Interview

Rachid Hami, réalisateur de "Pour la France" : "Dans ces rituels d'intégration, je ne comprends pas la volonté de soumettre"

Ismaël (Karim Leklou) et Aïssa Saïdi (Shaïn Boumedine) dans le film "Pour la France", de Rachid Hami.
Ismaël (Karim Leklou) et Aïssa Saïdi (Shaïn Boumedine) dans le film "Pour la France", de Rachid Hami. © Gophoto-MizarFilms
Par Agnès Millet, publié le 10 février 2023
8 min

Le film "Pour la France", sorti le 8 février, fait le récit de la mort d'un élève de Saint-Cyr lors d'un bizutage et du combat de sa famille. Pour l'Etudiant, le réalisateur Rachid Hami évoque le parcours d'intégration de son frère, depuis l'Algérie jusqu'à la prestigieuse école militaire et revient sur les dangers du "formatage" dans les grandes écoles.

Le film Pour la France revient sur le décès d'un élève lors de la période d'intégration à Saint-Cyr en 2012. Ce drame est le point de départ qui permet de décrire la trajectoire d'une famille depuis l'exil de l'Algérie dans les années 1990, jusqu'au combat d'un frère et d'une mère pour obtenir de l'armée des funérailles avec les honneurs militaires. Rachid Hami, réalisateur du film, répond aux questions de l'Etudiant.

Votre film commence par une scène de bizutage appelée "bahutage" à l'école militaire de Saint-Cyr Coëtquidan. Le personnage d'Aïssa perd la vie lors de la traversée d'un étang glacial en pleine nuit et tout équipé. Quel regard portez-vous sur ces rituels d'intégration en grande école ?

Clairement, ce qu'il s'est passé en 2012 n'est pas un crime raciste : c'est le résultat de la décision de quelques élèves de poursuivre un projet dangereux. Désormais, le "bahutage" à Saint-Cyr est mieux encadré et un officier est présent lors des activités de transmission de tradition.

Je comprends le sens des étapes "classiques" de cette transmission : se rendre à Verdun ou aller chanter sur la tombe de Napoléon. Mais dans ces rituels d'intégration, je ne comprends pas la volonté de soumettre. L'autodérision est une force, l'humiliation est autre chose.

En grande école ou ailleurs, un groupe de personnes n'a pas à formater pour inclure de nouveaux membres. Mon conseil à un étudiant serait : "fais ton travail, aies de la force morale et tu rencontreras des gens avec qui tu auras une amitié sincère."

Huit ans après le drame, le procès des sept personnes mises en cause s'est tenu fin 2020-début 2021. Trois d'entre elles ont été condamnées à six à huit mois de prison avec sursis. Cela n'est pas intégré au film. Pourquoi ?

Ce film raconte l'odyssée de deux frères, ce n'est pas un film de procès. Le film est très humain, il met de la chair sur une minorité silencieuse. Cela passe par le fait d'écrire des vrais personnages, avec des nuances et des défauts. Aïssa peut être perçu comme dur et égoïste, fuyant ses responsabilités familiales. Raconter de façon romanesque mais sincère cette histoire familiale est un acte politique.

Mon envie était de casser les représentations attendues, en étant juste : qu'ils s'agissent des stéréotypes dont on souffre en tant que banlieusard et musulman ou qu'il s'agisse des étiquettes que l'on colle à l'armée.

Car il ne s'agissait pas non plus de faire le énième film à charge contre l'armée. Cette institution n'est pas un bloc. Certains de ces militaires ont permis que l'enquête s'ouvre tout de suite et soit transparente. Ils se sont battus pour la dignité de mon frère. Et puis, dénoncer l'armée comme un "système" aurait été une façon de détruire le rêve de mon frère.

Le personnage d'Aïssa, qui est né et a vécu une partie de son enfance en Algérie puis à Bobigny (Seine-Saint-Denis), construit son rêve via des études exigeantes : Sciences po Paris puis Saint-Cyr. Les études supérieures représentent un ascenseur social qui fonctionne encore, selon vous?

J'en suis convaincu. Les diplômes gardent leur valeur sociale, car vous intégrez un autre milieu, vous interagissez avec d'autres gens. Mais certains diplômes n'ont plus de valeur professionnelle. Ils ne permettent pas de trouver un emploi. C'est là où il y a un problème : dans l'accès au travail.

Des grandes écoles tentent de renforcer la diversité sociale, avec parfois des polémiques. Pour certains, ces mécanismes mis en place lors de la sélection pénalisent les bénéficiaires : les élèves retenus risqueraient de souffrir d'un manque de légitimité. Qu'en pensez-vous ?

C'est n'importe quoi ! Si l'élève est déterminé à réussir et s'il est brillant, cela prime sur la façon dont il est entré. La force du travail détermine la légitimité et les notes obtenues sont le juge de paix.

Ces mécanismes visent justement à réparer une injustice sociale

car nous ne sommes pas tous nés dans le même contexte. Sans eux, la société continuera de fonctionner de façon aristocratique. Seule une poignée d'élèves issus du bon milieu et disposant des moyens financiers pourront intégrer ces écoles. Avec le risque pour elles qu'une certaine consanguinité n'empêche la pensée de se renouveler.

Ismaël, le grand frère interprété par Karim Leklou, semble vivre de combines tandis qu'Aïssa trace un parcours sans fautes, incarnant deux destins que peut se forger un jeune homme né en Algérie et élevé en banlieue parisienne. Quelle différence faites-vous entre assimilation et intégration ?

La force de l'individu : c'est ce en quoi je crois. C'est ce que montre le film, dont l'intégration est le sujet. Chacun de nous présente plusieurs facettes, avec son histoire personnelle, familiale et culturelle.

Aïssa est prêt à tuer et à mourir pour son idéal républicain et démocratique de la France, tout en restant profondément musulman. Quand il porte l'uniforme de l'armée, il est revêtu d'un uniforme français. Mais c'est aussi le cas d'Ismaël qui s'habille du maillot de foot de Zidane.

Au contraire, je définis l'assimilation comme une violence. Elle impose de tuer une partie de soi et représente la destruction de l'identité.

Film Pour la France de Rachid Hami
Film Pour la France de Rachid Hami © Gophoto-MizarFilms

En quoi ce film s'adresse à des lycéens et des étudiants?

Pour la France a une particularité. Il parle d'Aïssa [joué par Shaïn Boumedine], un étudiant comme eux : un jeune homme, avec ses idéaux et ses défauts, en train de se définir.

Quel serait votre message aux étudiants?

C'est important de dessiner son propre chemin et d'avoir une voix singulière, face à des rituels d'intégration de grande école mais, plus généralement, face aux questions sociétales et aux débats politiques. En France, on construit des gens qui pensent par eux-mêmes, et non des photocopieuses.

Alors j'invite chacun à sortir du cliché dans lequel on voudrait le mettre, selon son milieu social, et à aller vers l'autre pour débattre et se faire sa propre idée. Et à accepter d'être convaincu par l'autre et d'être à contre-courant.

Dans le film, la rencontre de l'autre semble possible, notamment par le biais de l'émotion partagée...

Oui. Derrière les différences sociales, c'est sur le plan émotionnel que l'on retrouve l'autre – c'est ce que permet une salle de cinéma. Et dans le film, c'est le cas entre Ismaël et le personnage du général Caillard, interprété par Laurent Lafitte. Par son histoire et ses valeurs, il est proche de la famille Saïdi. Cette vérité-là est la voie de rencontre.

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