Reportage

Au cœur du lycée Pierre-de-Fermat de Toulouse : chez les cracks des prépas

L'escalier du bâtiment "les Jacobins", emprunté exclusivement par les élèves de prépa pour rejoindre les salles de cours.
L'escalier du bâtiment "les Jacobins", emprunté exclusivement par les élèves de prépa pour rejoindre les salles de cours. © Christian Bellavia / Divergence pour l'Étudiant
Par Isabelle Dautresme, publié le 28 avril 2015
1 min

Doté de façades en briques roses, d’un porche en bois du XVIe siècle et d’une vue plongeante sur le cloître de l’église des Jacobins, l’ancestral lycée Pierre-de-Fermat, à Toulouse, accueille 950 préparationnaires, entre tradition et bienveillance.

Une fois franchi le porche de l'imposant lycée Pierre-de-Fermat, qui accueille 2.000 élèves en plein centre de Toulouse (31), les étudiants des différentes CPGE (classes préparatoires aux grandes écoles) doivent montrer patte blanche au concierge, traverser la cour du lycée, longer le réfectoire commun à tous les élèves avant de parvenir à "l'espace réservé" aux prépas, là où deux bâtiments en briques roses se font face, à l'ombre du clocher de l'église des Jacobins.

D'un côté l'internat, de l'autre les salles de classe, et une vaste cour comme trait d'union. Au sol, on devine les lignes fanées d'un terrain de foot. "Les jeux de ballon ne sont autorisés que le soir ou à l'heure du déjeuner, quand personne n'a cours", précise l'énergique CPE (conseillère principale d'éducation), Marie-José Gibrat. Ici, on travaille !

Se dépasser

Avec leurs taux de réussite élevés aux concours des grandes écoles, les classes prépas du lycée Fermat tiennent à leur réputation. Pas question, pour autant, de faire des élèves des bêtes à concours. "La préparation aux épreuves d'admissibilité aux grandes écoles est prétexte à une formation intellectuelle et morale exigeante qui va bien au-delà d'un simple bachotage", assène, entre deux cours, Patrick Dupouez, professeur de philosophie.

Confortablement installée dans sa chambre, avec "vue sur cour", qu'elle partage avec une "coloc toute neuve", Louise, en khâgne (seconde année de classe prépa littéraire), partage cet avis. "Je fais tout pour intégrer Normale sup. Mais si je ne suis pas reçue, ce n'est pas grave, j'aurai appris à travailler et je me serai dépassée intellectuellement", glisse la jeune fille, qui hésite encore entre devenir professeure de lettres ou professeure de mathématiques.

En première année, les internes ne choisissent pas leur coloc. En revanche, en deuxième année, si !

Entraide et écoute

Avec ses trois étages et ses couloirs qui ouvrent sur des chambres de deux élèves, plutôt lumineuses, l'internat possède des faux airs de grosse demeure familiale, malgré ses 300 pensionnaires. "On se connaît tous, au moins de vue, et on s'entraide beaucoup", souligne Louise. Situés au rez-de-chaussée du bâtiment, les bureaux de la vie scolaire jouxtent l'infirmerie. Un lieu névralgique : "Les crises d'angoisse et les problèmes existentiels figurent en tête des motifs de ‘consultation’", note Vincent, assistant d'éducation, les yeux cernés d'avoir veillé les internes toute la nuit.

Marie-José Gibrat avance une explication : "Nous avons affaire à des élèves qui ont toujours été en tête de classe. Ils vivent parfois très mal de voir leurs notes dégringoler et d'être éloignés de leur famille." Les premiers mois en prépa sont les plus difficiles.

Point de ralliement des étudiants de prépa, la cour de récréation leur permet de taper dans une balle ou de faire une pause en prenant l'air.

Des professeurs "couteaux suisses"

"La plupart des abandons ont lieu au cours des premières semaines, après ils sont très rares", confie la CPE. Pour limiter les "échecs", à la mi-semestre, en novembre, elle reçoit, avec un membre de l'équipe pédagogique, les étudiants en difficulté. "Le plus souvent, cet entretien suffit à les relancer", explique-t-elle.

Et "quand nous sentons une fatigue, nous n'hésitons pas à alléger la charge de travail", fait valoir Fabrice Lombrez, professeur de mathématiques, qui profite de la récréation pour photocopier des exercices pour ses étudiants. "Notre mission ne se limite pas à la transmission d'un savoir, nous devons accompagner nos élèves, les réconforter", renchérit Estelle Provost, sa collègue en lettres.

Ce qui est d'autant plus important que "les préparationnaires sont de plus en plus fragiles psychologiquement", constate, sans vraiment se l'expliquer, Patrick Dupouez. "Au fond, nous sommes des couteaux suisses", résume Bernadette Brochet, professeure de latin. Tous sont très loin de l'image du prof de prépa distant et cassant.

Les internes arrivent au réfectoire entre 7 heures et 7 h 40, pour le petit déjeuner. Certains apportent aussi de quoi améliorer l'ordinaire.

Des grenouilles et des bourriquets

L'esprit de compétition, image qui colle si souvent aux classes préparatoires, ne semble pas non plus avoir franchi la lourde porte du lycée Fermat. La rentrée est à peine passée que, déjà, les "bizuts" sont pris en charge par les étudiants de deuxième année. L'objectif ? Transmettre les us et coutumes de chaque filière et créer ainsi un esprit de corps. Tout commence avec l'emblème.

À chaque classe le sien. "Poireaux et grenouilles", pour les deux classes de BCPST (biologie, chimie, physique et sciences de la Terre) – "Et n'allez pas demander pourquoi, personne ne sait !" commente un élève – ou "Drapeau du Burundi" pour les "MP star" (les maths-physique "étoile", autrement dit les seconde année qui se destinent aux concours les plus sélectifs). Dans la salle des PCSI2 (physique-sciences de l'ingénieur, seconde année), quelques étudiants se sont installés à l'heure du déjeuner pour "travailler au calme", précisent-ils, sous le regard des "bourriquets" (leur emblème) de toutes les tailles qui tapissent les murs.

Quand la plupart des étudiants déjeunent, d'autres sont en khôlle. Avec ces interrogations orales, fréquentes, ils peuvent vérifier leurs connaissances, voire consolider certains points.

Sous pseudo

Dans le couloir, un jeune homme interpelle "CR7", alias Sébastien, en PSI1. Lors de la semaine d'intégration, chaque étudiant ou presque se voit décerner un surnom et un titre auquel corres­pond un rôle. Mais chut ! c'est secret. "Les profs ne sont pas au courant, même ceux qui sont là depuis un moment", confie "Papy", Nermine dans le civil, en PSI1, tout en se servant un café à la machine plantée dans le hall des Jacobins (le bâtiment des salles de cours). Et Noa (le prénom a été changé à sa demande) d'ajouter : "Chez les littéraires, à chaque fois qu'un enseignant dit ‘rouge’ pendant le cours, l'étudiant dont c'est la mission doit hurler ‘du sang de l'ouvrier’."

Rumeur ou réalité ? Impossible de vérifier, le grand jeu étant de se moquer des autres filières. Surtout des "épiciers" (les étudiants des prépas économiques et commerciales). "Nous sommes un peu les souffre-douleur de tout le monde, ici, à commencer par les ‘taupins’ [les étudiants des filières scientifiques, NDLR]", témoigne Mégane, en seconde année d'ECS (économie-commerciale option scientifique). Pour "réconcilier" tout le monde, rien de tel qu'un petit DS (devoir sur table) le samedi matin. L'occasion pour chaque filière de pousser son cri de guerre – en latin pour les littéraires –, histoire de se donner du cœur à l'ouvrage.

Louise, étudiante en khâgne, est responsable du ciné-club. Au programme : un film tous les lundis soir.

Apprendre et mûrir

Pour intégrer le lycée Fermat et gagner le droit d'y faire ses "khôlles" (interrogations orales) dans les "turnes" (salles de khôlle), il faut avoir affiché de solides moyennes au bac – la plupart des étudiants ont eu une mention bien ou très bien –, mais aussi montrer que "l'on est prêt à avoir des résultats moins bons sans que chaque mauvaise note soit vécue comme une remise en question personnelle", explique Christine Pers, proviseure adjointe chargée des classes préparatoires.

Le plus difficile ? Accepter l'idée que l'on ne peut pas tout faire. "En terminale, il arrive un moment où l'on se dit que l'on a terminé. Ce n'est pas le cas ici. Psychologiquement, c'est parfois difficile", répond sans hésiter Rémi, en PSI étoile, la crème des crèmes. "Mais c'est moins dur que ce à quoi je m'attendais", nuance Mégane. "Parmi nos étudiants, tous n'intégreront pas Normale ou Polytechnique, mais il est fort probable qu'ils se souviennent de leur passage à Fermat", conclut Fabrice Lombrez, un sourire dans les yeux.

Un imposant lycée
Le lycée Pierre-de-Fermat est un lycée public, la scolarité en classes préparatoires est donc gratuite. Une inscription en licence est néanmoins obligatoire à l'université de Toulouse, dont les frais s'élevaient à 184 € en 2014-2015. On dénombre 23 classes préparatoires de première et de seconde année, qui correspondent à quatre filières. Une filière littéraire : Chartes et khâgne ; deux filières scientifiques : BCPST (biologie, chimie, physique, science de la Terre et agro-véto) et MPCSI (mathématiques, physique, chimie, sciences de l'ingénieur) ; une filière ECS (économique et commerciale voie scientifique).

En France, 358 lycées publics proposent des classes préparatoires aux grandes écoles dont 229 avec internat. Ils sont 81 établissements privés sous contrat seulement à le faire, dont 36 avec internat.

• En savoir plus : Lycée Pierre-de-Fermat de Toulouse

POUR ALLER PLUS LOIN
À découvrir aux éditions l'Etudiant :
"Réussir sa candidature pour entrer en filière sélective", par Séverine Maestri.


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