C. Xuereb (Toulouse INP) : "Le mot Centrale n’est pas tabou bien que le projet initial soit arrêté"

Clément Rocher Publié le
C. Xuereb (Toulouse INP) : "Le mot Centrale n’est pas tabou bien que le projet initial soit arrêté"
Le projet de transformer Toulouse INP en Centrale Toulouse a été rejeté par le conseil d'administration de l'établissement. // ©  Fournie par témoin
Une déception pour certains, un soulagement pour d’autres. Le processus de transformation de Toulouse INP en Centrale Toulouse est désormais au point mort depuis le vote défavorable par le conseil d’administration de l’établissement, le 22 mai 2023. Catherine Xuereb, présidente de Toulouse INP, revient sur les enjeux de ce projet et les principaux blocages qu'il suscite.

Depuis quelques mois, l'Institut national polytechnique de Toulouse - et ses 4.300 étudiants - est au cœur de l'actualité. L'INP qui fédère six écoles d'ingénieurs - trois écoles fondatrices (INP-ENSAT, INP-ENSEEIHT et INP-ENSIACET) ainsi que trois écoles associées (INP-ENIT, INP-ENM et INP-PURPAN) - pourrait passer dans le giron des écoles Centrale, avec la création d'une école Centrale généraliste, aux côtés des six écoles de spécialité existantes. L'ensemble serait réuni sous Centrale Toulouse Institut.

Le projet, aujourd'hui suspendu, est porté depuis juillet 2022 par la présidente de l'INP, Catherine Xuereb, qui revient sur les enjeux du projet et ses perspectives, alors que la prépa intégrée de l'établissement évoluera dès la rentrée 2023.

Catherine Xuereb
Catherine Xuereb © Photo7

Quels sont les enjeux derrière la création d'une école Centrale à Toulouse et la transformation de Toulouse INP en Centrale Toulouse Institut ?

Il y a d’abord un enjeu qui relève de notre capacité à proposer aux élèves une offre de formation enrichie et plus diversifiée avec une formation d’ingénieur généraliste portée par la création d'une école Centrale dans notre établissement. Nous serions le premier établissement en France à proposer un caractère aussi symbiotique entre une école généraliste et des écoles de spécialité.

Il y a aussi un enjeu territorial très clair en termes d’attractivité. Nous n’avons pas d’école d’ingénieurs généraliste au sens centralien sur tout le territoire sud-ouest. Nous devons montrer notre capacité à amener les jeunes du territoire sur ce type de formation, qu’ils puissent y développer, pour certains, des projets, comme la création d’entreprise, ou s’insérer dans le monde socio-économique.

Nous n’avons pas d’école d’ingénieurs généraliste au sens centralien sur tout le territoire sud-ouest.

Nous avons aussi la volonté de développer l’apprentissage, même si cela est reporté à une année ou deux après l’ouverture du futur établissement, pour simplifier la mise en place de la feuille de route.

Nous devons aussi répondre aux attentes de la nouvelle génération et aborder les enjeux des transitions numérique et environnementale à la source, c’est-à-dire en étant capable de les insérer dans le contenu de nos formations à venir.

Ce projet "Centrale Toulouse Institut" s’inscrit également dans une politique de site. Comment comptez-vous y participer ?

Ce projet est une façon de contribuer à l’excellence de la politique de site par la formation et la recherche. Le label "Centrale" amène une reconnaissance indiscutable dans une politique de site que nous sommes en train de faire redécoller à Toulouse, avec l’université de Toulouse et le projet d’excellence Tiris.

Ce projet permettrait d’alimenter au meilleur niveau les laboratoires de recherche et de renforcer notre capacité à faire des partenariats avec le monde socio-économique.

Quel impact aurait ce projet sur les personnels de l'actuel INP Toulouse ?

Un passage du statut INP vers un statut d’école externe aux universités ne change rien pour les personnels, c’est un changement de statut extrêmement simple du point de vue institutionnel. Cela ne change rien, ni sur leur statut, ni sur leur prime, ni sur leur mission d’enseignement et de recherche.

La recherche a d’ailleurs été une question largement soulevée par les détracteurs du projet. Mais nous avons eu un soutien plein et entier de deux organismes de recherche, tutelles de nos unités mixtes de recherche, que sont l’INRAE et le CNRS. Peut-on croire que deux de nos organismes nationaux d’excellence puissent soutenir un projet qui nuirait à la recherche d’un établissement ?

Pourtant, lors du dernier vote au Conseil d’administration exceptionnel, le 22 mai, la majorité qualifiée n’a pas été atteinte. Comment expliquer cette opposition au projet ?

Il est souvent difficile de s'approprier un changement sans inquiétude. On a certainement encore du travail à faire pour mieux expliquer ce projet et lever les interrogations qui se manifestent. Certains campent sur le fait qu’il faut rester sur une offre de formations de spécialité, car les entreprises n’auraient besoin que de ce type de compétences.

Il y a aussi de fortes inquiétudes concernant Toulouse INP – ENSAT, l'école nationale supérieure agronomique de Toulouse. Même si elle a la singularité d’être rattachée au ministère de l’Enseignement supérieur, l’école a des liens avec le ministère de l’Agriculture qui estampille ce diplôme de formation d’ingénieur agronome. Certains craignent qu’avec le projet, il y ait une disparition de ce label d’ingénieur agronome.

Nous avons traité une à une ces interrogations jusqu’à ce que le décret du futur institut soit co-signé par le ministre de l’Agriculture. Nous avons aussi proposé que le directeur de l’école d’agronomie soit conjointement nommé par la ministre de l’Enseignement supérieur et le ministre de l’Agriculture. Mais peut-être devons-nous aller plus loin pour apaiser les craintes.

Parmi les principaux points d'attention des opposants au projet, il y a la question des frais d’inscription du nouvel établissement...

Dans le cadre du projet, les écoles de spécialité ne changent pas leur tarif. Cependant, la nouvelle école Centrale porte avec elle les droits d’inscription qui sont de 2.500 euros. Nous avons accompagné cette perspective d’une nécessité de déployer des mesures d’accompagnement social plus importantes qu’aujourd’hui.

Deux options nous intéressent. La première est d’inscrire une progressivité des droits d’inscription en fonction des revenus des familles, à la manière de Sciences po ou Paris-Dauphine, avec une gratuité pour les boursiers. La deuxième est de mettre en place des mesures pour accompagner ceux qui sont juste au-dessus du niveau des boursiers.

Quelles actions allez-vous mettre en place dans les prochaines semaines ?

Tout d'abord, il faut laisser du temps au temps. Puis nous allons demander aux écoles d’analyser la situation. On ne va rien s’interdire. Le mot Centrale n’est pas un mot tabou bien que le projet "Centrale Toulouse Institut" soit arrêté.

Il faut reconstruire des dynamiques, des synergies et le faire dans la mesure du possible, en évitant que ces dissensions soient sclérosantes.

Nous verrons les perspectives qui s’ouvrent après réflexion de la communauté, forcément ébranlée dans toutes ses composantes à la suite du vote.

L'ENSEEIHT, école de Toulouse INP, semble vouloir reprendre le projet. Un conseil exceptionnel de l'école s’est prononcé pour l’instruction d’un projet visant la création d’une école Centrale et d’une école de spécialité. Ce projet est-il viable ?

L’ENSEEIHT s’est exprimée sur son souhait d’instruire ce projet à son compte. Il est légitime pour cette école d’ingénieurs de se poser la question car le contenu de l’offre pédagogique centralienne doit essentiellement se construire à partir des formations et compétences de l’ENSEEIHT.

Elle souhaite s’emparer de cette réflexion pour savoir s’il y a une possibilité, à partir du travail fourni, de maintenir le projet centralien à Toulouse. Pour l’instant, il ne s’agit pas de construire une école Centrale en dehors de Toulouse INP mais la forme reste totalement à réfléchir.

Comment s'annonce la rentrée à Toulouse INP ?

Il n’y aura pas de statu quo. C’est un projet sur lequel on travaille depuis 18 mois. Il y a eu une production, une réflexion, sur les modalités de gouvernance, nos capacités à porter de nouveaux enjeux dans les formations. Il faut reconstruire des dynamiques, des synergies et le faire dans la mesure du possible, en évitant que ces dissensions soient sclérosantes.

Je pense que nous aurons besoin d’un appui extérieur pour nous accompagner. Il faut que nous ayons un regard externe qui permette de favoriser le dialogue et établir sereinement des modalités de travail. Cela passera par un ou deux cabinets extérieurs selon les besoins que l’on dessinera, les différentes formes d’accompagnement qui sont attendues par les personnels. Il faut que l’établissement mette en place une nouvelle feuille de route.

Le groupe des écoles Centrale est-il toujours engagé dans le projet ?

A 100%. Le groupe des écoles Centrale a été extrêmement fair-play et constructif. Il regrette comme nous ce vote du conseil d’administration. On va discuter avec eux de ce qu’il s’est passé et envisager la suite. Le groupe a décidé de maintenir avec une grande élégance les places qu’il avait proposé pour notre nouvelle Prépa T².

Actuellement, quelles sont vos relations avec le groupe INP ?

Très franchement, au point mort. Nous nous sommes arrêtés aux conclusions de la dernière assemblée générale, au sujet de la prépa. Nous avons une réunion prévue en juillet pour traiter de questions pratiques. Mais je n’ai pas eu de contact avec le groupe INP.

Que va-t-il se passer pour la Prépa T², classe préparatoire censée ouvrir aux cursus ingénieurs du futur Centrale Toulouse Institut ?

Cette classe préparatoire intégrée, qui aura 30 ans cette année, est sortie du système des prépa des INP. Avec la nouvelle Prépa T², les élèves qui vont entrer cette année auront accès à toutes les formations des écoles de Toulouse INP, et les écoles du groupe des écoles Centrale, qui proposent 20 places dont 10 par CentraleSupélec. C’est une grande première pour cette école de recruter par une classe prépa intégrée.

Le groupe est intéressé par le modèle de la prépa intégrée. On sait qu’elle recrute des élèves d’excellente qualité, avec un fort potentiel scientifique et une appétence pour les écoles d’ingénieurs généralistes. Ce genre de formation répond aux attentes d’une génération qui n’a plus envie d’aller en CPGE.

Clément Rocher | Publié le