L'Alliance Centrale-Audencia-Ensa Nantes, l'interdisciplinarité en mode projet

Cécile Peltier Publié le
L'Alliance Centrale-Audencia-Ensa Nantes, l'interdisciplinarité en mode projet
L'ambition du deuxième édition du hackathon City Lab ? Imaginer les interactions entre habitants, drones et robots dans la ville de demain. // ©  © A. Mahot / Audencia
Portée en mai 2014 sur les fonts baptismaux après deux décennies de coopérations et plusieurs revirements, l'Alliance Centrale-Audencia-Ensa s'est installée dans le paysage nantais. Simple association, elle se veut une structure légère au service de l'hybridation des trois établissements. Retour sur un mode de coopération assez unique, à l’occasion du Before d’EducPros, organisé à Nantes le 23 novembre 2017.

Nous avons besoin de post-it, peut-on en commander pour les trois écoles ?" Dans la salle aux murs gris perle du nouveau Médiacampus de Nantes, une dizaine de représentants d'Audencia et de Centrale Nantes sont réunis ce jeudi 9 novembre 2017 pour régler les derniers détails pratiques du deuxième hackathon City Lab Alliance Centrale-Audencia-Ensa.

Les 16 et 17 novembre, puis 8 décembre 2017, une centaine de futurs ingénieurs, managers, communicants et architectes issus des trois établissements plancheront sur des problématiques proposées par dix entreprises partenaires, comme Capgemini, le CHU de Nantes ou "Ouest France". Avec une ambition : imaginer les interactions entre habitants, drones et autres robots dans la ville de demain.

Une thématique d'actualité, au croisement des expertises des trois écoles. Après le succès de la première édition, le concept de City Lab vient d'être repris par Nantes Métropole, qui souhaite le décliner. Une belle reconnaissance pour les fondateurs de l'Alliance.

Vingt ans de coopération à géométrie variable

Si la naissance officielle de l'Alliance date de mai 2014, les trois institutions nantaises coopèrent depuis plusieurs décennies. "Quand je suis arrivé en 2004 à la tête d'Audencia, l'école accueillait déjà chaque année une quarantaine d'élèves de Centrale dans sa majeure entrepreneuriat. Cela fonctionnait bien, les élèves se connaissaient et c'était notamment un moyen d'augmenter le nombre d'entreprises fondées", se souvient Jean-Pierre Helfer, qui a dirigé l'école de commerce de 2004 à 2010.

Alors qu'à partir de 2006, les Pres (pôles de recherche et d'enseignement supérieur) se mettent en place, Centrale et Audencia multiplient les collaborations (double diplôme ingénieur-manager, mastère en marketing, design et création, programme d'ouverture sociale Brio...) et se rapprochent de l'École des mines de Nantes. Objectif : renforcer l'hybridation des compétences et s'imposer comme une pièce maîtresse au niveau régional dans le cadre du Pres Nantes Angers Le Mans comme au plan national.

En 2010, Centrale, les Mines et Audencia créent NAMTech (Nantes Atlantic Management Technology), un GIE (groupement d'intérêt économique) ambitionnant d'être le "premier consortium français conjuguant l'ingénierie et le management dans le domaine de l'enseignement supérieur". À la clé : des cursus mixtes, un incubateur commun et des tonnes de projets dont un programme postbac ingénieur-manager, un MBA, un doctorat... Le rapport d'activité 2010 d'Audencia mentionne même la possibilité d'une prochaine "signature d'une convention de rattachement d'Audencia à Centrale Nantes". "Une idée engageante, qui a ensuite été abandonnée en raison de difficultés techniques et politiques", confie un bon connaisseur du dossier. 

Quant à l'École des mines, elle a passé son chemin : "L'association à l'École centrale n'était pas possible : nous n'avions pas la même tutelle ministérielle. Par ailleurs, nous étions engagés dans une autre réflexion qui s'est traduite depuis par une fusion avec Télécom Bretagne au sein de l'IMT Atlantique", explique à EducPros Stéphane Cassereau, directeur des Mines de Nantes de 2001 à 2011.

Une alliance à deux, puis à trois

Au début des années 2010, Frank Vidal, directeur d'Audencia et son collègue de Centrale, Arnaud Poitou, partagent de bonnes relations et une vision commune. En mai 2014, ils fondent l'Alliance, rejoints en 2015 par l'Ensan (École nationale supérieure d'architecture de Nantes). L'école d'architecture est déjà une partenaire privilégiée et son nouveau directeur, Christian Dautel, un fervent partisan de cette coopération.

Pas de fusion ni d'accord stratégique, mais une association, présidée à tour de rôle par les établissements."Sans la fusion, on évite les questions qui fâchent comme : 'Qui mange qui ?' Et on ne perd pas les référents nationaux et internationaux", déclarait alors Franck Vidal, directeur général d'Audencia Group à EducPros.

Alors qu'en 2013, la loi Fioraso donne naissance aux Comue et que les écoles de commerce, en quête de taille critique, fusionnent, les trois établissements défendent alors un croisement des compétences au service des métiers de demain.

Ne pas avoir d'équipe dédiée permet une vraie implication des personnels des trois établissements, sachant que l'Alliance n'est qu'un facilitateur.
(J.-P. Elloy)

Une structure légère

Trois ans plus tard, malgré quelques raideurs, des différences de fonctionnement et de culture, et des mobilisations des établissements à géométrie variable selon les sujets, la formule semble fonctionner. "Le fait de ne pas avoir d'équipe dédiée permet une vraie implication des personnels des trois établissements, sachant que l'Alliance n'est qu'un facilitateur", assure Jean-Pierre Elloy, délégué général de la structure et ancien professeur de Centrale, qui assure depuis 2016 la mise en œuvre et la coordination des décisions adoptées par le comité de pilotage.

Le budget alloué à l'Alliance est réduit – en 2018, il devrait atteindre 320.000 euros, dont 100.000 pour l'incubateur –, pour un coût complet évalué en réalité entre 4.5 et 4.8 millions d'euros, car les actions sont essentiellement menées grâce à la mutualisation des moyens et des compétences.

C'est le cas notamment de la communication, où Audencia, bien outillée, a partagé son savoir-faire. Les trois écoles ont développé des supports communs (site Internet, newsletter, etc.). "Notre alliance est identifiée et nous pouvons communiquer facilement à travers elle. Elle est suffisamment légère pour travailler sans passer du temps à régler des questions de gouvernance", estime Emeric Peyredieu du Charlat, directeur d'Audencia.

Des doubles cursus nombreux et bien intégrés

À l'exception des élèves ingénieurs, qui ont tendance à déserter la filière ingénieur-manager au profit de business schools anglophones avec lesquelles Centrale a tissé des partenariats, les doubles diplômes de l'Alliance continuent de faire le plein d'étudiants. Au point de s'imposer, grâce à une communication efficace, comme un vrai "élément de différenciation".

Pionniers à leur lancement, ils gardent aujourd'hui l'avantage de l'antériorité par rapport à la concurrence, garantie d'un bon niveau de qualité et d'une certaine reconnaissance auprès des entreprises. Prochaines étapes : la création de summer schools et d'un cursus triplement diplômant.

Des semaines banalisées pour tous les étudiants

Les passerelles entre établissements se sont également multipliées via le développement d'options ou de spécialisations communes, comme "urbanistic" ou"phycité" proposées aux élèves de Centrale en partenariat avec l'Ensa, ou de la majeure-option "management digital", issue de la rencontre entre ingénieurs et managers.

CityLab, Mobiance, Arfitec, challenge du monde des grandes écoles... Année après année, les établissements ont pris l'habitude des candidatures groupées aux concours et manifestations et lancé des évènements ouverts aux étudiants des trois écoles, dont la "semaine blanche" est sans doute à ce jour l'exemple le plus ambitieux. "En 2016, nous avons lancé un appel à projets auprès des professeurs des trois écoles ; l'idée était d'amener les étudiants à vivre l'Alliance", souligne Valérie Claude-Gaudillat, directrice de l'innovation d'Audencia et membre du comité de pilotage de l'Alliance.

Pari gagné : pour la première fois, en mars 2017, plus de 1.000 étudiants ont travaillé ensemble sur la notion de la ville de demain. Une prouesse logistique – pas facile de bloquer trois jours dans l'emploi du temps des trois écoles – et une rencontre réussie. "À la fin de la semaine, les étudiants avaient dépassé leurs préjugés et étaient surpris par la richesse des projets", souligne Jean-Pierre Elloy. Un moyen aussi pour la trentaine d'enseignants mobilisés d'apprendre à se connaître.

Pédagogie : des échanges de plus en plus nombreux

Depuis deux ans, plusieurs fois par mois, un noyau d'une soixantaine d'enseignants, ingénieurs pédagogiques et autres bibliothécaires des trois établissements, se retrouve pour des retours d'expérience au sein du Grip (Groupe de réflexion sur l'innovation pédagogique). "Nous pensions que cela allait progresser très timidement mais cela marche très bien", se réjouit Christian Dautel.

Ce groupe, né à l'initiative d'une poignée d'enseignants, invite une fois par an un grand témoin à s'exprimer à l'occasion de la journée de l'innovation pédagogique de l'Alliance. L'idée ? Partager dorénavant les compétences au sein de la communauté. Pendant plusieurs mois, Loïc Touzé, chorégraphe et maître assistant à l'Ensa, animera un atelier de média training à destination des personnels des trois établissements. Un exemple d'initiative "bottom-up", tout à fait dans l'esprit affiché par l'Alliance, que Jean-Pierre Elloy "aimerait voir se généraliser".

Un incubateur ouvert sur son territoire

Le terrain de l'entrepreneuriat n'échappe pas non plus aux mutualisations. Depuis sa création en 2003 par Audencia, l'incubateur, élargi en 2013 à Centrale, puis, en 2015, à l'Ensa, a accompagné près de 120 projets et contribué à la création de 95 entreprises. Sa force ? Des expertises et des réseaux complémentaires, un vrai savoir-faire (les premières incubations à Centrale remontent au début des années 1980) et une "cible différenciante" – l'incubateur à vocation essentiellement technologique s'adresse aux étudiants et aux diplômés des écoles, mais également aux enseignants-chercheurs, ainsi qu'aux industriels désireux de monter des start-up dans la région.

Sur le terrain de la recherche, présentée à la création de l'Alliance comme un sujet phare, les mutualisations restent relativement timides. Le laboratoire AUU (Ambiances architecture urbanité), unité mixte de recherche du CNRS associant les Ensa de Grenoble, de Nantes et Centrale, explore avec dynamisme la notion d'ambiance architecturale, avec notamment des résultats en matière de modélisation de réalité augmentée des bâtiments. "Les établissements ont décidé de mettre des moyens dessus, et les chercheurs ont réalisé l'intérêt de travailler ensemble", se félicite Jean-Pierre Elloy.

L'activité du laboratoire R'NB LAB (Centrale-Audencia), qui s'est notamment matérialisée par la codirection de trois thèses en sciences de gestion est "plus mitigée dans le temps", faute de nouveaux sujets. Mais rien de dramatique ni de vraiment surprenant : par nature, les thématiques, les politiques et le financement de la recherche sont très différents d'un établissement à l'autre.

Peu de convergences à l'international

Sur le plan de l'international, les mutualisations de moyens et des partenaires envisagées aux origines n'ont pas vu le jour. Chacun a sa propre politique et ses réseaux", plaident les différentes parties. Centrale et l'Ensa ont ainsi choisi de s'implanter à l'île Maurice, et Audencia à Shenzhen (Chine).

Dans ce domaine, le patron d'Audencia, Emeric Peyredieu du Charlat, se veut pragmatique : "Nous développons actuellement des formations communes à Shenzhen avec l'École de design, mais on pourrait en théorie faire la même chose avec l'Ensa. Quant à une implantation à Maurice, nous n'irons par principe parce que c'est l'Alliance ! Je pense que le marché est un peu étroit et nous mettons déjà beaucoup d'énergie sur la Chine !"

Avec l'Isite, nous parlons structure, colonne vertébrale de l'enseignement supérieur et de la recherche du territoire, quand l'Alliance est une réponse agile qui part du terrain et ne coûte pas cher. Donc, nous devons concrétiser les deux.
(S. Houël)

Besoin d'un nouvel élan ?

Au quotidien, gérer les rapports humains est la principale difficulté que rencontre Jean-Pierre Elloy : "Il faut réussir à concilier les points de vue, sachant qu'il y a par endroits des guerres intestines et que l'Alliance a perdu deux personnes emblématiques à quelques mois d'intervalle."

Fin 2015, le départ de Franck Vidal, puis, en août 2017, le débarquement d'Arnaud Poitou sur fond d'ajournement de l'Isite, ont été vécus par beaucoup comme des coups durs. Et même si l'administrateur provisoire, Armel de la Bourdonnaye, a jusqu'ici, de l'avis général, parfaitement assuré la continuité des activités de l'Alliance, l'heure n'est pas aux grandes prises de décisions. "En ce moment, l'Alliance vit sur ses acquis en attendant la nomination du nouveau directeur de Centrale", soupire Christian Dautel.

Une chose est sûre : sur un territoire aussi dynamique que celui de la métropole nantaise, le projet d'Alliance semble plus que jamais d'actualité. Et conciliable, au moins sur le papier, avec les dynamiques de regroupement régionales. "Nous ne nous situons pas au même niveau. Avec la Comue et l'Isite [porté par l'université, Centrale, le CHU et l'Inserm autour de la santé du futur] nous parlons structure, colonne vertébrale de l'enseignement supérieur et de la recherche du territoire, quand l'Alliance est une réponse agile qui part du terrain et ne coûte pas cher. Donc, nous devons concrétiser les deux, sachant que l'une peut avoir un effet d'entraînement sur l'autre", analyse Stéphanie Houël, vice-présidente (LR) enseignement supérieur, recherche et innovation du Conseil régional des Pays de la Loire. Attachés à une vision ouverte de l'Alliance, Centrale, l'Ensa et Audencia veulent toutes voir dans l'Isite une nouvelle opportunité sur le plan académique et un accès facilité à l'université.

L'Alliance doit-elle aller plus loin dans les années qui viennent, et s'ouvrir à d'autres établissements comme l'École de design ou les Beaux-Arts ? "C'est une structure simple, qui fonctionne, je ne vois pas l'intérêt de l'élargir, sachant que l'Alliance n'est pas exclusive", indique pour sa part Emeric Peyredieu du Charlat.

Dans les prochains mois, les partenaires devraient également être amenés à aborder la question de la gouvernance de l'Alliance, dont Christian Dautel fait une des priorités : "Chaque directeur siège au conseil d'administration des autres, mais nous devons sans doute aller plus loin en matière d'intégration, comme dans la circulation de nos enseignements ou la mise en d'un réseau d'alumni commun." Les pistes possibles d'approfondissement de la coopération ne manquent pas. Et ce qu'en pensera le nouveau directeur de Centrale – Arnaud Poitou se porte à nouveau candidat – sera déterminant.

Premier Before d'EducPros à Nantes le 23 novembre

EducPros organise le 23 novembre à Nantes, en partenariat avec Audencia, la première édition des "Before", un événement pour les décideurs de l’Enseignement supérieur, à la veille de notre salon de L’Etudiant.

Dans un lieu à la pointe de l’innovation, les responsables de l’enseignement supérieur de la région sont invités à échanger autour d’une table ronde sur le thème "Interdisciplinarité, innovation pédagogique, hybridation : comment et où former les leaders de demain ?"

Cécile Peltier | Publié le