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Premier job : que faire si vous êtes victime de harcèlement sexuel

Harcèlement
Sébastien Millet : "Le chef d’entreprise reste la seule autorité compétente pour prendre les mesures nécessaires." // © Bertrand Demee © bertrand demee
Par Danièle Licata, publié le 27 octobre 2014
1 min

Regards insistants, humour graveleux, voire gestes déplacés… un collègue ou votre n+1 vous met mal à l'aise par ses sous-entendus à connotation sexuelle. Comment réagir et quels sont vos recours pour éviter que cela ne devienne destructeur ? Les conseils d'un avocat.

Victime de l'attitude perverse de son patron, Sophie, 23 ans, assistante en marketing dans une PME de province, craque. Presque honteuse, elle se replie sur elle-même... Le cas de Sophie n'est pas isolé. Pour savoir comment réagir en pareille situation, l'Etudiant a interviewé Sébastien Millet, avocat, spécialiste en droit du travail et des risques professionnels.

À partir de quand peut-on estimer être victime de harcèlement sexuel au travail ?

"La loi définit dorénavant le harcèlement sexuel de deux manières. Il y a d’une part le harcèlement 'classique' par répétition de propos ou comportements à connotation sexuelle, dont la manifestation se traduit soit par une atteinte à la dignité de la victime, soit par une situation intimidante, hostile ou offensante à son égard. Comme en matière de harcèlement moral, il faut ici une certaine forme d’acharnement. Par exemple, une mauvaise blague ne relèvera pas a priori du harcèlement sexuel. En revanche, travailler dans un climat où les propos ou gestes à connotation sexuelle sont banalisés sous couvert de plaisanterie peut virer au harcèlement. Le développement massif des nouvelles technologies de l’information et de la communication en entreprise vient considérablement faciliter ce risque. Et puis, il y a le harcèlement 'par assimilation', plus grave, pour lequel la loi considère qu’un fait unique et isolé suffit à être répréhensible, même sans répétition. C’est typiquement le cas du chantage sexuel, qui suppose une pression grave et l’intention réelle ou même simplement apparente d’obtenir des faveurs sexuelles."

Sébastien Millet

Sébastien Millet, avocat, spécialiste en droit du travail et risques professionnels // © S. Millet

Comment prouver qu’il s’agit bien de harcèlement sexuel ?

"D’une manière générale, la personne qui s’estime victime de harcèlement sexuel doit se garder de former des accusations à la légère. Il faut a minima établir non pas un simple ressenti subjectif, mais des faits objectifs permettant de présumer l’existence d’un harcèlement. En l’absence de témoin direct, cela risque bien souvent d’être 'parole contre parole'. Le risque d’être enregistré devrait la plupart du temps être dissuasif. Attention toutefois à la tentation d’utiliser les outils technologiques (smartphones notamment) pour capter des images ou enregistrements sonores à l’insu de l’auteur des faits : si la preuve tirée de tels enregistrements peut être recevable au pénal, cela peut néanmoins constituer une infraction pour l’auteur des enregistrements."

Que faire en cas de harcèlement ?

"Les processus de harcèlement peuvent être très sournois et destructeurs. Ils conduisent bien souvent à l’isolement de la personne qui en est victime, particulièrement si celle-ci est vulnérable sur le plan physique ou psychologique, ou en situation de précarité économique. À l’impunité de l’auteur des faits peut s’ajouter le sentiment d’injustice, surtout si la victime a été contrainte à la démission comme seule échappatoire. Pour éviter cela, il convient d’agir avec bon sens et de poser des limites rapidement et très clairement face à des comportements déplacés. Dans toutes les entreprises, les textes relatifs à l’interdiction du harcèlement sexuel doivent être affichés, par mesure de prévention et d’information. Si cela ne suffit pas, il faut savoir que l’auteur de harcèlement est passible de sanctions disciplinaires. La loi du 4 juillet 2014 vient de le réaffirmer en précisant que l'employeur doit prendre toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les faits de harcèlement sexuel, d'y mettre un terme et de les sanctionner. Il existe d’autres relais au sein de l’entreprise pour évoquer ces situations (CHSCT, comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ; délégués du personnel ; médecin du travail), mais le chef d’entreprise reste la seule autorité compétente pour prendre les mesures nécessaires."

Et si le harceleur est le supérieur hiérarchique, voire le dirigeant de l’entreprise ?

"Le fait de profiter de l’existence d’un lien hiérarchique ou de subordination juridique constitue un détournement de pouvoir et une circonstance aggravante, même si le harcèlement sexuel peut également exister entre simples collègues de travail. Le fait par exemple pour un cadre investi d’une responsabilité hiérarchique de harceler sa collaboratrice peut justifier une procédure de licenciement pour faute grave. Lorsque l’auteur est le chef d’entreprise lui-même, la situation est bien entendu plus difficile et aboutira quasi inévitablement à une rupture du contrat de travail à l’initiative du salarié ou de l’employeur, mais avec un dénouement judiciaire devant la juridiction du travail (conseil de prud’hommes), voire la juridiction pénale (tribunal correctionnel). En cas de plainte pénale, la victime pourra se constituer partie civile, mais c’est le procureur de la République qui décidera de l’engagement de poursuites. La rétractation d’une victime est très délicate : il en va de sa crédibilité."

Quels sont vos conseils si on est victime de harcèlement ?

"Dans un contexte d’entreprise et de relations de travail, chaque personne, quel que soit son statut, doit garder une attitude professionnelle. Refuser de subir des comportements assimilables à du harcèlement, qu’il soit moral ou sexuel, est légitime et ne peut constituer une faute professionnelle. La loi protège le travailleur (y compris le stagiaire) contre d’éventuelles mesures discriminatoires à titre de rétorsion, notamment pour avoir témoigné ou relaté des faits de harcèlement sexuel. Attention néanmoins à toujours agir de bonne foi sans tomber dans la dénonciation calomnieuse qui constitue également un délit pénal. Faire une publicité sur une situation de travail, via les réseaux sociaux par exemple, n’est pas une preuve et peut au contraire conduire au problème de 'l’arroseur arrosé' ...  Le sujet est toujours délicat à aborder, mais en présence de faits caractérisés, la victime aura toujours intérêt à alerter en interne sa direction par écrit, afin de faire jouer la voie hiérarchique.

Harcèlement sexuel : ce que dit la loi

Il y a deux ans était promulguée la loi du 6 août 2012 relative au harcèlement sexuel, comblant un vide juridique. Cette loi vient sécuriser juridiquement le délit de harcèlement sexuel en donnant une définition plus précise de cette infraction, en renforçant la protection des victimes et en allongeant les peines encourues. Deux ans après, si les mentalités évoluent et la mobilisation des pouvoirs publics est réelle, les phénomènes de harcèlement sexuel restent une réalité prégnante de notre société. En témoigne l’enquête IFOP-Défenseur des droits de mars 2014 consacrée au harcèlement sexuel. Cette étude révèle que 20 % des femmes en ont été victimes au cours de leur carrière. La loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, portée par Najat Vallaud-Belkacem, alors ministre des Droits des femmes, de la Ville, de la jeunesse et des Sports, entrée en vigueur le 6 août 2014, renforce les outils législatifs pour mieux lutter contre le phénomène et donner aux victimes de nouveaux moyens d’action.

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