Le discours de Bayeux du Général de Gaulle

Le discours de Bayeux prononcé en 1946 par le général de Gaulle est considéré comme un événement pivot dans la carrière de l’homme politique, mais aussi dans la création de la Ve République. Le général de Gaulle choisit en effet Bayeux, emblème de la victoire face au régime nazi, pour présenter un projet constitutionnel qui aidera la France à se relever après la Seconde Guerre mondiale.

Il avance ses ambitions pour réformer la IVe République née dans l’après-guerre, lui reprochant majoritairement le dysfonctionnement de la répartition des pouvoirs législatif et exécutif. Le discours n’eut à son époque qu’une faible répercussion. Mais c’est ici que de Gaulle a définitivement posé les bases de la Ve République à venir, renforçant l’autorité du chef de l’État face au législatif.

C’est ainsi qu’à son arrivée au pouvoir en 1958, le général de Gaulle lance un référendum ayant pour objectif de doter le pays d'un régime présidentiel fort. Les Français approuvent son projet par les urnes, ce qui mènera en septembre de la même année à la Constitution de la Ve République (toujours en vigueur aujourd'hui). Si, durant la IVe République, le Parlement était chargé d’élire le Président de la République, c’est dorénavant aux citoyens de procéder à son élection au suffrage universel direct. Fin 1958, de Gaulle remporte l’élection dès le premier tour, devenant ainsi le premier président de la Ve République - un rôle dont il avait idéalisé les fonctions 12 ans auparavant dans son discours de Bayeux.

Deux ans avant, le 14 juin 1944, dans la petite ville normande de Bayeux située à 5 kilomètres de la côte atlantique, le Général de Gaulle prononce déjà un premier discours historique. En effet, lors de la Seconde Guerre mondiale et suite au débarquement de 1944, Bayeux fut l'une des premières villes à être libérées par les forces alliées. De Gaulle, qui avait joué un rôle majeur dans la Résistance française depuis Londres, saisit cette occasion pour prononcer son tout premier discours sur le sol français.

La foule a accueilli cette tribune avec ferveur, confortant le rôle du Gouvernement provisoire de la République française (GPRF). Fort de ce soutien populaire, de Gaulle a pu refuser la tutelle américaine, qui prévoyait par exemple de remplacer le franc par le dollar. Le GRPF est même reconnu officiellement par les Alliés quatre mois plus tard, permettant peu à peu à la France de retrouver sa souveraineté.

La reconstruction démocratique de la France après l’occupation nazie ne s’est pas effectuée sans son lot de désaccords politiques. Malgré son rôle prédominant dans la Libération, de Gaulle n’arrive pas à imposer sa vision d’une nouvelle constitution renforçant le pouvoir exécutif (le traumatisme de la montée des régimes autoritaires au cours des décennies précédentes est encore frais). Les députés vont dans le sens de la gauche et le projet de IVe République est mis sur les rails (sur le modèle de la IIIe). Cela amène le général de Gaulle à démissionner du gouvernement en janvier 1946.

Tandis que la constitution de la IVe République finit difficilement d’être approuvée par des votes successifs, ce nouveau discours à Bayeux prend la forme d’un come-back pour Charles de Gaulle après les mois de silence qui ont suivi son retrait du gouvernement. Le général français y précise publiquement ses convictions pour le renouvellement des institutions françaises. Ce sont ses différends avec les partis politiques majoritaires à l’Assemblée nationale qui avaient placé ses projets politiques dans l’impasse et conduit à sa démission.

Le discours de Bayeux peut être considéré comme les prémices du mouvement politique lancé officiellement par de Gaulle en 1947 : le Rassemblement du peuple français (RPF). Mué par une volonté de ne pas se positionner à gauche ou à droite, ce dernier s’oppose néanmoins farouchement au Parti communiste français (PCF) qui incarnera l’autre principale force politique des années à venir.

Dans son discours, Charles de Gaulle a notamment rappelé l’importance symbolique de cette ville et les enjeux politiques de la France au lendemain de la Seconde Guerre mondiale :

• « C’est ici que, sur le sol des ancêtres, réapparut l’État. »

• « Une fois [...] l’unité nationale maintenue, aucune tâche n’était plus urgente et plus essentielle que de bâtir les institutions nouvelles de la France. »

Il explique en quoi l’unité et la force d’un gouvernement dépendent d’un pouvoir exécutif renforcé :

• « En vérité, l’unité, la cohésion, la discipline intérieure du gouvernement de la France doivent être tenues pour des choses sacrées. »

• « Au chef de l’État [...] la mission de nommer les ministres, [à lui de] diriger l’action, la politique et le travail du gouvernement. [À lui] la fonction de promulguer les lois et de prendre les décrets [...]. »

Et pour appuyer ses idées, de Gaulle met l’accent sur l’intérêt commun du peuple français :

• « Aujourd’hui c’est du peuple français, et des peuples de l’Union française qu’il s’agit. Et à une époque bien dure et bien dangereuse. Prenons-nous tels que nous sommes. Prenons le siècle comme il est. Nous avons à accomplir une rénovation profonde [...] qui conduise chaque homme et chaque femme de chez nous à plus d’aisance, à plus de sécurité, à plus de joie [...]. »

• « Toute notre histoire, c'est l'alternance des immenses douleurs d'un peuple dispersé, et des fécondes grandeurs d'une nation libre groupée sous l'égide d'un État fort. »

Après le discours de Bayeux, l’affaiblissement progressif de la IVe République (accéléré par la Guerre d’Algérie), finira par donner raison au Général de Gaulle aux yeux des électeurs français. Ses idées pour la Ve République apparaissent alors comme le moyen d’insuffler un vent nouveau sur la société française à l’heure de la décolonisation.