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Tocqueville : qu’est-ce que le despotisme doux ?

Tocqueville despotisme
Tocqueville despotisme © -
Par La cellule contenu de l’Etudiant, publié le 27 juin 2023
6 min

Tocqueville et son « despotisme doux » ont beau remonter au XIXe siècle, ils sont toujours d’actualité. Alors pour briller en cours et lors de votre prochain repas de famille, découvrez ce que signifie ce concept majeur de la pensée politique libérale !

Dans quel contexte Alexis de Tocqueville a-t-il parlé de despotisme doux ?

Homme politique, historien et philosophe français de la première moitié du XIXe siècle, Alexis de Tocqueville a posé pour la première fois le concept de despotisme doux dans son ouvrage intitulé De la démocratie en Amérique, composé de 2 livres. Le premier livre est publié en 1835. Il analyse, de façon plutôt descriptive, le système démocratique des États-Unis. Le second paraît 5 ans plus tard et adopte une approche nettement plus critique. Alors qu’à travers le monde de nombreux pays adoptent un modèle social et politique de plus en plus démocratique et égalitaire, Tocqueville dégage les potentielles dérives de ces évolutions. C’est à l’occasion de ce second tome qu’il formule le concept de despotisme doux.

 

L’écriture de cet ouvrage découle d’un voyage de Tocqueville aux États-Unis en 1831, expédition initialement consacrée à l’analyse du système pénitentiaire américain et qui dura 2 ans. L’ancienne colonie britannique avait acquis son indépendance depuis 1776 et l’historien français est fortement intrigué par la forme inédite de démocratie qu’elle a adoptée. Comme Abraham Lincoln la décrira plus tard, en 1863, celle d’un « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ».

 

En parallèle, l’Europe a connu une vague de révolutions. Celles-ci ont apporté leurs lots de questionnements philosophiques et sociétaux à propos des différents systèmes de gouvernance possibles. Souvent initiées par le peuple, ces révoltes sont motivées par l’amélioration des libertés civiques et des égalités. Elles s’effectuent au détriment des monarchies dont le déclin s’est amorcé en 1789 avec la Révolution française.

 

C’est donc dans ce contexte que De la démocratie en Amérique est publié, avant de rencontrer un succès retentissant en Europe et aux États-Unis.

Despotisme doux : la définition de Tocqueville

L’expression de « despotisme doux » imaginée par Tocqueville décrit un risque inédit face aux nouvelles démocraties qui s’instaurent aux 4 coins du globe. Selon lui, un grand individualisme découlera logiquement de ces sociétés plus égalitaires. L’indifférence des citoyens envers leurs semblables conduira alors à une « apathie générale », s’apparentant à une forme de consentement envers la tyrannie des figures tutélaires.

 

Après avoir mûri de nombreuses réflexions autour de la démocratie, le penseur français dépeint sa crainte du despotisme doux dans le dernier chapitre du second livre de De la démocratie en Amérique. Au cœur des bouleversements de son époque, il affirme clairement « vouloir imaginer sous quels traits nouveaux le despotisme pourrait se produire dans le monde ». Tandis que la révolution industrielle transforme la planète entière, il compare les citoyens vivant en démocratie à un « troupeau d'animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger ».

 

Dans son ouvrage, Alexis de Tocqueville insiste particulièrement sur ce qui oppose les désirs de liberté et d’égalité. Il estime que les plaisirs individuels nourriront le besoin absolu d’égalité, quitte à sacrifier la liberté sur l’autel d’un État autoritaire. Il s’agit certes d’une servilité douce, pour reprendre sa formule, mais cette docilité des individus contribue néanmoins à renforcer le despotisme. Ce dernier peut paisiblement exercer une sorte de chantage au bien-être, à l’ordre et à l’égalité.

 

Les considérations politico-philosophiques de Tocqueville trouvent encore un écho aujourd'hui. Siècle après siècle, le péril du despotisme doux a ressurgi dans les discours d’intellectuels et d’hommes politiques. Au XXe siècle, par exemple, l’individualisme sera ironiquement au cœur des critiques visant le capitalisme made in USA. Tocqueville avait par ailleurs prophétisé une opposition entre les blocs américain et russe.

Comment lutter contre le despotisme doux selon Tocqueville ?

Alexis de Tocqueville a exercé une sincère admiration pour la démocratie, indépendamment de ses origines aristocratiques ou de sa carrière politique (il a notamment été ministre des Affaires étrangères d’Odilon Barrot, un monarchiste libéral). S’il a émis plusieurs craintes quant aux dérives possibles des nouvelles formes démocratiques, ce système politique demeurait à ses yeux le meilleur des compromis.

  

Bien conscient de la complexité des questions de gouvernance, il extrait les failles potentielles de la démocratie égalitaire, malgré l’enthousiasme qu’il porte au modèle américain. Il considère cependant que des solutions sont trouvables : face à la conformité sociale, il souligne l’importance de la diversité des opinions et de l’autonomie des citoyens.

  

Tocqueville conseille de contrecarrer l’individualisme au moyen de liens sociaux tenaces, réclamant à chaque citoyen de s’investir personnellement dans la vie publique. Pour alimenter le sens des responsabilités et la conscience politique, Tocqueville fait l’éloge des actions collectives. Menées à une échelle locale, elles peuvent s’exprimer par le droit de se regrouper en association ou l’entraide entre voisins, favorisant ainsi une décentralisation du pouvoir. Il admire d’ailleurs la force du tissu local qu’il a pu constater de l’autre côté de l’Atlantique : « Les Américains de tous les âges, de toutes les conditions, de tous les esprits, s’unissent sans cesse. [...] ils ont des associations commerciales et industrielles auxquelles tous prennent part, [...] s’associent pour donner des fêtes, fonder des séminaires, bâtir des auberges, élever des églises, répandre des livres, envoyer des missionnaires aux antipodes; ils créent de cette manière des hôpitaux, des prisons, des écoles. »

  

D’autres libertés, comme celle de la presse ou de culte, joueront un rôle fondamental dans la démocratie de Tocqueville : elles encouragent le développement de convictions individuelles. En l’occurrence, la religion contribue aussi à rendre les hommes moins matérialistes et plus moraux, en plus de servir d’intermédiaire entre les citoyens et l’État.

   

En résumé, le discours de Tocqueville sur le concept du « despotisme doux » aboutit à une défense fervente du droit à la liberté. Tocqueville est fermement convaincu que la liberté constitue le meilleur rempart contre les excès engendrés par l'égalité en démocratie, autre droit essentiel, mais à fort potentiel liberticide.

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