Reportage

Hommage à Dominique Bernard : "C'était mon professeur de français"

Des élèves ont déposé des fleurs et des mots lors de l'hommage à Dominique Bernard au lycée Gambetta d'Arras.
Des élèves ont déposé des fleurs et des mots lors de l'hommage à Dominique Bernard au lycée Gambetta d'Arras. © Léa Fournier
Par Clément Rocher, Léa Fournier, publié le 16 octobre 2023
6 min

Un hommage national à Dominique Bernard, enseignant assassiné par un terroriste vendredi, a été rendu ce lundi 16 octobre, trois ans jour pour jour après la mort de Samuel Paty. Une émotion très vive régnait à Arras, en solidarité avec tous les établissements de France.

A 14 heures ce lundi 16 octobre, tous les collèges et lycées de France ont gardé le silence pendant une minute. Un hommage national à Dominique Bernard, professeur de français assassiné vendredi 13 octobre lors d'un attentat, dans la cité scolaire Gambetta-Carnot d'Arras (62).

Mais également une pensée pour Samuel Paty, professeur d'histoire-géographie lui aussi assassiné par un terroriste il y a trois ans jour pour jour. C'est d'ailleurs depuis son ancien collège du bois d'Aulne à Conflans-Sainte-Honorine (78) que Gabriel Attal et Elisabeth Borne ont participé à ce recueillement. "Jamais la barbarie ne l'emportera face au savoir", a exprimé la Première ministre avant la minute de silence.

Des dizaines de personnes à Arras

Des mots qui ont résonné jusqu'à la ville d'Arras, théâtre de l'attentat de vendredi dernier. Peu avant 14 heures, des dizaines de personnes patientent devant la cité scolaire Gambetta-Carnot pour pénétrer dans la cour de récréation. De nombreux élèves ont apporté des roses blanches.

"Je suis dans l’incompréhension totale", soupire Coralie, maman de deux enfants scolarisés en sixième et en cinquième. Elle avait rencontré Monsieur Bernard à l’occasion des réunions parents-profs de sa fille aînée, aujourd’hui étudiante.

"C’est un grand choc. Je suis venue pour accompagner mes enfants, pour soutenir l’école. Et en hommage à Monsieur Bernard, qui ne méritait pas ça. Je trouve ça important d’être solidaires dans ces circonstances." Cette maman est inquiète, surtout pour sa fille. "Elle a vu Monsieur Verhaeghe [le professeur d’EPS blessé, ndlr], ensanglanté. Ça l’a perturbée, explique-t-elle. Donc on a essayé d’en parler avec elle ce week-end."

Des dizaines de personnes attendent pour déposer un mot ou une fleur au lycée Gambetta à Arras.
Des dizaines de personnes attendent pour déposer un mot ou une fleur au lycée Gambetta à Arras. © Léa Fournier

Des élèves perturbés et apeurés

Plus loin, au milieu de la foule ordonnée, Alice attend son tour pour entrer dans le collège-lycée. "C’était mon professeur de français", chuchote la fillette de douze ans. Elle aussi est venue avec des fleurs blanches. À l’aide de trombones, deux feuilles sont accrochées à l’emballage plastique. Sur l’une d’elles, on peut lire : "Nos professeurs, nos héros." Pour Alice, il était important de venir rendre hommage à son enseignant. "Parce que Monsieur Bernard a sacrifié sa vie pour plus de 1.600 élèves."

Vendredi lors de l’attentat, la collégienne était chez elle. Mais sur Internet, elle a vu les vidéos de l’attaque. Pour elle, impossible de dormir ce week-end. Elle a pleuré pour son professeur. Aujourd’hui, Alice se dit "encore un peu traumatisée, même si ça va mieux."

Le sentiment qui domine pour elle, c’est "la peur". "Maintenant, je me dis que le collège n’est pas vraiment sécurisé, explique–t-elle. Et là, je me sens un peu paniquée, parce qu’il y a eu une alerte à la bombe ce matin. S’il y a encore un attentat et qu’on est tous à l’intérieur…"

La présence policière est encore bien visible au lycée Gambetta d'Arras.
La présence policière est encore bien visible au lycée Gambetta d'Arras. © Léa Fournier

"Ça ne pourra jamais être pareil"

Le lycée-collège a en effet été évacué lundi matin en raison d'une fausse alerte à la bombe. "On voulait aller à la cellule psychologique, mais avec l’évacuation, on a changé nos plans", expliquent Evy et Marence. Les deux lycéennes de 16 ans viennent d’assister à l’hommage. Elles étaient présentes au moment de l’attaque. Marence était dans une salle de classe et Evy dans la cour.

"J’ai couru, je suis montée et je n’ai pas voulu regarder parce que je n’étais pas trop bien. J’ai fait une crise d’angoisse", raconte la jeune fille, qui ressent "de la colère pour l’assaillant. Il a traumatisé un lycée entier. On appréhende le retour en cours. Le fait de passer tous les jours ici, ça fait qu’on va s’en rappeler tout le temps. Ça ne pourra jamais être pareil."

Pour Marence, ce rassemblement du jour était important. "C’était émouvant et ça fait qu’on réalise un peu plus", explique-t-elle. Elle ajoute : "Revenir au lycée une fois en étant tous ensemble, ça fait du bien. Plutôt que d’y retourner seule pour les cours."

Avant l'hommage, une matinée d'échanges

Dans tous les collèges et lycées du pays, les deux premières heures de cours de la journée ont été annulées pour permettre aux enseignants de se retrouver et préparer le retour des élèves. Au lycée Jean-Pierre Vernant, à Sèvres (92), des échanges ont eu lieu dès l'arrivée des élèves en classe.

"C'était important d'en parler ce matin. Ce week-end on a vu beaucoup de choses dans les médias. On voit aussi que des professeurs sont plus touchés que d’autres par la situation", affirme Nawel. "Je trouve ça bien d’en parler parce que ça touche tout le monde, enchaîne Elyia. Mais il ne faut pas 'psychoter' et essayer de passer à autre chose."

Les lycéens ont aussi eu l'occasion d'interpeller Prisca Thévenot, secrétaire d'État chargée de la Jeunesse et du Service national universel, qui a participé à l'hommage dans leur lycée. "Qu’est-ce qu’on pourrait faire à notre niveau pour se sentir protégé ?", lui demande un lycéen de terminale. "Il faut être vigilant. Si vous avez le moindre doute, le moindre questionnement, levez la main et appelez à l’aide. Attention ne vous mettez jamais en danger", répond la secrétaire d’État.

Les élèves du lycée Jean-Pierre Vernant à Sèvres comme dans tous les établissements scolaires français ont respecté une minute de silence.
Les élèves du lycée Jean-Pierre Vernant à Sèvres comme dans tous les établissements scolaires français ont respecté une minute de silence. © Clément Rocher

Inciter les élèves à s'exprimer

"Les jours à venir ne seront pas simples. S’il y a des choses que vous ne comprenez pas, parlez-en, vous êtes accompagnés et soutenus. Tout le monde est à votre disposition", rassure Prisca Thevenot.

Pour autant, certains élèves préfèrent pour le moment garder leurs pensées et leurs questionnements pour eux. "Ce matin, des élèves n’avaient pas spécialement envie d'en parler, observe Antoine Châtelet, professeur de philosophie. Il y a une sorte de mise à distance à l’égard de ce qu’il s’est passé. Il faut pourtant susciter cette envie de parler même s’ils n’en ont pas le désir, soit par timidité, soit par désintérêt, soit par incrédulité."

Des cellules psychologiques ont été ouvertes dans différentes académies pour accompagner élèves, familles et enseignants dans les prochaines semaines.

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