E. Trizac (ENS de Lyon) : "Ce dont on rêverait, c'est de pouvoir financer toute notre population étudiante"

Amélie Petitdemange Publié le
E. Trizac (ENS de Lyon) : "Ce dont on rêverait, c'est de pouvoir financer toute notre population étudiante"
ENS de Lyon // ©  Laurent GRANDGUILLOT/REA
Emmanuel Trizac, président de l’ENS de Lyon, dresse les enjeux de l’école pour les années à venir. Il souhaite modifier le diplôme, améliorer la qualité de vie sur le campus, et mieux soutenir les étudiants défavorisés.
Président de l'ENS Lyon
Président de l'ENS Lyon © ENS Lyon

Nommé en mai 2023, Emmanuel Trizac a pris la présidence de l'Ecole normale supérieur (ENS) de Lyon après des remous au sein de l'institution et dix mois d’administration provisoire, à la suite du départ de l’ancien président, Jean-François Pinton.

Le physicien, précédemment vice-doyen de la faculté des sciences de Paris-Saclay, annonçait, à la rentrée 2023, les priorités de son mandat : la diversité des profils dans le recrutement, les transitions écologique et technologique, ainsi que la qualité de vie sur les campus. Il revient sur ces enjeux, pour EducPros.

La gouvernance de l'ENS a connu une période compliquée avant votre arrivée. L'école avait, en effet, été touchée par des cas d'agressions sexuelles. Comment cette situation influence-t-elle votre mandat ?

Il y a eu un sujet de violences sexuelles et sexistes qui a été pris en compte. Je pense qu'un travail remarquable a été fait : il y a une cellule d'action qui a été mise sur pied, une mission égalité.

Je crois qu'aujourd'hui nous avons un processus fluide pour remonter, identifier et déclencher des enquêtes. Mais je n'étais pas présent sur le site à ce moment-là et je ne suis pas venu ici pour mener un droit d'inventaire. J'ai plutôt cherché à comprendre la situation.

Entre les différents défis de votre mandat, quelle est votre priorité ?

Je vais commencer par les aspects de qualité de vie sur le campus et de qualité de vie au travail, qui sont deux des six chantiers sur lesquels nous avons ouvert une large consultation en interne.

Il y a une dimension qui est très importante pour nous et c’est la santé étudiante. Elle peut interférer avec les études, et c’est un sujet dont nous devons nous saisir. Nous avons recruté un nouveau médecin sur le campus à la rentrée 2023 et créé un service de santé étudiant. Nous voulons aussi mettre sur pied un centre de santé étudiant, que j’espère voir ouvrir au cours de l’année universitaire 2024-2025.

Sur les transitions, quelles sont les actions que vous avez déjà engagées ?

Il y a aussi tout ce qui concerne les transitions au sens large, notamment l'impact que va avoir l'intelligence artificielle dans nos vies. Nous sommes très engagés dans le montage du projet collaboratif AILyS dédié à l'intelligence artificielle sur les sites de Lyon et Saint-Étienne. J'en parlerai davantage quand nous aurons les résultats de l'appel à projets.

Il y a évidemment la transition écologique. Nous sommes engagés dans l'obtention du label des DD&RS (Développement durable et responsabilité sociale). Au niveau de l'école, nous voulons diviser par deux nos émissions de gaz à effet de serre d'ici 2030.

En parallèle, nous devons réfléchir sur notre pratique. Qu'est-ce que ça veut dire d'être chercheuse ou chercheur dans un monde à +2,5 degrés ? Cela signifie aussi de bâtir une culture commune à l'école, à travers des films, des conférences, l'usage du vélo... Cela touche plein de petits sujets, mais à la fin, c'est une très grande question, qui passe bien sûr aussi par la formation.

Un autre volet stratégique concerne la diversification des profils, sujet sur lequel vous avez déjà mis en place des dispositifs. Pour quels résultats ?

Nous avons mis en place à la rentrée 2022 un CPES, cycle pluridisciplinaire d'études supérieures. Dans ce parcours, nous avons 40% de boursiers [contre 25% au niveau de tout l’ENS de Lyon, NDLR]. Cet indicateur n'est pas nécessairement le plus pertinent pour juger de l'ouverture sociale, mais c'est un des seuls dont on dispose de façon relativement simple.

Il y a donc deux voies d’accès : la voie concours classe préparatoire représente 60% de l'effectif et les 40% restants entrent par dossier. Ces derniers viennent en particulier de l’université, avec un étiage social plus large. Ce recrutement est une vraie réussite : quelle que soit la voie d'entrée, la réussite est la même, en particulier la réussite au diplôme.

Souhaitez-vous aller plus loin sur ce volet ?

Ce dont on rêverait, au niveau des quatre ENS, c'est de pouvoir financer toute notre population étudiante. Car cette ouverture, qui était très souhaitable dans les ENS, vient tout de même avec des fragilités. D’autant que la voie d’accès par dossier n’ouvre pas au statut de fonctionnaire stagiaire rémunéré pendant la formation. Des situations sociales difficiles peuvent donc se trouver parmi ce public.

C'est vraiment une préoccupation importante pour nous. Nous nous réunissons très régulièrement avec le ministère de l’Enseignement supérieur pour travailler à cette question. Une piste serait de leur donner une allocation.

Quels sont vos autres grands chantiers à la tête de l'ENS ?

Parmi les grands chantiers, je ne veux surtout pas qu'on oublie la formation et la recherche. Nous travaillons avec les étudiants sur notre diplôme, que nous devons perfectionner. Il pourrait par exemple y avoir des changements sur la durée du diplôme, qui se déroule actuellement sur quatre ans. C'est un format contraignant. Nous voudrions l'assouplir, en laissant la possibilité d'étaler le diplôme, de faire des césures…

La formation par la recherche est, par ailleurs, essentielle. Nous apparaissons comme le premier établissement en termes de performance de la recherche dans le classement de Shanghai, et je veux que nous y restions.

Nous devons travailler sur l'accueil des internationaux et des doctorants, valoriser leur présence et leur travail, car c'est un public essentiel pour nous. Nous avons, en ce sens, organisé la première journée des doctorants qui a été très appréciée.

Nous allons, par ailleurs, réfléchir à la façon dont on peut dégager du temps pour les enseignantes-chercheuses et enseignants-chercheurs. Nous devons leur permettre de se ressourcer avec des congés de recherche réguliers, comme des congés de recherche pour conversion thématique (CRCT) , sans mettre en danger l'activité d'enseignement. 

Nous voulons aussi contribuer à structurer académiquement le site de Lyon - Saint Étienne. Nous en discutons régulièrement à la Comue qui réunit tous les chefs d'établissement. L'idée étant de se doter d'un outil qui nous permette d'aligner nos stratégies scientifiques. Le meilleur terme que je trouve, c'est de parler d’écoles graduées qui hébergeraient à la fois la formation et la recherche.

Amélie Petitdemange | Publié le