Boîte à outils

Comment reconnaître une théorie du complot ?

"Les théories du complot prospèrent sur un désir de fantastique qui donne accès à ce qui sort du naturel", estime Fabrice Erre, prof d'histoire-géo.
"Les théories du complot prospèrent sur un désir de fantastique qui donne accès à ce qui sort du naturel", estime Fabrice Erre, prof d'histoire-géo. © Adobe Stock/pict rider
Par Thibaut Cojean, publié le 27 novembre 2020
6 min

Du documentaire "Hold Up" aux vidéos sur le 11 septembre, les théories du complot utilisent souvent les mêmes codes. Un professeur et deux journalistes spécialistes des conspirations nous aident à ne pas tomber dans le panneau.

Avec la crise sanitaire, les théories du complot et les fausses informations fleurissent sur Internet. Le documentaire "Hold Up" en est l’exemple le plus récent. Pendant plus de 2h30, il prétend révéler le complot mondial derrière le coronavirus en enchaînant les contre-vérités. À tel point que son réalisateur risque de se retrouver devant les tribunaux après que l’Institut Pasteur, accusé à tort d’avoir créé le virus, a décidé de porter plainte pour diffamation.

Le complotisme s’invite au lycée

Si le documentaire a réussi à trouver son public, c’est parce qu’il a utilisé tous les codes qui font mouche

. "Ces théories prospèrent sur un désir de fantastique, de formidable, qui donne accès à ce qui sort du naturel", analyse Fabrice Erre. Ce professeur d’histoire-géo en lycée a souvent entendu ses élèves évoquer ces idées en classe. Selon un sondage réalisé par l'Ifop en janvier 2019, les jeunes sont plus sensibles aux théories du complot que leurs aînés (28% des 18-24 ans croient à cinq théories ou plus, contre 9% des 65 ans et plus).

"Ça a commencé avec le 11 septembre, et c’est revenu peu après les attentats contre Charlie Hebdo", poursuit l'enseignant. Parfois, elles sont tellement ancrées qu’elles ressortent à l’oral du bac : "Un élève m’a raconté qu’Hitler était manipulé par des extraterrestres qui vivaient sous terre", relate Fabrice Erre, également auteur de la bande dessinée "Les Complotistes". Sur un ton humoristique, il y passe en revue différentes théories du complot en mettant en scène un prof conspirationniste qui essaie de convaincre ses élèves.

Utiliser la peur pour capter l'attention

Dans la vraie vie, le réalisateur de documentaires Thomas Huchon fait tout l’inverse : il intervient dans les lycées pour sensibiliser les élèves. Pour cela, il s'appuie une méthode très efficace : il a réalisé un faux documentaire basé sur un mensonge selon lequel la CIA aurait inventé le virus du Sida. "Je montre ce film aux élèves. Certains y croient et on en discute, explique le journaliste du site Spicee. Puis je leur montre un vrai documentaire expliquant comment on a monté cette histoire de toutes pièces."

Là aussi, ce faux film conspirationniste utilise les émotions et la peur pour capter l’attention, et donne aux spectateurs l’impression de détenir un scoop. La recette du complot, selon Thomas Huchon : "Un peu de vrai, beaucoup de faux, de l’improbable et de l’invérifiable."

Plusieurs signes permettent de détecter une théorie du complot et doivent inciter à prendre du recul. "Si une histoire très simple explique tout, il faut s'alerter, estime Julien Pain, journaliste pour France Info spécialisé dans les fake news. Autres éléments qui doivent éveiller le soupçon sur la véracité de l'information : "Si ça va trop vite, s’il y a trop d’infos, s’il n’y a pas de sources, si il y a un empilement de témoignages de gens qui disent la même chose…"

Photos choquantes, archives détournées…

Souvent, le format de ces vidéos peut aussi être révélateur. Un vrai documentaire ne ressemble pas à un blockbuster américain. "Il faut être attentif à la musique et au ton de la voix, au fait qu’on essaie de vous tirer une larme", conseille Thomas Huchon. Il énumère les secrets de fabrication habituels, qu’il a retrouvés dans "Hold Up": "Des photos choquantes, un titre accrocheur, une dédicace aux victimes, des images d’archives détournées."

En cas de doute, posez-vous des questions permettant d’analyser le travail que vous visualisez. Le réalisateur en recommande cinq : "Est-ce que ces infos sont signées ? Datées ? Sourcées ? Recoupées ? Contextualisées ?" Julien Pain suggère, lui, de "ne pas croire un message qui vient d’une source anonyme". Et si une information vous paraît suspecte, de "vérifier par une simple recherche si elle est donnée par d’autres". Si aucun média ne reprend une "révélation mondiale", c’est qu’elle est probablement fausse.

Des astuces simples pour mieux s’informer

Si les collégiens et lycéens constituent des publics sensibles aux théories du complot, c’est aussi parce qu’ils "reçoivent l’information au lieu d’aller la chercher", analyse le journaliste de France Info. Son confrère de Spicee conseille donc d’aller voir les sites d’information ou de consulter des magazines, à la maison ou au CDI, pour comprendre comment les journalistes travaillent et traitent l’information.

A minima, Julien Pain a une astuce simple pour améliorer le contenu de votre fil Twitter ou Instagram : "Sur les réseaux sociaux, abonnez-vous à des journalistes, des médias et des institutions en lesquels vous avez confiance et qui vous donneront des informations fiables." Mais n’attendez pas trop de spectacle, car comme le rappelle Fabrice Erre, "l’information sort rarement de l’ordinaire".

Vous aimerez aussi...

Contenus supplémentaires

Partagez sur les réseaux sociaux !