aussi sur les remous provoqués par la loi immigration et ses conséquences sur l'image de la France.

Quel bilan tirez-vous de la stratégie "Bienvenue en France", lancée en 2019 ?

Je suis frappée de voir que ce sujet de l'accueil a été pris à bras-le-corps par les établissements depuis la mise en place de cette stratégie. Globalement, il y a un effet positif, la progression du nombre d'étudiants est importante.

Rappelons que l'objectif de cette stratégie interministérielle est d'atteindre 500.000 étudiants étrangers en 2027. En 2022-2023, 402.000 étudiants étrangers sont inscrits dans l'enseignement supérieur français.

Quelles améliorations concrètes avez-vous constatées ?

L'attribution du visa long séjour valable un an pour les étudiants, la dématérialisation des procédures, notamment pour l’obtention des titres de séjour… Ce sont autant de progrès qui ont tout changé pour les établissements.

Il y a aussi eu des incitations de la part du gouvernement pour encourager les guichets uniques, le mentorat entre étudiants, le niveau d'anglais des personnels, les cours de français proposés aux nouveaux arrivants, etc. Cela a créé une dynamique.

Campus France intervient dans le partage de bonnes pratiques avec le label "Bienvenue en France". Il s'agit d'un processus sérieux d'évaluation de la qualité de l'accueil dans les établissements. Aujourd'hui, nous avons 153 établissements labellisés.

Que pourraient mettre en place les établisements pour mieux accompagner les étudiants internationaux ?

Le vrai sujet aujourd'hui pour les établissements, c'est la question des moyens et des capacités. Les établissements accompagnent très bien les étudiants.

Mais il y a encore une différence entre l'étudiant qui arrive en mobilité dite encadrée, c'est-à-dire dans le cadre d'un partenariat avec son établissement, et ce qu'on appelle le "freemover", c'est-à-dire la personne qui s'est inscrite en dehors de ces accords.

Les directions des relations internationales font un vrai travail d'accueil pour le premier. C’est pour le second type d’étudiant qu’il y a le plus d’efforts à faire.

Tout dépend aussi des établissements : d'après votre étude de juin 2023, les écoles d'ingénieurs semblent plus impliquées alors que les universités accueillent davantage d'étudiants étrangers. Pourquoi ?

À Campus France, nous promouvons tous les établissements en France, du public au privé. Les universités représentent une partie de l'enseignement supérieur qui fait référence à l'international car la plupart des étudiants étrangers, c'est vrai, se dirigent vers les universités. Nous avons une relation particulière avec elles, mais pas exclusive.

Il y a moins d'universités labellisées car c'est beaucoup plus complexe de monter un dossier de labellisation que pour une école de taille plus petite qui dégage aussi des moyens plus importants. Il y a un sujet de l'ordre de la gouvernance. La démarche d'une université pour se faire labelliser est plus remarquable, peut-être, qu'une école de commerce ou d'ingénieurs.

Quels sont aujourd'hui les freins à la mobilité pour les étudiants internationaux ?

Des obstacles, il y en a. Du fait, certainement, de la complexité de notre système éducatif. Il faut expliquer, orienter les étudiants, leur procurer de la documentation. Beaucoup s'imaginent aussi qu'on ne peut pas étudier en anglais en France, ce qui est faux.

Et puis, les coûts (des frais d'inscription, NDLR). Malgré ce que l'on pourrait croire en France, le coût désormais plus élevé des frais d'inscription (avant la stratégie "Bienvenue en France", les étudiants internationaux payaient des frais d'inscription similaires aux étudiants français, soit 170 euros pour une année en licence, NDLR) n'est pas un obstacle pour les étudiants étrangers puisque le nombre d'étudiants n'a pas chuté, au contraire.

La loi immigration nous a montré qu’il y a une unanimité sur la nécessité de cette internationalisation. Pour conforter notre système et le rendre plus compétitif, notamment dans le domaine de la recherche

Reste que la France affiche toujours des frais d'inscription faibles par rapport à d'autres pays d'accueil, ce qui provoque de la stupéfaction en Asie, par exemple (2.770 euros l'année pour étudier en France contre 20 à 40.000 livres sterling pour une année dans une université britannique, NDLR). Parce qu'il y a une méconnaissance de cet état de fait.

Enfin, il faut agir sur la perception de la France sur ses domaines de spécialité, notamment en sciences. Lorsqu'ils viennent étudier en France, les étudiants se dirigent vers le tourisme, l'art de vivre, ils sont dans une logique de niche.

Les frais différenciés seraient peu appliqués par les universités. Cette stratégie a-t-elle finalement eu l'effet escompté ?

C'est difficile de savoir s'il y a eu un effet d'attirance parce qu'il y a eu le Covid et parce que l'application reste minoritaire. On peut avoir l'impression que ces frais différenciés provoquent un rejet à l'étranger. Mais, au contraire, c'est très accepté dans les mœurs. En tout cas, il n'y a pas eu d'effet dissuasif.

En revanche, dans la mesure où ce n'est pas appliqué, on peut se demander à quoi cela sert. Car le financement pérenne des dispositifs d'accueil repose notamment sur les frais différenciés.

Le sujet est revenu sur la table à l'occasion de la loi immigration. La caution retour a finalement été censurée par le Conseil constitutionnel. Est-ce une bonne nouvelle ?

À Campus France, la décision du Conseil constitutionnel a été bien accueillie. Mais le sujet des frais différenciés et la caution retour, ce sont deux sujets différents. Notre inquiétude n'était pas située sur les frais différenciés car comme je le disais, cela est plutôt accepté. Avec la caution retour, le message était différent, je pense.

Nous comprenions que le projet était de favoriser le retour des étudiants dans leur pays, ce qui n'est pas nécessairement l'objectif recherché par les étudiants, ni par la France en les accueillant. Il y a des talents que la France peut avoir intérêt à accueillir et à intégrer. Avec cette caution, il y avait un impact contraire aux efforts consentis.

Nous pouvions aussi nous inquiéter des montants, car nous n'avions pas d'indications. Bref, cela signifiait une marche gigantesque à franchir

La loi immigration a provoqué des inquiétudes au sein de l'enseignement supérieur en France mais aussi chez les étudiants internationaux. Cela risque-t-il de fragiliser les mobilités ?

Il est incontestable que nous observons, pas seulement en France, une certaine forme de crispation au sujet de l'immigration, en général. Cette question est un trait de fond sur la mondialisation. C'est normal qu'il y ait des angoisses.

Souvent, les perceptions sont décalées entre ce qu'il se passe en France et ce que l'on entend à l'étranger. C'est tout un travail que nous allons faire pour expliquer que la loi a été censurée.

Craignez-vous d'autres propositions de loi similaires ?

Que se passera-t-il à l'avenir ? Nous n'en savons rien. Peut-être qu’il y aura une volonté de reprendre certaines dispositions, mais je ne la vois pas venir du côté du gouvernement, qui avait très clairement exprimé que ces dispositions n'étaient pas à son initiative. Sur le cap, il n'y a pas d'ambivalence.

En revanche, cette loi nous a montré qu’il y a une grande unanimité sur la nécessité de cette internationalisation. Pour conforter notre système et le rendre plus compétitif, mais aussi plus fort, notamment dans le domaine de la recherche.

Pauline Bluteau, Amélie Petitdemange | Publié le