Olivier Faron : "En formation continue, c'est une révolution culturelle dont l’université a besoin"

Camille Stromboni Publié le
Olivier Faron : "En formation continue, c'est une révolution culturelle dont l’université a besoin"
Pour Olivier Faron, l’apprentissage doit devenir une voie d’entrée dans l’enseignement supérieur, et non plus seulement un mode de formation qui intervient en fin d'études. // ©  Dircom Cnam L. Benoit
Rédacteur en chef invité d'EducPros, Olivier Faron commente l'actualité de janvier 2016. Pour l'administrateur général du Cnam, la formation continue doit passer en tête des priorités des universités, tandis que l'apprentissage ne peut plus se limiter à un mode de formation de fin d'études dans l'enseignement supérieur.

Formation continue : "il faut lever les blocages"

"Le gouvernement a décidé de soutenir le développement de la formation continue dans les universités. Le rapport "Germinet" et l’expérimentation lancée dans une douzaine d’établissements pour aller plus loin suscitent une dynamique extrêmement positive.

Le Cnam participe au groupe de pilotage de cette expérimentation. Sans vouloir faire de plaidoyer pro domo, je tiens à souligner que lorsque nous construisons des formations avec les universités, comme à Strasbourg, ça marche ! Nous avons, en tant qu’établissements publics de formation, des atouts notables : la qualité et la pérennité.

Bien sûr, deux ou trois emplois attribués à ces universités "pionnières" ne changeront pas tout, mais c’est une amorce. Il s’agit de montrer que les établissements publics sont capables d’être performants dans le secteur de la formation continue. Et de profiter de cette occasion pour lever les blocages et les verrous qui persistent.

Car c’est une révolution culturelle dont nous avons besoin. La formation continue doit passer en tête des priorités des universités. Avec un travail de conviction à mener pour que les enseignants-chercheurs, évalués essentiellement sur des critères scientifiques, deviennent plus proactifs en la matière. Cela suppose de mettre sur la table les questions des dispositifs d’intéressement, d’heures complémentaires ou de droits d’auteurs pour ceux qui conçoivent ces modules et s’investissent dans ce domaine.

La formation continue ne permettra pas de progresser dans le classement de Shanghai. Mais elle répond à une question qui me semble bien plus urgente : celle du chômage.

Cette phase expérimentale va également permettre de trouver un modèle de structuration pour cette activité dans les établissements, en allant vers le stade ultime de la création de filiale. Tout en effectuant les simplifications administratives nécessaires pour être plus agile. Car le marché de la formation continue est de plus en plus concurrentiel.

En revanche, soyons très clairs : la formation continue ne permettra pas de progresser dans le classement de Shanghai. Elle constitue un formidable outil d’intégration sociale et répond à une question qui me semble bien plus urgente : celle du chômage. Shanghai, c’est bien, mais le plan "500.000 formations" pour les chômeurs, c’est mieux !"

Cnam

"L’apprentissage doit devenir une voie d’entrée dans l’enseignement supérieur"

"La question de l’apprentissage est un cruciale dans l’enseignement supérieur. Mais pas forcément comme on l’entend sans arrêt : il faut arrêter de considérer ce mode de formation uniquement comme un outil qui arrive en fin de cycle. Avec zéro risque, ni pour les établissements, ni pour les entreprises qui s’en servent pour prérecruter, en fin de master notamment. C’est une dérive.

Quand on voit la situation très difficile d’un grand nombre de jeunes pour réussir dans l’enseignement supérieur, il y a une campagne urgente à mener : l’apprentissage doit devenir une voie d’entrée dans l’enseignement supérieur, dans toutes les filières.

L’enjeu est majeur : les taux d’échec des bacheliers professionnels sont plus qu’inquiétants dans les filières générales de l’enseignement supérieur. Nous savons qu’il n’y a pas assez de places pour eux en BTS. Et nous ne leur offrons actuellement aucune chance de réussir. Nous ne pouvons plus laisser à l’écart toute une partie de la société française. L’apprentissage est l’une des réponses à apporter.

Je prends l’exemple de l’école Vaucanson, qui accueille des bacheliers professionnels. Son succès repose sur deux ingrédients : pour moitié, la pédagogie inversée, le choix de faire confiance au jeune et d’en faire un acteur de sa formation. Pour l’autre, l’apprentissage. Nous avons un seul frein aujourd’hui : le goulot d’étranglement des entreprises, qui ne sont pas assez nombreuses à accepter de prendre des jeunes en apprentissage.

Cette relance de l’apprentissage à l’entrée de l'enseignement supérieur doit donc aussi être défendue dans le monde des entreprises, pour qu’elles se mobilisent. Un ensemble de mécanismes de soutien de l’État peut les y encourager. En faisant également passer le message qu’au-delà de la pré-embauche, l’apprentissage a tout son intérêt pour un jeune qui commence ses études. C’est la seule manière d’amener des profils véritablement différents dans son entreprise, avec une forte plus-value."

L'École Vaucanson à Saint-Denis (93) propose des licences générales en apprentissage à des bacheliers professionnels

"Tout établissement appartiendra demain à un environnement que l’on appelle ‘université’"

"Les écoles d’ingénieurs du pôle universitaire Lyon-Saint-Étienne ont décidé de faire une alliance. Cette question de la structuration des établissements d’enseignement supérieur reste fondamentale. L’ensemble des forces convergent contre l’éparpillement catastrophique du territoire français : après les PRES (pôle de recherche et d’enseignement supérieur), les Comue ont pris le relais.

Il nous reste à construire le bon modèle. Et le cas fédéral lyonnais est intéressant. Ce projet entre écoles d’ingénieurs, au sein de l’Université de Lyon, illustre ce que l’on ne fait pas assez : des rapprochements à des niveaux inférieurs sur lesquels s’appuyer, au sein de structures plus larges. C’est Berkeley au sein de l’université de Californie. Il nous faut trouver le bon équilibre entre les niveaux de construction. Tout en étant vigilant : l’interdisciplinarité, et le souffle porté par la Comue en ce sens, ne doit pas se perdre.

Quoi qu’il en soit, il faut affirmer encore plus fortement l’idée que tout établissement appartiendra demain à un environnement que l’on appelle 'université'. Sans que cela n’empêche les écoles de continuer à exister, au contraire.

#CARTEBLANCHE :  Des bachelors, et après ?

Plusieurs écoles d’ingénieurs se lancent dans la création de Bachelors. L’École polytechnique projette d’en créer un également. Diversifier les modes d'obtention de diplôme est une bonne chose dans un monde qui ne cesse de bouger. Mais il faut être vigilant. Les règles du jeu doivent être les mêmes pour tous les opérateurs du service public.

Si un établissement s’engage dans la création de ce niveau bac + 3, il doit s’engager aussi à mettre en place un parcours de poursuite d’études, permettant d’atteindre le niveau supérieur, en l’occurrence celui du titre d’ingénieur. Évidemment, pour les jeunes qui le souhaitent et qui en ont les compétences, au rythme le plus adapté.

D’autant plus que ces Bachelors sont présentés comme une manière de faire entrer dans les écoles de nouveaux profils, comme les bacheliers professionnels et technologiques : il n’est pas possible de n’ouvrir cette porte qu’à moitié !"

Camille Stromboni | Publié le