Reportage

La Seine-Saint-Denis mobilisée pour demander "un plan d’urgence" pour l’éducation

Le coût des mesures comprises dans le plan d'urgence demandé par l'intersyndicale de Seine-Saint-Denis s’élèverait à 358 millions d’euros.
Le coût des mesures comprises dans le plan d'urgence demandé par l'intersyndicale de Seine-Saint-Denis s’élèverait à 358 millions d’euros. © Photo fournie par les témoins
Par Malika Butzbach, publié le 15 mars 2024
1 min

Enseignants, élèves et parents du département manifestent régulièrement depuis le 26 février et la rentrée après les congés d’hiver. Ils demandent la création de 5.000 postes supplémentaires et des travaux pour le bâti scolaire.

C’est une rentrée pas comme les autres que vivent les élèves et enseignants de Seine-Saint-Denis. Depuis le 26 février, les établissements scolaires du département sont secoués par une large mobilisation à l’appel d’une intersyndicale (FSU, CGT, Sud et CNT). À travers les grèves de personnels, les opérations collèges morts et les manifestations, les syndicats exigent d’être reçus par Nicole Belloubet, ministre de l’Éducation nationale.

Enseignants, personnels de la vie scolaire comme élèves et parents exigent un plan d’urgence pour le 93. "Nous y avons réfléchi dès la rentrée de septembre 2023", explique Grégory Thuizat, enseignant de français et co-secrétaire départemental du SNES-FSU 93. Il évoque également la mobilisation de 1998, sur le même département, qui avait abouti à l’obtention de 3.000 postes supplémentaires. Pour chiffrer au mieux les besoins du département 26 ans plus tard, un questionnaire a été envoyé aux établissements à l’automne 2023.

De nombreuses absences de profs non remplacées

Et les chiffres sont sans appel. Selon les estimations de l’intersyndicale, il manque 1.000 enseignants pour les 130 collèges, et 2.200 enseignants au sein des 68 lycées. Mais le premier degré est aussi lourdement touché avec 2.000 enseignants manquant dans les 859 écoles.

Conséquence la plus visible de ce problème : le nombre d’heures d’absence non remplacées. En octobre 2023, le taux d’absences remplacées s’établit à 65% dans le premier degré (77,4% au niveau national), et 92,8 % (contre 94,5%) dans le second degré.

"Dans les années 2000, notre association estimait qu’un élève du 93 perdait en moyenne une année de scolarité à cause de ces absences, rappelle Alix Rivière de la FCPE 93. En 2024, c’est encore plus ! Preuve que le problème, loin d’être résolu, s’est aggravé."

Et les enseignants ne sont pas les seuls à manquer : l’intersyndicale demande aussi la création de 2.000 postes d’AESH (accompagnants d'élèves en situation de handicap), 175 de CPE et 650 assistants d’éducation, ainsi que des postes d’infirmières scolaires et d’assistants sociaux. Des mesures dont le coût s’élèverait à 358 millions d’euros. "C’est peu au regard des quatre milliards engagés pour le SNU et l’uniforme", pointe Alix Rivière.

Les groupes de niveaux, "une hérésie pédagogique"

Les revendications du plan d’urgence se couplent à l’opposition au "choc des savoirs" initié par Gabriel Attal au sein des établissements. Dans les cortèges des manifestations, de nombreuses pancartes dénoncent ainsi la mise en place des groupes de niveau, en français et maths, pour les élèves de 6e et 5e à la rentrée 2024.

"On va être triés selon nos notes, s’inquiète Nadia, en 5e dans un collège de Montreuil. C’est mieux d’être mélangé dans les classes. Les élèves avec des facilités peuvent aider les autres et ça les fait progresser."

De son côté, Alain Gluckstein, secrétaire départemental Force Ouvrière fait le lien entre cette réforme et le plan d’urgence. "Une collègue m'a parlé d’une de ses classes de 6e qui n’avait plus de professeur de français depuis novembre. Ce sont ces élèves-là que l’on mettra dans le groupe de niveau faible", s’indigne-t-il.

Avec ses collègues, il critique "une hérésie pédagogique". "Les études scientifiques ont montré que les groupes de niveaux figés, cela ne marche pas. Et encore moins lorsque l’on voit les moyens donnés aux établissements pour les mettre en place", pointe Isabelle, professeure de français à Bobigny. Dans son collège, l’enveloppe allouée aux heures d’enseignement ne permet pas de couvrir les groupes de niveaux : "On va devoir prendre sur les options", déplore-t-elle.

Un bâti scolaire délabré

Le plan d’urgence comprend également un volet sur le bâti scolaire. Selon les réponses au questionnaire de l’intersyndicale, un tiers des établissements scolaires sont infestés de nuisibles, et plus de la moitié sont sous-chauffés. "En été, il fait jusqu’à 40 degrés dans les classes, en hiver, ça peut descendre à 10 degrés, s’indigne Sébastien, professeur de français au collège Travail Langevin de Bagnolet. Il y a aussi des fuites : lorsqu’il pleut, on sort les sceaux. Au sous-sol, des salles sont inondées et donc inutilisables."

Sur ces revendications, élèves et enseignants ne manquent pas d’imagination. Mercredi 6 mars, une exposition sauvage de photographies était organisée devant le conseil régional. Surnommée "le musée des horreurs", elle dénonçait l’état d'usure extrême des bâtiments.

Les élèves ne sont pas en reste. Ceux du collège Blaise Cendrars ont tourné une vidéo pour les réseaux sociaux. "Je suis élève à Blaise Cendrars, évidement que je n’ai pas de table pour étudier, que je fais pipi sans plafond et dans le noir…" Dans ces conditions, "évidemment que l’on doit se mobiliser", sourit Nadia.

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