Jean-Marc Ogier : "La réforme des lycées mène à l’université de nouveaux profils de jeunes"

Propos recueillis par Ariane Despierres-Fery Publié le
Jean-Marc Ogier : "La réforme des lycées mène à l’université de nouveaux profils de jeunes"
Jean-Marc OGIER // ©  Université de La Rochelle
Enjeux du supérieur, paroles de dirigeants, Jean-Marc Ogier président de La Rochelle Université, répond aux trois questions d’EducPros. Investir dans l’ESR, simplifier pour rendre plus efficace, évoluer pour faire réussir les étudiants, préparer l’avenir des universités et leur permettre de jouer pleinement leur rôle dans une société en transition. De nombreux enjeux et leurs solutions, mis en exergue par le président.

Considérer le financement des universités comme un investissement, rationnaliser les process d’autonomisation et des appels d’offre, libérer le potentiel des universités européennes et de la recherche, Jean-Marc Ogier propose des pistes avec en ligne de mire la réussite des étudiants et les missions cœur des universités pour accompagner un monde en transition face aux transitions.

Quels verrous seraient à lever pour permettre un développement plus rapide et plus harmonieux du supérieur ?

Les verrous sont liés aux réponses apportées à plusieurs enjeux. Tout d'abord, il faut un nouveau modèle d’allocation des moyens : la croissance des effectifs étudiants ne s’est pas accompagnée des moyens nécessaires. La corrélation entre le taux d’encadrement et la réussite est démontrée par de nombreuses organisations, et le ratio entre le coût "social" engendré par l’échec et le décrochage illustre qu’un investissement avisé serait très rentable, évitant des dépenses sociales liées à l’échec.

L’enjeu de l’autonomie, ensuite, car les responsabilités et compétences élargies issues de la loi LRU de 2007 sont encore loin d’être pleinement opérationnelles. Les établissements restent soumis à la pression de règles et contraintes de l’État qui les corsètent dans leurs missions régaliennes et la gestion de leur processus internes.

Il nous faut une politique d’innovation nationale simplifiée, centrée sur les universités. Alors même que les compétences scientifiques et technologiques sont très performantes dans les établissements du supérieur et de la recherche, le morcellement du paysage entraîne une innovation financée à des niveaux différents. Le processus de valorisation de la recherche et de transfert vers la société est complexe et rendu sous-optimal par une politique fragmentée.

L’État doit prendre conscience du faible engagement sur le premier cycle universitaire et de ses conséquences désastreuses pour investir rapidement.

L’enjeu de la réussite des étudiants est aussi central. Du côté des universités, nous devons questionner nos schémas et pratiques pour les adapter au projet, au parcours et au profil des étudiants. Du côté de l’État, il faut prendre conscience du faible engagement sur le premier cycle universitaire et de ses conséquences désastreuses pour investir rapidement.

Il existe aussi un enjeu autour de la stabilisation des stratégies des établissements : les appels à projets thématiques du PIA ont pour vertu de catalyser la transformation des établissements mais ils viennent parfois les faire dévier de leur trajectoire. Il me semble qu’une politique de régulation de ces appels à projets serait bienvenue. Les contrats d’objectifs de moyens et de performance, imaginés par notre nouvelle ministre, semblent être une voie intéressante, car ils redonneraient du "sens" à ces contrats quinquennaux.

En recherche, une clarification des relations avec les organismes est essentielle : les universités portent la visibilité internationale de l’ESR et sont les plus adaptées pour proposer une approche intégratrice et cohérente recherche-innovation-formation. Il est par ailleurs nécessaire de mieux articuler le niveau national et le niveau territorial, en tenant compte à la fois des priorités européennes et nationales d’une part, et des stratégies de spécialisation régionales.

Les contrats d’objectifs de moyens et de performance, imaginés par notre nouvelle ministre, semblent être une voie intéressante, car ils redonneraient du "sens" à ces contrats quinquennaux.

L'enjeu de l’Europe, enfin, doit être pris en compte : les alliances européennes représentent de véritables opportunités pour créer de nouveaux espaces académiques, préparer une Europe plus forte, plus solidaire et respectueuse des différences. Sur le plan scientifique, les alliances pourraient devenir de véritables figures de proue de la recherche/innovation européenne, si les Etats membres et la commission parviennent à élaborer un nouveau modèle intégrant le bon niveau de subsidiarité entre les ambitions politiques des Etats membres et celles de la Commission européenne.

Quels impacts de la réforme du lycée constatez-vous au sein des universités et quels aménagements devraient être apportés ?

La massification de l’enseignement supérieur et de la recherche se conjugue désormais avec la diversification de nos étudiants. La réforme des lycées mène à l’université de nouveaux profils de jeunes, dont le background scientifique est aujourd’hui beaucoup plus diversifié qu’il ne l’était jusqu’ici.

L’université, historiquement ancrée dans ses silos disciplinaires, doit donc repenser l’organisation de ses formations, en offrant des opportunités de remédiation, de soutien à l’initiative et à l’engagement personnel, et bien sûr des parcours interdisciplinaires individualisés, répondant au profil et au projet de l’étudiant.

La réforme des lycées mène à l’université de nouveaux profils de jeunes. L’université doit donc repenser l’organisation de ses formations et des parcours interdisciplinaires individualisés.

Il s’agit de créer les conditions de personnalisation des parcours pour aider les jeunes à disposer de la plasticité intellectuelle leur permettant de réussir et de s’adapter aux grandes transitions de notre société. Nous devons également imaginer des pratiques pédagogiques qui rendent les étudiants plus actifs dans leurs apprentissages.

Les enjeux liés aux transitions justement, animent tant les jeunes, les entreprises que les acteurs du supérieur. Comment pouvez-vous y répondre ?

En continuant à nous transformer et à adapter nos programmes et nos pratiques, dans le cadre d’une stratégie nationale et européenne !

Le rapport Jouzel montre la responsabilité des acteurs de l’enseignement supérieur dans la sensibilisation et la formation aux enjeux du tournant écologique et de développement durable.

Toutes ces transitions sont déjà là et nous devons accompagner nos jeunes pour qu’ils les comprennent et s’y adaptent. Le rapport Jouzel montre la responsabilité des acteurs de l’enseignement supérieur dans la sensibilisation et la formation aux enjeux du tournant écologique et de développement durable.

Nos universités sont des lieux de connaissances et d’expertises : elles doivent rester tournées vers la société et connectées au réel pour répondre aux besoins en formation, en recherche et en innovation qu’entraînent toutes ces transitions.

Enfin, les universités européennes sont aussi un formidable levier de coopération, d’ouverture et d’action collective en faveur d’une meilleure prise en compte de ces transitions.


EducPros poursuit sa série d’interviews pour donner la parole aux dirigeants du supérieur. Objectif : évoquer avec eux les enjeux qui animent leur secteur, en matière d’enseignement, de recherche, de relations avec le monde économique, de développement et de structuration à l’échelle nationale et internationale. Retrouvez tous les 15 jours, le vendredi, l’analyse d’un dirigeant du sup’ :
– Eric Lamarque
– Pierre Mathiot
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– Philippe Choquet
Alain Joyeux
– Patrick Vermay-Musset
– Marc Sellam

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