Coronavirus : les établissements en mode gestion de crise

Elsa Sabado Publié le
Coronavirus : les établissements en mode gestion de crise
A Rennes 2, comme dans tous les établissements du supérieur, l'objectif est d'assurer les fonctions vitales de l'université. // ©  Guillaume Le Néouanic
Grandes écoles et universités ont dû passer en mode "gestion de crise" à l'annonce de la fermeture des établissements du supérieur, jeudi 12 mars. Continuité pédagogique, question sociale, recrutement, examens de fin de cursus, recherche... Têtes de réseaux et dirigeants d'établissements témoignent de la manière dont le Covid-19 a tout changé.

La pandémie mondiale : le scénario n'avait pas été anticipé par l'EDHEC, qui, accompagné par un cabinet de gestion de crise depuis quatre ans, avait pourtant essayé de se préparer à tous les périls. Obligés de rapatrier les étudiants envoyés en échange en Chine, universités et grandes écoles ont vu monter la vague à partir de la mi-janvier. Le 12 mars, lorsqu'Emmanuel Macron a annoncé la fermeture des établissements du supérieur à la télévision, les cellules de veille et autres "taskforce" gérées jusque-là par les directions des relations internationales des établissements ont dû muter en véritables cellules de crise.

Des cellules de crise pour assurer la continuité

Ces cellules sont tenues par les principaux dirigeants qui s'adjoignent, en fonction des sujets à traiter, les directions nécessaires. "Systèmes d'information, infrastructures, gestion des paies... il s'agissait d'assurer les fonctions vitales de l'université", résume Olivier David, président de Rennes 2. A l'université de technologie de Troyes, les chercheurs de l'institut sur la sécurité globale et l'anticipation apportent leurs compétences à la direction. A l'EDHEC, le directeur général est tenu à distance de la cellule de crise, afin qu'il garde "la tête froide". Leur cellule de crise comprend un "historien" qui prend des notes pour revenir sur cette expérience plus tard.

A l'ordre du jour des cellules, les plans de continuité de l'activité, les "process" pour maintenir les principales fonctions de l'université, qui dormaient bien souvent jusque-là au fond des tiroirs. Sauf peut-être à Rennes 2 et Lyon 2, où l'on a, concède-t-on, accumulé un véritable savoir-faire "de crise" au fil des blocages d'universités. Au maximum un mois, en 2018, pour Rennes : rien de comparable avec le tsunami auquel ont dû faire face ses personnels en mars 2020.

L'enseignement à distance au centre de la pédagogie

Premier défi à relever : le passage des cours en "distanciel". "On en parlait depuis des lustres, on a dû le faire en trois semaines, pour ne pas dire en un week-end", atteste Jacques Fayolle, directeur de Telecom Saint-Etienne et président de la Conférence des directeurs des écoles françaises d'ingénieurs (Cdefi). Maintenir des cours traditionnels par vidéo perdrait les étudiants, les cours doivent être repensés, séquencés, rythmés. QCM, exercices, comptes-rendus, supports vidéo ou audiovisuels, et même "Business games"... D'ordinaire marginaux, les dispositifs de télé-enseignement deviennent centraux.

Les établissements promeuvent l'utilisation de Moodle, Claroline, ou, plus sophistiqué, Renater auprès de leurs personnels et étudiants, mais sont souvent distancés par les géants américains Zoom ou Discord, moins sécurisés. "On a observé dans les premiers jours une sorte d'excitation autour de ces outils", atteste Jacques Fayolle. Son homologue pour les écoles de commerce, Alice Guilhon est soulagée : "La peur du black-out s'est finalement révélée infondée".

Le Covid-19, révélateur de la fracture sociale et numérique

Ce passage en distanciel a un effet révélateur sur la fracture numérique, patente surtout dans les universités. Les établissements ont dû recenser les problèmes de leurs étudiants, en matière d'équipement informatique, de taille de forfait, ou de difficulté de connexion, par le biais de sondages mail... et de campagnes massives de SMS.

A Rennes 2, 17% des 3.500 étudiants qui ont répondu à l'enquête lancée par l'université le 26 mars déclaraient rencontrer des difficultés pratiques pour suivre leur scolarité durant le confinement. L'université a opté pour le prêt de ses propres ordinateurs, et débloqué un fond de 10.000 euros pour acheter des cartes SIM de 50 GO. La Cdefi serait à l'origine d'une négociation entre le ministère de l'Enseignement supérieur et les opérateurs pour augmenter les forfaits étudiants, vaines pour le moment.

Rapidement, les établissements du supérieur ont aussi dû faire face aux difficultés sociales de leurs étudiants. Perte de "job", de gratification de stage ou de salaire d'alternant, 1.000 étudiants avaient demandé à bénéficier de l'aide de 50 euros proposée par l'université de Rennes le lendemain de son annonce. De son côté, l'EDHEC a déjà levé 200.000 euros auprès de sa fondation, et une campagne du même montant est en cours. Les établissements semblent accorder une attention particulière aux étudiants étrangers hors Erasmus, particulièrement vulnérables aux difficultés financières et au sentiment de solitude.

Des examens sous le signe de la bienveillance

Côté examens, pas question de pénaliser les étudiants en difficulté. L'université de Rennes 2 a demandé aux enseignants de transformer leurs examens en devoir maison. A Lyon 2, une exemption d'assiduité a été étendue à tous ceux qui le voulaient, et une seconde session d'examens sera organisée en juin afin d'allonger les révisions des élèves qui n'auraient pas été prêts en mai. Les M2 et licence pro, dont l'évaluation dépend du stage, auront jusqu'à décembre 2020 pour valider leur année scolaire.

Dans les écoles d'ingénieurs et de commerce, les examens battent leur plein, sous forme de QCM, de travaux en "open book" ou d'oraux en visio. "Nous sommes garants de la qualité des diplômes, qu'on se refuse à brader, mais nous sommes tous dans un esprit de bienveillance", assure Jacques Fayolle.

La recherche aussi souffre du coronavirus

Moins visible que l'enseignement, la recherche pâtit particulièrement du Covid-19. D'abord, parce que pour ceux dont l'étude nécessitait un travail de terrain, c'est le chômage technique. Finies les enquêtes, les chantiers de fouille, les expériences sur les machines, les après-midis aux archives. Adieu aussi, au moins jusqu'en septembre, aux colloques. Sans compter l'augmentation de charge de travail provoquée par les cours en distanciel, qui écarte de leurs manuscrits ceux qui sont aussi enseignants.

Soutenances de thèses et d'habilitation à la recherche ont été différées. "Pour ceux qui ont vu leurs travaux de recherche retardés par le Covid-19, va se poser la question d'un rallongement de leur financement", concède Nathalie Dompnier. Le coronavirus et ses conséquences sont aussi des objets de recherche : des chercheurs de Lyon 2 participent au collectif de travail interdisciplinaire de la MSH Alpes, tandis qu'à Rennes 2, le laboratoire de psychologie LP3C travaille sur la perception du Coronavirus.

Tirer les enseignements de la crise

Les dirigeants d'établissements que nous avons interrogés semblent "agréablement surpris" par la réactivité avec laquelle leurs personnels aussi bien que leurs étudiants ont fait face à la crise du Covid-19. "Si élèves et professeurs vont apprécier le retour au contact réel, on se souviendra de ses avantages, l'expérience du basculement en distanciel sera réinvestie", poursuit-il.

Tous regardent désormais vers la prochaine année scolaire : faudra-t-il remettre en place les distanciations sociales à la rentrée, et le cas échéant, comment ? Les budgets des écoles privées, vivant de la formation continue, ne seront-ils pas trop impactés par la crise économique ? Les chaires financées par les entreprises continueront-elles de l'être ? Les échanges étudiants avec les pays étrangers se poursuivront-ils et comment ? Comme le dit Thomas Maurer, directeur de la formation à l'UTT : "C'est le moment de passer du sprint au marathon".

Elsa Sabado | Publié le