Reportage

Dans les lycées agricoles, l'association Phyto-victimes alerte sur les risques sanitaires des pesticides

Julien Guillard, vice-président de l'association Phyto-victimes, intervient devant des lycéens.
Julien Guillard, vice-président de l'association Phyto-victimes, intervient devant des lycéens. © Azaïs Perronin
Par Anna Huot, publié le 19 janvier 2024
6 min

Depuis six ans, l’association qui regroupe des personnes malades à cause des pesticides, intervient dans une dizaine d'établissements pour alerter sur les risques de ces produits. Auprès d’élèves en agronomie d’un établissement de la Sarthe, elle a de nouveau tenté de faire passer le message.

"Pendant ma scolarité, je ne me souviens pas avoir été averti une seule fois sur les risques des produits phytosanitaires. Alors, je m’étais promis de revenir auprès des jeunes pour leur faire passer le message", raconte Julien Guillard, vice-président de l’association Phyto-victimes, créée en 2011 pour venir en aide aux personnes tombées malades à cause des pesticides.

Depuis plusieurs années, les membres de l’association interviennent également dans les lycées agricoles. Ce mardi, dans la Sarthe, Julien Guillard est venu faire de la prévention auprès d’élèves en bac professionnel d’agronomie.

Faire comprendre la nécessité de se protéger

Assis sur le bureau d’un amphithéâtre aux chaises couleur émeraude, il a l’air soucieux et concentré de l’acteur de théâtre qui se remémore son texte avant d’entrer en scène. À travers la fenêtre, de légers flocons voltigent. La température est descendue sous 0°C ce matin.

Des notes de musique résonnent. C’est la sonnerie du lycée qui, en retentissant, amène dans la salle une quarantaine d’élèves. Quelques grincements de chaises, un léger brouhaha puis tous les yeux se portent sur ce nouvel interlocuteur. Julien Guillard démarre dans le vif du sujet : "Qui a déjà utilisé des pesticides ici ?" Dans les rangs, des exclamations : "Monsieur, on n’a pas le droit !"

Pour utiliser des pesticides, un certificat très théorique

Ces élèves de terminale professionnelle passent la moitié de leur temps en apprentissage sur des exploitations agricoles. Mais, pas encore diplômés, ils ne détiennent pas le "Certiphyto", un certificat délivré par le ministère de l’Agriculture, les autorisant à utiliser des produits phytosanitaires.

"J’ai été à votre place, je sais bien qu’on le fait quand même", répond Julien Guillard. Timidement, des mains commencent à se lever. "Et alors, vous vous protégez ou pas ?" demande le quadragénaire. Les élèves l'assurent : "Bien sûr qu'on se protège !" "Blouse ? Gants ? Masque ? Lunettes ?" interroge cet ancien ouvrier agricole. Certains bafouillent. Gants et blouse oui, mais le masque et les lunettes, non : "On n’y voit rien avec la buée", "pas le temps de s’équiper", "c’est pénible à porter". Julien Guillard acquiesce. Ces arguments, il les connaît par cœur.

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Un prospectus de l'association Phyto-victimes./©Azaïs Perronin.

"Avoir une victime en face de nous, c'est différent"

"Quand j’ai commencé, j’étais ouvrier agricole dans une ferme. Les protections, j’en portais quasiment pas. Puis j’ai basculé dans le paysagisme. Pour traiter, j’avais un pulvérisateur à dos. D’ailleurs, levez la main ceux qui en utilisent un." Toutes les mains se lèvent. "Gardez la main en l’air ceux dont le pulvérisateur ne fuit pas." Toutes les mains se baissent.

Julien Guillard esquisse un sourire. "Tous les pulvérisateurs fuient. Le mien aussi fuyait. J’avais le dos trempé, mais comme il faisait chaud, je trouvais ça presque agréable." Dans la salle, l’anecdote décrispe quelques visages. Lui garde un air grave, jusqu’à leur annoncer la découverte de son cancer du sang, en 2017, qu’il fera ensuite reconnaître comme maladie professionnelle.

Un cas loin d’être isolé : "Il y a deux semaines, un ami de mes parents s’est fait diagnostiquer un cancer, il est agriculteur", témoigne Madeline, au dernier rang. Elle et ses deux amies, Isabelle et Laura, saluent l’intervention : "On se doute que c’est dangereux. On voit les pictogrammes sur les bidons, mais avoir une victime en face de nous, c’est différent." C’est la première fois qu’elles entendent réellement parler des risques. De quoi crisper Laura. "Une fois qu’on aura notre bac, on pourra demander le 'certiphyto', grâce à une équivalence dans notre diplôme. Mais cette équivalence, elle est bidon. Les produits phytosanitaires, on n’en parle jamais avec les profs."

Une première alerte pour éveiller les consciences

Au premier rang, Benjamin, lui, est dubitatif. "Plus tard, oui, je mettrai des gants, mais peut-être pas le masque", avoue-t-il avant d’ajouter : "Bien que… Comme dit Julien, ça prendra un quart d’heure. Face à une vie ou un cancer, un quart d’heure, c'est quoi ?" En apprentissage dans une exploitation de maïs, il note des freins. "Quand j’essaye de mettre des protections, mon patron me demande pourquoi je fais ça, alors j’arrête. Il n’y a pas de discussion."

Dans un coin de la salle, Julia Delobel, formatrice en sciences au sein du CFA, a suivi tous les échanges. C’est elle qui a invité l’association. Dans les programmes scolaires, rien n’oblige les enseignants à évoquer les risques pour la santé des pesticides. "Mon mari était arboriculteur. Il a arrêté parce qu’il tombait malade à cause des traitements. Je ne pouvais pas passer à côté de ça", insiste-t-elle.

Cette intervention n’est que le début. Au printemps, elle prévoit tout un chapitre sur les CMR : les produits cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques. "Mon objectif, c'est d’illustrer avec leur quotidien, explique-t-elle. Par exemple, je leur dis d’aller sur le site de l’Institut national de recherche et de sécurité et de taper les molécules qu’ils utilisent pour voir celles classées CMR. Généralement, ils en trouvent tous une".

Pour cette professeure, ces séances sont loin de laisser les élèves insensibles et elle s’enthousiasme de voir des jeunes de plus en plus alertes au fil des années.

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