Décryptage

"Les femmes sont invisibles" : à l'ENS, le manque de femmes dans les métiers scientifiques sujet d'une table ronde

Lors de la table ronde, plusieurs intervenants se sont interrogés sur les facteurs et les solutions à mettre en place pour améliorer la présence des femmes dans le monde scientifique.
Lors de la table ronde, plusieurs intervenants se sont interrogés sur les facteurs et les solutions à mettre en place pour améliorer la présence des femmes dans le monde scientifique. © Clément Rocher
Par Clément Rocher, publié le 13 octobre 2023
6 min

À l’occasion de la sortie du long-métrage d’Anna Novion, "Le Théorème de Marguerite", tourné à l’ENS-PSL, l’école a organisé un débat sur la sous-représentation de femmes en sciences.

L’absence de femmes dans les filières scientifiques n’est plus à démontrer. Dans l'enseignement supérieur, les classes préparatoires scientifiques et les écoles d’ingénieurs accueillent moins de 30% de jeunes femmes.

Du côté de la recherche, seulement un quart des doctorants en mathématiques sont des femmes. C'est le cas de Marguerite, personnage principal du film d'Anna Novion Le Théorème de Marguerite, qui sortira le 1er novembre. Cette étudiante fictive de l'Ecole normale supérieure-PSL (ENS-PSL) est la seule femme de sa promo lorsqu'elle termine sa thèse.

Tourné en partie à l'ENS-PSL, le film y a également été projeté mardi 10 octobre, avant la tenue d'une table ronde sur le manque de parité dans les métiers et carrières scientifiques. Autour de la table, plusieurs intervenants se sont interrogés sur les facteurs et les solutions à mettre en place pour améliorer la présence des femmes dans le monde scientifique.

"Les professeures de maths auront disparu en 2075"

"On recule sur la présence des femmes en sciences, notamment en maths", souligne la chercheuse en sociologie Clémence Perronnet. Si rien ne change, les professeures de maths auront disparu en 2075."

L’ENS est déjà confrontée à ce déficit d’enseignantes-chercheuses en mathématiques, en physique et en informatique. "On y travaille, mais on est entre 10 et 20% de femmes. Dans les disciplines dans lesquelles on pense qu'il faut être vraiment brillant, on va trouver plus d’hommes", reconnaît Anne Christophe, directrice adjointe sciences de l'ENS.

Le quotient intellectuel n'a pas de genre

Les stéréotypes liés au genre demeurent encore bien ancrés dans la société actuelle. Il est pourtant scientifiquement prouvé qu’il n’y a pas de différence de quotient intellectuel entre un homme et une femme.

Néanmoins, notre environnement et nos pratiques culturelles et sportives conditionnent dès la petite enfance nos futurs choix d'orientation. "En moyenne, les garçons vont faire plus de jeux de construction, de jeux sportifs. Ces inégalités vont exclure plus tard une partie de la population à l’accès à certaines professions", pointe Thomas Breda, professeur associé à l'École d'économie de Paris.

Ce n'est pas une impasse. Chez certains de nos voisins européens, les femmes exercent en effet un rôle majeur dans les sciences. "Dans les pays scandinaves, les plus égaux du point de vue du genre, on retrouve la plus forte représentation des femmes en maths et en sciences", continue Thomas Breda. Alors, comment expliquer une telle différence en France ?

Une mauvaise représentation des sciences

Durant leur parcours scolaire, les collégiennes et lycéennes ont moins confiance en elles que leurs camarades masculins. "À performance égale, les garçons et les filles ne perçoivent pas leurs capacités de la même façon. Les filles se sous-estiment en permanence", observe Clémence Perronnet.

"On sait qu’on ne naît pas avec la bosse des maths. Ce n’est pas inné. L’intérêt pour les sciences se perd à l’âge de 15 ans", poursuit-elle, en ajoutant que les sciences ne renvoient pas une bonne image aux jeunes filles, aussi bien dans les lectures que dans les musées. "Tout ce qu’elles vont y trouver vont les convaincre que les sciences ne sont pas pour elle."

Lorsqu'on évoque des scientifiques, l’imaginaire collectif les renvoie souvent à des savants fous, sans famille. "Les femmes sont invisibles. Les personnes qui s’intéressent aux sciences ne leur ressemblent pas", assure Clémence Perronnet.

"Les stéréotypes de genre se perpétuent. La construction des identités se fait en regardant le monde tel qu’il est et faire des maths ne va pas de soi pour une jeune fille", confirme Thomas Breda, qui appelle à une meilleure représentation des sciences.

À la recherche de rôle modèle féminin

Les femmes scientifiques ont un rôle prépondérant à jouer pour éveiller la curiosité des plus jeunes. "Il faut faire connaître aux jeunes filles les parcours de femmes scientifiques : ce sont des rôles modèles. Elles font passer le message car les lycéens et lycéennes n’ont pas conscience de cette sous-représentation", assure le professeur.

Au niveau de la fiction, au cinéma comme dans le séries télévisées, trouver une femme scientifique comme Marguerite susceptible d’inspirer les jeunes filles s’avère compliqué, rendant l'identification plus difficile.

"Le monde de la fiction, qui pourrait être libéré des contraintes, n’est pas plus égalitaire, regrette Clémence Perronnet. Il y a un véritable déficit de modèle de fiction. Les personnages qui sont à la fois brillants et intelligents sont des hommes."

"Il faut que tous les acteurs de la société se mettent en jeu"

Sylvie Retailleau, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et elle-même scientifique, est venue conclure le débat. "Cela fait des années que les maths n’attirent pas. On a des filières scientifiques qui ne remplissent pas […] L’éclairage d’études sociologiques, de neurosciences montrent que c’est l’effet d’une construction culturelle. Il faut que tous les acteurs de la société se mettent en jeu."

La ministre assure travailler de concert avec le ministère de l’Éducation nationale pour remédier à cette désaffection pour les sciences. "Il faut regarder la manière d’aborder l’enseignement dès le primaire, de montrer les exemples dans les manuels, qui ne correspondent plus aux valeurs des jeunes."

Un travail qui concerne notamment le lycée. Avec la réforme du bac, la part de filles suivant au moins 6 heures de maths en terminale est passée de 47,5% en 2019 à 40% en 2021.

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