Témoignage

"Je suis plus que jamais convaincue de ma mission" : des professeurs combatifs après l'attentat à Arras

Minute de silence dans un lycée de Bordeaux en hommage aux victimes de l'attentat commis à la cité scolaire Gambetta-Carnot à Arras.
Minute de silence dans un lycée de Bordeaux en hommage aux victimes de l'attentat commis à la cité scolaire Gambetta-Carnot à Arras. © Sebastien ORTOLA/REA
Par Marine Ilario, publié le 17 octobre 2023
6 min

Après l’attaque au couteau qui a coûté la vie à Dominique Bernard, enseignant de lettres au lycée Gambetta d’Arras, l’heure est au recueillement. Mais face à l’horreur, de nombreux enseignants veulent, plus que jamais, continuer à exercer le métier qu’ils ont choisi.

"Pourquoi un enseignant a été tué ?", "Pourquoi on s’en prend à l’école ?", "Est-ce qu’on est en sécurité au lycée ?", "Il y a un lien avec le conflit israélo-palestinien ?", "Pourquoi on cible l’école ?" Ce lundi 16 octobre, trois jours après l’assassinat d’un enseignant à Arras (62), les questions des élèves étaient parfois nombreuses.

Face à eux, des professeurs, encore sous le choc, pas toujours armés pour répondre à toutes les interrogations. Pour autant, si l’heure est encore à l’hommage et au recueillement, de nombreux professeurs se disent prêts à faire face une nouvelle fois à l’horreur, et poursuivre leur mission : former les élèves à devenir les citoyens de demain.

Un temps d’échange ce lundi

Lundi, une journée d’hommage a été décrétée. Deux heures ont été banalisées le matin pour permettre aux enseignants et aux personnels de se retrouver et d’échanger avant de reprendre le chemin des classes.

"Le but de cette matinée était de réfléchir ensemble à la manière dont nous allions accueillir les élèves", explique Benoît Guyon, professeur de SES dans un lycée de Belfort (90) et co-président de l'association des professeurs de SES (Apses). Selon lui, le temps est encore au recueillement. "Nous échangeons sur les faits, mais le temps n’est pas encore venu d’intellectualiser et de rationaliser ce qu’il s’est passé."

Une minute pour se recueillir

En début d’après-midi, une minute de silence était organisée dans les établissements pour rendre hommage à Dominique Bernard, mais aussi Samuel Paty, assassiné dans des conditions similaires, trois ans auparavant.

Pour Aurélien Broisat, professeur d’histoire-géographie dans un lycée à Boulogne-Billancourt (92), ces temps de recueillement restent malheureusement très ponctuels et ne déclenchent pas nécessairement un travail de fond avec les élèves. "J’imagine que dans beaucoup de classes, les enseignants auront fait la minute de silence puis auront enchaîné avec leurs cours habituels."

Et pour cause. "Certains collègues ne se sentent pas à l’aise avec ces questions et pas suffisamment armés pour en parler devant les élèves", reconnaît le professeur qui prévoit déjà, de son côté, des temps d’échange cette semaine avec ses élèves.

Favoriser la discussion avec les élèves

Et pour cause, en tant que prof d'histoire géo, Aurélien Broisat ne se sent pas démuni pour parler de ces questions. Même pire, il est accoutumé du fait. "Ça fait 12 ans que j’ai l’impression de faire ça tout le temps, j’ai presque pris l’habitude de devoir gérer ces situations de 'l’après'."

Maxime Reppert, professeur d’histoire-géographie dans un lycée de Bourgogne et vice-président du syndicat des personnels de l'Éducation nationale (SNALC), n’a pas préparé "un discours tout prêt" pour ses élèves. "L’idée est d’être dans l’échange. Je vais partir de leur ressenti et les laisser s’exprimer."

Un travail qui repose souvent davantage sur les professeurs d’histoire-géographie. "Dès qu’il se passe quelque chose dans l’actualité, ça retombe souvent sur nous, reconnaît Aurélien Broisat. C’est forcément lié à notre discipline, c’est plus facile pour nous, mais du coup, c’est à nous d’assumer ce genre de chose."

Des professeurs vulnérables

Un rôle qu’ils avaient déjà tenu trois ans auparavant avec l’assassinat de Samuel Paty. "On avait eu de la sidération et de l’effroi", se souvient Déborah Caquet, professeure d’histoire-géographie dans l’Essonne. "Aujourd'hui, c'est de la colère qui mène à la détermination. Je suis, plus que jamais, convaincue de l'importance de ma mission".

"La semaine dernière, j'ai passé beaucoup de temps en cours sur le conflit israélo-palestinien à essayer d’expliquer, de donner des clés de réponse aux élèves. Après le drame, on refait le chemin à l’envers. On se dit qu’on a forcément dit des choses qui auraient pu déplaire à des intégristes", admet Aurélien Broisat.

Certains professeurs, du fait même de la discipline qu’ils enseignent, se sentent plus vulnérables. "On prend conscience que les enseignements sont parfois sensibles, confirme Maxime Reppert, comme la laïcité avec le port de l’abaya, la liberté d’expression avec les attentats de Charlie Hebdo, mais aussi en SVT avec l’éducation à la sexualité par exemple."

Pour autant, l’envie de continuer anime déjà de nombreux professeurs. "On est encore sous le coup de l’émotion, mais on sait que le quotidien va vite reprendre le dessus" concède Aurélien Broisat, qui après avoir ressenti de l’abattement, sait qu’il va retrouver "la vitalité de ce qu’[il] fait".

Tout comme Déborah Caquet, qui entend ne pas laisser l’islamisme la "détourner de [son] métier, pour l’exercer comme avant".

Quand l’amour du métier prend le dessus

"Ce week-end, je ressentais du découragement. Je me disais : 'À quoi ça sert tout ce qu’on fait, si c’est pour prendre de tels risques ?' Mais ce matin, je me retrouve face à mes élèves qui ont beaucoup de questions et là, le métier reprend le dessus", explique Aurélien Broisat.

Si les craintes sont encore bien présentes, Benoit Guyon ressent déjà l’envie de continuer à former les élèves au mieux. "C’est notre métier, on l’a choisi pour que les élèves aient les moyens de s’exprimer dans la société de demain".

"On sait qu'il n'y a pas de risque zéro. On peut être pris pour cible, au hasard ou parce qu'on est professeur d'histoire-géographie, mais il faut continuer de faire notre métier comme avant, avec rigueur, dans la tolérance et l'ouverture", clame Déborah Caquet.

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