Frédérique Vidal : "L’objectif des établissements, c’est la réussite de leurs étudiants"

Pauline Bluteau, Dahvia Ouadia Publié le
Frédérique Vidal : "L’objectif des établissements, c’est la réussite de leurs étudiants"
La ministre de l'Enseignement supérieur, Frédérique Vidal, revient pour Educpros sur les réformes en cours. // ©  Bruno LEVY/CHALLENGES-REA
Si les établissements d'enseignement supérieur restent fermés au public jusqu'à la rentrée prochaine en raison de la crise sanitaire, les réformes quant à elles continuent d'être rondement menées. EducPros a souhaité faire un point d'étape avec Frédérique Vidal, ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche.

Depuis plus de trois mois, la France et le monde traversent une crise sanitaire inédite qui a notamment des conséquences sur l'enseignement supérieur. En France, les établissements ont fermé leurs portes aux étudiants dès le 16 mars basculant du jour au lendemain dans un mode à distance.

Après avoir fait le point sur les impacts de la crise sur le supérieur pour EducPros, Frédérique Vidal, ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, revient sur plusieurs réformes qu'elle a menées dans le supérieur, dans une nouvelle interview. Au gouvernement depuis mai 2017, cette ministre n'a cessé de multiplier les réformes. Sa mission : remettre les étudiants au cœur du système éducatif en favorisant leur orientation et leur réussite. Dans un entretien, EducPros a cherché à savoir si le pari était bel et bien tenu.

À votre arrivée au gouvernement, vous aviez annoncé qu’il n’y aurait pas de loi Vidal. Trois ans plus tard, plusieurs réformes ont vu le jour et certaines sont encore en cours. D’où vient cette volonté de changement ?

Toutes ces réformes ont été construites avec les établissements qui eux-mêmes se rendaient compte qu’il fallait que l’on sorte de la situation dans laquelle on était à l’été 2017 : le tirage au sort sur APB, l’organisation rigide en licence, l’enjeu de professionnalisation, la question des études de santé…

Ce sont des questions prégnantes pour les établissements. Ils ont pris les sujets à bras le corps avec un objectif en tête : la réussite des étudiants. Ma mission était de leur donner tous les outils nécessaires pour y parvenir sans rien exiger d’eux. Cette volonté de réussite a guidé toutes les réformes et c’est pour cela qu’avec les moyens supplémentaires mis en place, les établissements s’en emparent et la vie des bacheliers est transformée.

La réforme du lycée aura d’ailleurs des impacts certains sur l’enseignement supérieur. Comment travaillez-vous avec le ministre de l’Education nationale ?

Nous avons un lien permanent avec Jean-Michel Blanquer car nous portons la même conviction : l’orientation est quelque chose qui dure dans le temps, ce n’est pas une décision unique. La confiance en soi et la maturité varie d’un jeune à l’autre, tout ce qui a été mis en place dans le supérieur pour mieux connaître l’étudiant se produit maintenant au niveau du lycée.

Avec cette réforme, les lycéens font des choix qui correspondent à leurs aspirations. Même s’ils changent d’avis pendant leurs études supérieures ce n’est pas grave car nous pourrons leur proposer des formations adaptées dans le premier cycle. Il y a quelques années, si vous n’aviez pas fait un bac S, vous n’aviez aucune chance de réussir des études de santé. Aujourd’hui, avec l’ouverture des L.AS (licences avec option "accès santé"), les jeunes peuvent se projeter dans les métiers de la santé même s’ils ont été attirés par d’autres champs disciplinaires que ceux enseignés en série S. Tout cet accompagnement remet l’élève au cœur du système.

Les formations vont devoir s’adapter à ces changements et se préparer à avoir des profils plus diversifiés. Mais c’était aussi une demande de leur part. Je reconnais que c’est une petite révolution parce que c’était plus simple de choisir un étudiant en se basant sur sa série mais la réalité est que les jeunes et leurs capacités à se former sont différents.

Parcoursup a été un changement majeur depuis votre arrivée au gouvernement. La plateforme fonctionne mais elle reste critiquée pour son manque de transparence. Qu’en pensez-vous ?

Je comprends ce besoin de transparence mais je rappelle qu’à la rentrée 2017, on tirait au sort les étudiants. Où était la transparence ? Parcoursup est un système qui doit constamment s’améliorer. Cette année, nous avons demandé aux établissements de préciser leurs critères. C’est une façon d’améliorer encore la transparence. Si l’année prochaine il y a de nouveaux besoins, nous ferons évoluer la plateforme.

Concernant les algorithmes locaux et l’outil d’aide à la décision proposé aux établissements : imaginer que le choix des étudiants se fasse dans un processus automatisé, c’est nier l’objectif même de la réforme qui vise à mieux connaître les étudiants pour que les formations puissent s’adapter à eux.

Nous devons casser ce schéma pour que l’étudiant soit capable de se projeter dans l’avenir avec optimisme.

Il y a une sorte de fantasme sur le fait que les enseignants n’aiment pas les étudiants et que faire quelque chose d’automatique va nous arranger mais ce n’est pas du tout l’objet et la philosophie de la réforme. Au-delà de ces outils, il y a le choix de la délibération du jury et je vous assure que les jurys ont de vraies discussions sur le profil des étudiants, cela n’a rien d’algorithmique.

La loi ORE a instauré les parcours "oui si". Or, la création de ces dispositifs n’est pas obligatoire au sein des universités. N’avez-vous pas envisagé de mettre un cadre pour avoir des dispositifs plus homogènes ?

On ne peut pas comparer deux universités parce que toutes n’accueillent pas le même public. Dans la démarche, j’ai indiqué que tous les établissements devaient se mettre en ordre de marche pour atteindre un objectif simple de réussite : avoir moins d’abandon en première année de licence et avoir plus de jeunes qui sortent de l’enseignement supérieur avec un diplôme.

Pour moi, un jeune qui réussit, c’est un jeune qui arrive à l’université, qui pensait aimer les maths et qui se rend compte qu’il préfère la chimie. Il se réoriente en conservant toutes les compétences déjà acquises, sans pour autant qu’on lui dise : "Tu as raté, tu es nul". Nous devons casser ce schéma pour que l’étudiant soit capable de se projeter dans l’avenir avec optimisme.

Avec les parcours "oui si", j’ai demandé aux établissements de créer des dispositifs, adaptés à leur public, pour atteindre cet objectif de réussite. Certains ont privilégié des licences en deux ans, d’autres des parcours aménagés et d’autres encore des licences en quatre ans. Mais aujourd’hui, nous ne pouvons plus raisonner en termes de durée d’obtention de diplôme pour évaluer la réussite des étudiants. On ne doit pas rester enfermé sur cette particularité du système français qui veut que plus on obtient ses diplômes jeunes, mieux c’est. Le processus LMD est la norme mais il y a des personnes intéressantes qui peuvent apporter beaucoup sans être dans cette norme. Nous devons prendre soin de tout le monde.

Je ne souhaite pas qu’il y ait des jeunes qui se fourvoient dans des écoles qui peuvent être extrêmement chères.

Nous allons donc faire un bilan sur les dispositifs "oui si". Pour l’instant, nous nous sommes rendu compte qu’il y avait autant de résultats que d’établissements. Notre but est de parvenir à fixer quatre ou cinq critères qui permettront de savoir pourquoi certains établissements ont atteint leur objectif plus rapidement que d’autres. Cela prend du temps.

Vous avez rendu possible l’accès au grade licence de certaines formations, notamment aux écoles privées, pour quelles raisons ?

C’est tout simplement le fruit d’une observation. Dans notre système actuel, seules les universités délivrent des diplômes nationaux et jusqu’à présent, certaines écoles pouvaient délivrer le grade master, mais pas celui de licence. Ouvrir un établissement supérieur en France ne nécessite pas d’obtenir un label de l’Etat. Il y a certaines écoles avec lesquelles le ministère travaille et d’autres établissements privés que nous ne contrôlons absolument pas. Aujourd’hui, nous leur disons : "Vous acceptez un regard de l’Etat sur la formation que vous donnez et en échange, vous avez un grade." Cela sécurise les familles et les jeunes.

Je ne souhaite pas qu’il y ait des jeunes qui se fourvoient dans des écoles qui peuvent être extrêmement chères, avec des familles qui se sacrifient pour leurs enfants et qu’à la fin, ils se rendent compte que la qualité et le résultat ne sont pas au niveau de leurs attentes. Parfois, nous sommes dans une logique de "plus c’est cher, plus la formation doit être de qualité" mais on oublie que le système français est construit sur un système de solidarité.

Tout ce travail de clarification, nous l’avions déjà mené avec les EESPIG, des établissements privés non lucratif d’intérêt général. ​Nous le poursuivons aujourd'hui avec ce grade licence qui permettra aux jeunes de savoir, parmi tous ces diplômes de bachelor que de plus en plus d'écoles proposent, ceux qui bénéficient d'un label de l'Etat compte tenu de leur qualité académique.

Nous avons donc conduit tout un travail avec la CGE pour que le grade soit uniquement donné aux écoles qui accepteront d’être évaluées par l’Etat afin de garantir la qualité de la formation dispensée.

Dernière réforme en cours : celle des études de santé. Comment comptez-vous accompagner les universités ?

L’arrivée des L.AS et des PASS (parcours spécifiques "accès santé") est une énorme transformation. En effet, autoriser l’accès aux études de santé dans tous les établissements a eu pour effet de doubler le nombre de sites où les étudiants peuvent démarrer leurs études de santé. Ils ne seront plus obligés de quitter une ville moyenne pour aller dans une métropole.

Ils seront également en capacité d’interagir avec les autres disciplines et les autres professions car ils auront étudié plusieurs champs disciplinaires pendant leur formation. Le système est aussi conçu pour que l’étudiant passe en deuxième et troisième années de licence, y compris s’il n’a pas réussi le concours. On sort donc d’un système où après deux années difficiles, l’étudiant devait reprendre ses études à bac+1.

Concrètement, les établissements ont tous joué le jeu et s’y préparent. Pour l’instant, on ne peut donc pas dire que les PASS sont la voie royale pour remplacer la PACES. Il me semble tout de même que dans une L.AS, tout est conçu pour que la progression en cas d’échec soit naturelle. Dans le modèle PASS, il y a des outils qui permettent de se réorienter plus facilement mais on ne garantit pas du tout qu’au final l’étudiant qui a échoué deux fois sera en troisième année d’une quelconque licence. Vraisemblablement, chacun des deux types de parcours trouvera son public.

Les établissements doivent avancer à leur rythme et c’est important qu’ils soient accompagnés financièrement. Nous avons déjà investi 25 millions d’euros.

Pauline Bluteau, Dahvia Ouadia | Publié le