Décryptage

Grandes écoles : les obstacles à surmonter pour réussir l’ouverture sociale

Adobe l'ouverture sociale dans les grandes écoles
L'autocensure, la méritocratie : autant de barrières à franchir pour les étudiants issus de milieu défavorisés ou ruraux. © alphaspirit / Adobe Stock
Par Simon Mauvieux, mis à jour le 02 décembre 2021
6 min

Alors que la journée mondiale de l'égalité des chances se tient le 5 décembre, les grandes écoles (HEC, Sciences po, ENS, Polytechnique…) font le constat de la nécessité de diversifier leurs rangs, jugés trop homogènes et ne reflétant pas la société française. Mais pour le moment, la diversité sociale n’est toujours pas au rendez-vous.

Les initiatives pullulent dans les grandes écoles pour faire bouger les lignes et s'ouvrir socialement : fin du concours écrit à Sciences po, bourses et adaptation des concours à l’Essec ou HEC, ou des dispositifs de mentorat comme les Cordées de la réussite. Mais, malgré ces efforts, elles peinent à diversifier les profils. "On doit en faire dix fois plus", plaide Chantal Dardelet, responsable du pôle Ouverture sociale de la Conférence des grandes écoles et directrice du centre Égalité des chances de l’Essec. Car d’importantes barrières psychologiques n’ont toujours pas été dépassées : l’autocensure et la méritocratie notamment.

Des efforts, mais peu de résultats

En janvier 2021, un rapport de l’institut des politiques publiques est venu porter un éclairage scientifique sur le degré d’évolution d’ouverture des grandes écoles entre 2006 et 2016. Et sa conclusion est sans appel : "les dispositifs dits 'd’ouverture', qui ont été mis en place par les grandes écoles depuis le milieu des années 2000 pour tenter de diversifier leur recrutement, n’ont pas atteint leurs objectifs."

Actuellement, les grandes écoles accueillent en moyenne 27% d’étudiants boursiers, mais ce chiffre varie fortement d’une école à l’autre. "Plus l’école est sélective, plus on a de la difficulté à avoir de la diversité sociale. Des écoles ont parfois 60% d’étudiants boursiers quand d’autres en ont 10%", explique Chantal Dardelet.

La barrière de la méritocratie reste infranchissable

Convaincue que la méritocratie à la française n’a pas de sens dans une société multiple et fragmentée, Chantal Dardelet défend des dispositifs qui ne font pas l’unanimité dans le milieu des grandes écoles, comme la bonification des points aux épreuves de sélection écrites, ou le double appel à l’oral. Ce sera d’ailleurs une des nouveautés de la rentrée 2022 à l’Essec, où les 40 étudiants boursiers non admissibles après les épreuves écrites seront sélectionnés à l’oral. "On est complètement marginaux, confie-t-elle, mais à l’Essec, on est majoritaire. Même les étudiants n’approuvent pas tous ce type de mesure."

Car la méritocratie a la peau dure. Une étude menée par le Bureau national des étudiants en école de management montre que 84% des répondants sont contre l’adaptation des concours d’entrée et 70% des étudiants boursiers interrogés sont du même avis. "Nous, on dit à nos étudiants : on ne le fait ni pour les boursiers, ni pour les non-boursiers, on le fait parce que la société a besoin de diversité, si on invente des choses avec des têtes qui se ressemblent trop, ce n’est bon pour personne", rétorque Chantal Dardelet.

En septembre 2021, une mission d’information sénatoriale a produit un rapport sur l’égalité des chances de la jeunesse française. Le constat est toujours le même : "les filières dites d'excellence demeurent insuffisamment ouvertes aux profils diversifiés". La rédactrice du rapport, Monique Lubin, sénatrice des Landes, raconte, elle aussi, avoir eu du mal à faire passer ses idées dans ce rapport qui s’attaque de front à la méritocratie : "Mon rapport n’a pas été voté par le groupe Les Républicains, car j’avais osé préconiser une idée de quota d’élèves boursiers. Ils m’ont renvoyé à la figure que pour eux, c’est le mérite qui compte. La méritocratie c’est terrible, ça renvoie toujours à ce que vous êtes, que vous devez mériter si vous êtes d’un milieu modeste, mais dans les milieux privilégiés, ça ne se discute même pas."

Briser l’autocensure dès le lycée

Mais la sénatrice admet que les quotas ne sont pas l’unique solution pour régler le problème. "Ce n’est pas suffisant, il faut commencer à travailler en amont", explique-t-elle. C’est justement ce que fait Des territoires aux grandes écoles, une fédération d’associations locales qui accompagnent des lycéens des territoires ruraux vers les grandes écoles. "On est né en 2017, en constatant que les politiques d’ouverture sociale avaient délaissé les zones rurales", estime Emma Rouvet, vice-présidente de la fédération.

Aujourd’hui étudiante à Sciences po Paris, elle a suivi un programme de mentorat avec l’association pour intégrer la prestigieuse école. "J’avais besoin qu’on me donne confiance, qu’on me dise que je pouvais le faire et que ce n’est pas discriminant pour moi de venir d’un territoire rural. Ça m’a vraiment aidée", confie-t-elle.

Informations sur les cursus, accompagnement pour postuler, aide pour préparer les concours, l’association apporte un soutien précieux à des étudiants qui, bien souvent, n’avaient pas l’idée de se lancer dans ce genre de parcours. "Quand on est issu d’une classe sociale moyenne ou modeste, on s’interdit de penser à faire une grande école, même si on en a les capacités", abonde Monique Lubin. Briser l’autocensure dès le lycée grâce à du mentorat, tout en formant davantage les professeurs, voilà un bon moyen de casser un premier verrou.

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