Portrait

Comment je suis devenue juriste, spécialisée en droits des femmes

Clémence Joz dans les locaux de l'association féministe AVFT
Clémence Joz dans les locaux de l'association féministe AVFT © Clémence Joz
Par Martin Rhodes, publié le 07 mars 2018
8 min

Clémence Joz, 28 ans, est juriste chargée de mission à l'AVFT (Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail), la seule organisation spécialisée dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans le milieu professionnel. Elle allie au quotidien sa formation d'avocate avec ses convictions de femme féministe.

Dans son travail, "les journées, les semaines et même les mois ne se ressemblent pas." C'est d'ailleurs ce qui lui plaît le plus dans le poste de juriste chargée de mission à l'AVFT. Ainsi, en s'inspirant d'un exemple récent, Clémence nous détaille le déroulement d'un accompagnement juridique.

Une jeune femme, commerciale dans une PME (petite ou moyenne entreprise), la contacte par téléphone. Elle est déboussolée mais décidée. Pendant plus d'une heure, elle lui raconte son quotidien professionnel, les blagues salaces de ses collègues masculins en plein open space, les récits détaillés de leurs ébats devant la machine à café, les photos pornographiques en guise d'économiseur d'écran. Des propos et des faits dégradants, qui perturbent l'organisation de son travail.

La jeune femme a tout essayé. Elle a informé son supérieur à plusieurs reprises, mais celui-ci s'est toujours montré peu réceptif. En outre, elle est la seule de son équipe a ne pas avoir reçu de promotion en fin d'année, sans raison valable. Elle se sent "discriminée", mais hésite à employer le terme de "harcèlement sexuel". A priori, comme le lui confirme Clémence, elle est pourtant bien victime de ce qu'on appelle le "harcèlement sexuel d'ambiance ou environnemental", un principe consacré par la jurisprudence. Sachant que le harcèlement sexuel est un délit pouvant être puni de deux ans de prison et 30.000 € d'amende.

Pièces à conviction et convictions féministes

Clémence demande tout d'abord à la jeune femme de réunir l'ensemble des preuves qu'elle a en sa possession, comme des pièces médicales, des échanges de SMS ou de mails avec des collègues. Des éléments qui vont notamment lui permettre de rédiger un courrier de dénonciation officielle, qui sera envoyé en recommandé à l'employeur. Dans ce courrier, elle rappelle alors les faits évoqués plus haut, l'obligation légale de l'employeur en termes de prévention du harcèlement sexuel, de la santé et de la sécurité au travail. Elle mentionne également l'obligation de non-discrimination des victimes et des témoins de harcèlement.

Plusieurs mois après l'envoi de ce courrier, la situation s'est aggravée et la jeune femme a été licenciée pour inaptitude. "L'association ne compte que cinq juristes. Nous n'avons malheureusement pas les moyens d'accompagner judiciairement toutes les victimes qui nous contactent", confie Clémence, avant d'ajouter : "Nous choisissons donc en priorité les contentieux qui peuvent faire jurisprudence, et ainsi améliorer la législation en matière de harcèlement sexuel."

Le cas de la jeune commerciale victime de harcèlement sexuel d'ambiance est justement l'une de ces questions juridiques stratégiques pour l'AVFT, dont l'intervention est entièrement gratuite. L'association passe donc à la vitesse supérieure, des conseils juridiques à l'accompagnement dans les procédures judiciaires. Un rendez-vous physique est alors organisé. D'une durée de trois à quatre heures, parfois difficile pour les personnes harcelées, il se déroule en trois temps : présentation des missions et de la méthodologie de l'AVFT, récit de la victime, et enfin examen des actions juridiques possibles. Au nom de l'association, Clémence peut notamment proposer de saisir le Défenseur des droits, intervenir volontairement devant le conseil des prud'hommes, se constituer partie civile devant le tribunal correctionnel ou une cour d'assises. Son expertise sur les violences sexistes et sexuelles est un atout, et elle peut être amenée à plaider aux côtés de l'avocat de la plaignante. En moyenne, les juristes de l'AVFT suivent un dossier pendant quatre ans.

Appel téléphonique, courrier recommandé, rendez-vous physique, puis potentielle procédure juridique. La démarche est toujours plus ou moins la même. Si les femmes sont les principales victimes des violences sexistes et sexuelles au travail, leur profil diffère grandement d'une affaire à l'autre. "Tous les milieux sociaux, tous les secteurs d'activité, tous les échelons sont concernés, soupire Clémence. Il n'y a pas de profil type de la victime, ni même d'ailleurs du harceleur."

Ado curieuse et graine de militante

Comment naissent les vocations ? Pour certains, il faut un déclic, un événement marquant ou un élément déclencheur. Pour d'autres, c'est une évidence et il n'a jamais été question de faire autre chose. Clémence fait partie de cette dernière catégorie. Elle veut être avocate depuis sa plus tendre enfance. Elle grandit en Bourgogne. Au lycée, elle est "une élève studieuse et une ado curieuse", notamment passionnée de cinéma. Elle dévore les livres de l'avocate, femme politique et militante féministe Gisèle Halimi. Son modèle de femme de convictions, à la fois forte et combative, est à l'époque tout trouvé. "C'est à cette époque-là que tout s'est joué. J'ai commencé à me questionner, le plus souvent avec ma mère, sur l'égalité femmes-hommes, la place des femmes dans le travail et plus largement dans la société, se souvient la jeune femme. Et puis j'avais des exemples très contrastés autour de moi". D'un côté de son arbre généalogique, le modèle de ses grands-parents maternels. Subversifs pour l'époque, ils se sont mariés tardivement et se répartissent les tâches quotidiennes de manière très équitable. De l'autre côté, le schéma inverse de ses grands-parents paternels qui incarnent pleinement le système patriarcal. Clémence a choisi son camp et son "petit côté poil à gratter", son militantisme, s'affirme de jour en jour.

Elle passe le bac littéraire, option cinéma et audiovisuel, avant de s'inscrire en double licence droit et science politique à l'université Jean-Moulin de Lyon. Le passage du lycée à la fac, d'un environnement scolaire très cadré à une autonomie quasi totale, ne se fait pas en douceur. Après avoir validé le premier semestre de justesse (10/20 de moyenne générale), "grâce à [ses] capacités et ses acquis du lycée", Clémence s’effondre au second semestre. Elle doit alors rattraper près de la moitié des matières. "Je pensais que ça passerait en faisant le minimum, comme je l'avais toujours fait jusqu'à présent, mais non, analyse-t-elle. J'ai véritablement trouvé mon rythme et ma méthode de travail à partir de la deuxième année."

Un temps d'acclimatement et un réajustement qui lui permettent de se sentir comme un poisson dans l'eau à la fac. La suite de ses études supérieures est un long fleuve tranquille. Clémence valide sa double licence, s'inscrit en droit international, puis part étudier en 2011 à l'université de Glasgow, en Écosse, dans le cadre du programme Erasmus+. Elle se retrouve, avec une quelques d'étudiants étrangers, en "immersion totale dans le cursus des étudiants écossais". Le droit anti-discriminatoire la passionne. Et enfin avec des cours qui évoquent les droits des femmes ! Cette année d'échanges et de réflexions marque fortement sa vie d'étudiante.

De retour en France, elle opte pour un master 2 recherche de droit comparé à l'université parisienne Panthéon-Assas. Elle fait un premier stage d'une durée de trois mois à l'AVFT, avant de partir étudier à l'université de New York dans le cadre de sa formation. Son mémoire, largement inspiré de son expérience professionnelle à l'AFVT, s'intitule : "Au-delà de l'explication culturelle : étude comparée du harcèlement sexuel au travail en France et aux États-Unis". Dans la foulée du M2, elle intègre l'institut d'études judiciaires de son université, puis l'école de formation du barreau de Paris. Clémence décroche le CAPA (certificat d'aptitude à la profession d'avocat), en octobre 2016. Quatre mois plus tard, la déléguée générale de l'AVFT la recontacte. "Elle venait de décrocher un appel à projets de la Région Île-de-France lui permettant de recruter une juriste en CDD [contrat à durée déterminée]. J'ai accepté sans hésiter !", se rappelle-t-elle encore émue.

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