Décryptage

"Tout n’est pas parfait, mais ça bouge" : les écoles de journalisme face aux enjeux LGBTI

Les 14 écoles de journalisme reconnues par la profession compte un référent "égalité et lutte contre les discriminations".
Les 14 écoles de journalisme reconnues par la profession compte un référent "égalité et lutte contre les discriminations". © Pixel-Shot / Adobe Stock
Par Valentine Daléas, publié le 09 octobre 2023
1 min

Depuis 2019, chaque école de journalisme reconnue par la profession compte un référent "égalité et lutte contre les discriminations". Mais derrière cette mesure générale, la prise en compte des thématiques LGBTI progresse de manière disparate selon les écoles.

"J’ai toujours été frappée que l’on parle d’information juste et objective sans être formé ou sensibilisé à l’impact des biais et des stéréotypes que l’on peut avoir sur les personnes", affirme d’emblée Pascale Colisson, responsable pédagogique à l’Institut Pratique du Journalisme (IPJ), l’une des 14 écoles de journalisme reconnues par la profession.

La Conférence des écoles de journalisme (CEJ), qui réunit les écoles reconnues par la profession, a mis en place une mission "égalité et lutte contre les discriminations" en 2017. Cette mission, co-conduite par Pascale Colisson, a notamment abouti à la nomination d’un référent "égalité et lutte contre les discriminations" dans toutes les écoles en février 2019.

"Je ne peux pas vous dire s’il s’agit d’une mesure d’affichage ou pas, admet Pascale Colisson, qui assume cette responsabilité au sein de l’IPJ. Au-delà des personnes qui portent ces sujets en interne, jusqu’à quel point ça s’inscrit dans l’ADN des écoles ? Chacun est responsable de ce qu’il fait au sein de son école."

"Un travail de sensibilisation" dans les écoles de journalisme

Plusieurs écoles de journalisme proposent désormais des actions de sensibilisation aux discriminations. L’AJL, l’association des journalistes LGBTI créée en 2013, intervient dans la majorité des écoles reconnues mais aussi certaines écoles non reconnues pour des séances de formation.

"On propose des mises en situation pratique de traitement des questions LGBTI au sens large, détaille Clément Giuliano, journaliste membre de l’AJL. On mène aussi un travail de sensibilisation aux termes employés." Ces interventions durent généralement deux heures.

Au cours de ces sessions, les journalistes présentent aussi la charte et le kit de "bonnes pratiques" développés par l’AJL. "Souvent, on traite ces informations en blessant inconsciemment les personnes, par méconnaissance ou à cause de stéréotypes, souligne Pascale Colisson. L’idée, c’est de faire prendre conscience de la problématique et de donner des solutions."

Susciter l'intérêt des futurs journalistes aux discriminations LGBTI

La portée de ces interventions sur les pratiques journalistiques reste difficile à évaluer. "C’est un module conçu comme une introduction pour susciter l’intérêt des journalistes, estime Clément Giuliano. Deux heures pour ouvrir des pistes, ça a le mérite d’exister." L’ancien co-président de l’AJL espère que les futurs journalistes se référeront au kit de l’AJL lorsqu’ils auront à traiter ces sujets dans des rédactions.

Pascale Colisson est également consciente des limites de la démarche : "Il ne faut pas croire qu’il va y avoir un effet magique, ce n’est pas parce qu’on fait des formations que les gens vont changer. Les convaincus le seront encore plus et ceux qui n’ont pas envie d’être convaincus ne le seront pas." La responsable pédagogique de l’IPJ mise plutôt sur "un ventre mou de personnes qui peuvent se poser les bonnes questions et évoluer"

Une formation nécessaire dans les écoles de journalisme

Toutes les écoles n’ont pas engagé le même travail autour des thématiques LGBTI. "On n’est pas formés à ces choses-là, regrette Sarah*, étudiante au Centre de formation des journalistes (CFJ). On a des professeurs plus jeunes qui l’intègrent dans leur façon de travailler, mais c’est un peu au petit bonheur la chance."

L'étudiante, sensibilisée aux sujets LGBTI, regrette que ce soit aux étudiants d’agir : "J’ai partagé la charte de l’AJL dans le groupe Facebook de la promo à l’approche du mois de juin [mois de la pride, ndlr], en me disant que ça pouvait être utile de le mettre dans la tête des gens, mais je ne sais pas à quel point ils ont regardé." La charte donne par exemple des indications sur les pronoms à utiliser ou les termes à éviter pour désigner des personnes de la communauté LGBTI.

L’étudiante a pris conscience qu’il y a "des compétences qui font défaut aux gens", quand des camarades lui ont demandé de relire leurs articles pour vérifier qu’il n’y avait "pas de termes problématiques ou de mauvaises formulations". "C’est chouette comme démarche, que quelqu’un se rende compte de ses limites, mais ce n’est pas viable sur le long terme, affirme Sarah. On a besoin d’être formés et autonomes sur la relecture de nos propres papiers."

Une évolution du traitement des sujets LGBTI dans certaines rédactions

Car les étudiants y seront nécessairement confrontés au cours de leur vie professionnelle. "La transidentité est devenue une thématique forte depuis moins de cinq ans", observe Clément Giuliano. Le journaliste regrette une "fétichisation" et une "pathologisation des personnes trans", similaire à celle "des hommes gays près de 40 ans plus tôt".

L’ancien co-président constate tout de même "une amélioration assez rapide de certains journaux et les médias qui veulent bien faire, principalement orientés à gauche". Clément Giuliano estime que l’action de l’AJL a permis "un meilleur traitement journalistique" et "beaucoup plus d’éducation des journalistes" sur les sujets LGBTI.

Un constat que partage Pascale Colisson, qui voit "un vrai progrès par rapport au début de [s]a carrière" : "Tout n’est pas parfait, loin s’en faut, mais ça bouge."

*Le prénom a été modifié

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