Enquête

La bourse JV veut favoriser la mixité sociale pour décloisonner les études de jeu vidéo

Des initiatives ont vu le jour pour élargir l'accès aux écoles et studios de jeux vidéo à de nouveaux profils.
Des initiatives ont vu le jour pour élargir l'accès aux écoles et studios de jeux vidéo à de nouveaux profils. © Adobe Stock/DC Studio
Par Simon Mauvieux, publié le 15 juillet 2021
7 min

Game designer, développeur, programmateur, infographiste ou animateur 3D... les écoles de jeu vidéo et les métiers sur lesquels elles débouchent font rêver de nombreux jeunes. Mais ils sont peu nombreux à parvenir à les intégrer. Depuis 2020, la bourse JV et ses créateurs agissent pour changer la donne.

Ils viennent de la Réunion, de Guadeloupe, de Normandie ou de Seine-Saint-Denis et rêvent depuis le collège de devenir concepteurs de jeux vidéo. Entre le manque d'information sur les écoles, le prix élevé des cursus et la concentration des formations à Paris, ce rêve aurait pu leur échapper. Mais depuis 2020, une bourse pour l'égalité des chances a été créée pour aider financièrement six étudiants par an à intégrer ce milieu si convoité.

Des écoles privées difficilement accessibles

Il n’existe en France qu’une seule école publique spécialisée en jeux vidéo : l’Enjim, située à Angoulême (16). Cette école, qui recrute à bac+3, offre 45 places chaque année. Deux IUT, à Bobigny (93) et Montpellier (34), proposent aussi des cursus à bac+1, mais la majorité des formations en jeu vidéo est concentrée dans des écoles privées. L'année y coûte entre 6.000 et 9.000 €, pour des cursus de trois à cinq ans. Beaucoup sont situées à Paris ou dans de grandes villes, et restent inaccessibles pour de nombreux étudiants, ce qui conduit à une certaine homogénéité des profils recrutés, mais pas seulement.

"On raconte toujours les mêmes histoires dans les jeux, on voit toujours les mêmes personnes dans les grands événements (conventions, salons dédiés aux jeux vidéos...). Il y a un côté "reproduction sociale" dans cette industrie", remarque Mickaël Newton, président de l'association Loisirs Numériques et cofondateur de la Bourse JV. Avec le studio La Belle Game et Jehanne Rousseau, cofondatrice du studio Spiders, ils ont monté de toute pièce cette bourse pour tenter de faire bouger les lignes.

"Pour plein de personnes issues des milieux populaires ou du monde rural, il est très difficile d'intégrer ces écoles, à moins que leurs parents aient de l'argent ou qu'ils s'endettent avec un prêt", ajoute-t-il. Chakib Benssoum, qui a grandi à Stains, en Seine-Saint-Denis (93), s’est vu refuser un prêt par sa banque pour financer sa deuxième année d’études. "Si je n'avais pas eu la bourse, je n’aurais pas pu continuer mes études...", confie-t-il.

Informer, financer, mentorer : pallier les inégalités par l’accompagnement

Lancée en mars 2020, la bourse JV a rapidement attiré de nombreux profils. Financée par des dons, la première mouture du projet permet d’aider six étudiants. "L’idée est d’ajouter cinq étudiants bénéficiaires chaque année", précise Mickaël Newton. 17.000 € sont attribués chaque année aux étudiants boursiers, ce qui couvre leurs frais de scolarité, en plus du coût de la vie étudiante (loyer, matériel informatique, etc..), pendant tout leur cursus.

Samuel Hoarau, originaire de la Réunion, a postulé sans trop y croire. Mais obtenir la bourse était déterminant pour intégrer le milieu : sa famille n’avait pas les moyens de le soutenir sur cinq ans. "Je me disais que je ne l'aurais pas, mais finalement, on m'a appelé pour un entretien. Je me suis présenté, j'ai parlé de mon parcours, de mes projets et puis on m'a annoncé que je l'avais décrochée !" se rappelle-t-il avec le sourire. La bourse se décroche sur dossier, puis par entretien en visioconférence.

Allan Claver, originaire de Guadeloupe, a, lui, passé ses quatre premières années d’études à jongler entre l’école et des petits boulots. Grâce à la bourse, il a pu se concentrer pleinement à sa dernière année d'études, et même trouver un stage en bénéficiant du réseau et du mentorat offert par ce dispositif.

Car en plus de financer l’ensemble des frais de scolarité et des coûts de la vie, la bourse permet de pallier le manque d’information sur les études de jeu vidéo. "Très peu d’élèves viennent de banlieue ou d'Outre-mer. Là-bas, on a moins d’information sur la manière d’intégrer le milieu", témoigne Allan. Chakib, lui, se souvient des rendez-vous avec sa conseillère d’orientation : "Elle me disait que je devais faire un bac pro, un BTS, un an ici, un an là... ça n'avait aucun sens. À mes yeux le manque de mixité vient du manque d’information. Et les informations comme celles-ci sont difficiles à obtenir", se désole-t-il.

Élargir l'accès au secteur du jeu vidéo

Une association et deux studios ont été à l’origine de cette bourse, mais le reste du milieu a-t-il conscience du problème ? Les écoles assurent que oui. "C’est un sujet dont les écoles parlent entre elles. Les choses ne vont pas très vite, mais ça se structure", admet Karin Houpillart, directrice de l’Isart Digital.

Pour tenter d’ouvrir ses portes à de nouveaux profils, l’école Rubika, située à Valenciennes (59), va par exemple à la rencontre de collégiens ou lycéens pour faire naitre des vocations et lever les barrières psychologiques. "Plein de jeunes se disent 'ce n'est pas pour moi, je n’ai pas le niveau'", constate Stéphane André, le directeur de l'école, qui propose aussi une bourse. Allant jusqu’à 2.500 €, elle aide une trentaine d’étudiants originaires du nord de la France.

Pour Emmanuel Peter, directeur de l’IIM, une école située à la Défense (92), l’un des principaux freins financiers est le faible accès aux contrats d’apprentissages pour les étudiants. "Ça se développe beaucoup dans le supérieur, mais c’est difficile de le mettre en œuvre dans l’industrie du jeu vidéo. On a du mal à convaincre les studios d’accueillir des étudiants. Ils ont une culture du projet et c’est compliqué pour eux de s’engager sur le temps long", regrette-t-il. Mais tous reconnaissent que beaucoup de chemin reste à faire, qu’il faut aller plus loin, discuter ensemble, avec les studios, pour que chacun y mette du sien.

Preuve que la diversité peut faire évoluer le milieu, Allan a pour ambition de développer le jeu vidéo en Guadeloupe, tout comme Samuel à la Réunion. June, étudiante boursière en première année de game design à l’Icann, secouée par les récentes publications dénonçant le sexisme et le harcèlement dans le milieu des jeux vidéo (enquête de Libération et de Gamekult), nous glisse qu'elle s'est sentie très épaulée par les équipes de la bourse JV. Elle voudrait fonder son propre studio indépendant et y développer des jeux plus engagés. Si le décloisonnement du secteur des jeux vidéo n’en est encore qu’à ses balbutiements, les premières tentatives portent déjà leurs fruits.

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