Reportage

Au cœur de l’ESM Saint-Cyr-Coëtquidan : dans l’école des officiers

La formation physique et militaire est intensive à l’École spéciale militaire de Saint-Cyr-Coëtquidan qui compte une dizaine de filles parmi ses 125 élèves.
La formation physique et militaire est intensive à l’École spéciale militaire de Saint-Cyr-Coëtquidan qui compte une dizaine de filles parmi ses 125 élèves. © Laurent Guizard pour l'Etudiant
Par Maria Poblete, publié le 29 juin 2016
8 min

L’ESM (École spéciale militaire) de Saint-Cyr, à Coëtquidan en Bretagne, accueille chaque année 125 élèves. Ils y apprennent à commander et à servir. Trois ans d’instruction militaire et physique musclée et de formation théorique avec, à la clé, un diplôme d’officier et d’ingénieur.

Le camp de base est situé à 400 mètres de là, dans la forêt. Les tentes sont sommaires, faites de bâches. Elles abritent du vent et de la pluie qui s'abat souvent la nuit en cet hiver breton. Dans une petite clairière, 3 groupes d'élèves officiers travaillent, séparément. Sur le sol, chaque équipe a étalé une carte. Les petits bouts de bois, les tas de terre ou de mousse représentent les attaques et les positions de l'ennemi.

Les jeunes gens aux joues encore rondes mais grimées de peinture kaki, marron et noire, doivent faire face à plusieurs colonnes de soldats qui s'avancent vers eux. "Position, vérifiez que les postes A et B sont à l'abri." "Reçu, mon commandant." Lors de cet exercice, c'est Lola, 20 ans, troisième bataillon (première année), qui dirige ses supposés soldats, postés par 2, au bord de cette forêt boueuse dans laquelle ses hommes pataugent. Tout à l'heure, l'enseignant a vérifié que l'élève était bien munie de tous ses accessoires, jumelles, carnets, boussole.

Des premiers mois difficiles

Comme 125 jeunes gens (dont 15 filles seulement), Lola a choisi l'école de Saint-Cyr : "Je voulais servir et défendre mon pays, être utile et protéger." Sportive et très motivée, elle trouve que les premiers mois ont été intenses. "C'est éprouvant, surtout physiquement, raconte-t-elle, le programme est le même pour les filles et les garçons, il n'y a aucune différence de traitement, et c'est très bien ainsi !"

Les élèves du troisième bataillon (première année) partent sur le terrain au début du premier semestre, dans le camp de l’école.Les élèves du troisième bataillon (première année) partent sur le terrain dès le premier semestre. // © Laurent Guizard pour l'Etudiant

Les élèves ne jouent pas à la guerre. "C'est la guerre, et elle ne s'arrête pas à 20 heures par un bon dîner", insiste le chef de bataillon. Ce soir, au menu : ration en forêt, couronnée par une petite surprise…

Un entraînement physique intensif

Il est 16 h 30, la nuit tombe, la simulation de la journée prend fin. L'instructeur militaire attend les élèves pour une séance de renforcement musculaire "au naturel". "Ils feront des pompes, des abdos et des exercices en se portant entre eux et en utilisant les éléments de la nature, comme les troncs d'arbres, explique-t-il. Ils ne savent pas que je leur réserve une marche nocturne de 30 kilomètres, histoire de les pousser un peu, ils en sont capables." Le lendemain matin, du côté des bâtiments en dur, l'élève en charge de son bataillon est debout avant les autres. Il secoue ses camarades. À tour de rôle, ils s'entraînent à commander. C'est le principe de l'école.

Tout s'enchaîne vite : lit au carré, ménage, douche, rasage, habillement. Et rassemblement de la compagnie dans la cour. Il est 7 heures pile. Les jeunes sont droits comme des "i", leur chef s'adresse à la troupe, il revient sur le travail de la veille, donne le programme et les consignes de la journée. Aujour­d'hui, ce sera entraînement dans le gymnase, comme 4 fois par semaine. "On essaie de leur inculquer le dépassement de soi, le goût de l'effort et l'abnégation", insiste le chef de bataillon.

Apprendre le collectif

Dans le gymnase, les grappes de jeunes grimpent à la corde, 2 fois sans poser pied à terre, à la force unique des bras, ils sautent, enchaînent pompes, gainages et reprennent une course. Dans un autre coin de la salle, un groupe s'entraîne au handball. "Oui, c'est intensif, admet le major Régis, moniteur d'entraînement militaire et sportif. Ils doivent être les meilleurs, les plus résistants, prêts à supporter le stress tout en continuant à commander."

La fatigue est un mot banni du vocabulaire. Les six premiers mois de formation militaire forgent le caractère. "On acquiert une force morale, remarque Sébastien, 22 ans, premier bataillon (troisième année). On n'est pas en compétition les uns contre les autres.Il y a un bel esprit d'équipe parce que devenir officier, c'est apprendre le collectif, avoir un objectif commun."

Adopter l'esprit militaire

"L'école ressemble à un campus américain. C'est joli, mais on ne traîne pas sur les gazons, on n'a pas le temps ! précise Romain, 21 ans, deuxième bataillon. On est déjà à l'armée. Tout est soumis aux règles militaires : nous surveillons le camp, chaque cours commence par le salut et, le lundi, nous chantons la Marseillaise."

Le lieutenant-colonel Catherine commande le troisième bataillon de Saint-Cyr. "Lorsqu'ils adoptent leur tenue, ils deviennent aussitôt 'Saint-Cyriens', explique-t-elle. Les élèves de deuxième année les accueillent, les aident à appliquer les règles de la vie militaire et leur transmettent les traditions." Jocelyn, 21 ans, est en première année. Il assiste à son premier cours de tir au pistolet automatique. Bien positionné, en compagnie de quatre autres camarades de promotion, casque sur les oreilles, il s'applique. "Le maniement des armes fait partie de nos études, je le savais en passant le concours, et je découvre que j'aime tirer", reconnaît le jeune homme. Arrivé ici après avoir étudié au lycée national militaire de La Flèche dans la Sarthe (72), il se dit "très motivé, surtout pour la défense du pays".

Accepter la discipline

Le capitaine Amaury est instructeur. Il trouve les jeunes "exigeants et brillants. Ils ont besoin d'être stimulés intellectuellement, physiquement aussi : ils sont voraces, avec une énergie incroyable et un idéal colossal." Sara, 21 ans, première année, confirme : "L'essentiel, c'est la motivation. Après, on gère la fatigue, les kilos à porter pendant les marches, les courtes nuits avec les réveils à l'aube, il faut accepter la discipline, c'est ce qui fait l'efficacité d'une bonne armée." Les élèves rebelles n'ont pas leur place.

Exercices militaires, tir, rations, marches, renforcement musculaire. Ils doivent d’abord être de bons soldats avant d’apprendre à commander.Exercices militaires, tir, marches. Les élèves doivent d’abord être de bons soldats avant d’apprendre à commander. // © Laurent Guizard pour l'Etudiant

Internes, ils quittent peu le camp. Au premier trimestre, ceux du troisième bataillon ont bénéficié de deux permissions de week-end. Les consignes sont strictes : lever à 6 heures, lit au carré, draps aérés, ménage fait, rasage, uniforme propre et tenue parfaite. Un oubli d'une consigne, un réveil raté, un retard de trois minutes et la punition tombe. "Nous entrons dans un moule et nous devons savoir obéir aux ordres. C'est la première chose un peu étrange pour un étudiant qui arrive d'une école civile", reconnaît Rémi, 22 ans, en deuxième année. "Celui qui n'a jamais eu de contact avec le milieu militaire peut être surpris", prévient Carole, 22 ans.

L'importance des cours théoriques

Les stages d'aguerrissement et l'entraînement physique ne sont pas suffisants. Le métier d'officier s'apprend aussi dans les salles de cours. Topographie, stratégie, histoire-géographie, sciences, langues : les enseignements englobent toutes les matières. Certaines sont communes aux deux filières de l'école, sciences de l'ingénieur et sciences sociales : l'histoire, par exemple.

Ce matin, le cours "frontières et renseignement" porte sur le projet de barrière anti-migrants à la frontière hongroise et l'espace Schengen. Deux professeurs l'animent. "La guerre est un phénomène complexe, ils doivent apprendre énormément en peu de temps, indique Amaël Cataruzza, maître de conférences en histoire-géographie. Ils sont passionnés et savent où ils vont. Ils avancent vite."

Parmi les enseignants, on trouve des militaires et des professeurs civils, universitaires et chercheurs. "La formation humaine est l'un des piliers de l'école, indique le chef d'escadron, Bruno. Nous leur inculquons un savoir-être pour en faire des meneurs. C'est quand même un métier dans lequel on peut dire à ses hommes : "Suivez-moi, on va mourir."

Se former à l'ESM de Saint-Cyr
- Le concours d'entrée dans le cycle ingénieur est accessible aux jeunes de moins de 22 ans, issus des classes préparatoires aux grandes écoles ou détenteurs d'une licence (bac+3). Quelques places sont réservées aux moins de 25 ans, détenteurs d'un master 2 (bac+5).
- Les élèves suivent l'une des 3 filières, à dominante scientifique ("sciences de l'ingénieur") ou sociale ("sciences de l'homme et de la société"). Ils sont rémunérés pendant leurs études et sortent avec un diplôme d'ingénieur. À l'issue de leur scolarité, ils sont incorporés dans un régiment avec le grade de lieutenant. Les études qui durent 3 ans sont organisées par semestre : 4 semestres de formation académique et 2, d'enseignement militaire. Des stages à l'étranger sont obligatoires, dont un stage "d'aguerrissement" en Guyane, dont le but est d'obtenir le brevet de moniteur des techniques commando.
- L'ESM fait partie des écoles de Saint-Cyr-Coëtquidan, qui comprennent également l'École militaire interarmes et le quatrième bataillon (école de formation de stagiaires) de l'ESM de Saint-Cyr.

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