Interview

Salomé Saqué : "On ne donne pas aux jeunes la place qu’ils méritent"

Pour Salomé Saqué, les jeunes sont "dépendants de décisions prises le plus souvent, par les plus âgés".
Pour Salomé Saqué, les jeunes sont "dépendants de décisions prises le plus souvent, par les plus âgés". © Marine Ilario
Par Marine Ilario, publié le 18 mai 2023
9 min

VIDÉO. À l’occasion de la sortie de son livre "Sois jeune et tais-toi", l’Etudiant a rencontré Salomé Saqué, jeune journaliste pour Blast. Elle détaille (et contredit !) les clichés qui entourent les jeunes et appelle à plus de solidarité intergénérationnelle.

"Ce livre est un appel à l'action." Donner de la voix aux jeunes qu’on n’entend pas assez. Voilà le crédo du livre "Sois jeune et tais-toi" de Salomé Saqué, journaliste pour le média en ligne Blast.
Dans cet ouvrage, la jeune femme de 28 ans livre une analyse poussée des critiques proférées à l’encontre des jeunes. Statistiques et paroles d’experts à l’appui, elle les démonte une à une.
Pour l’Etudiant, elle revient sur la genèse de son livre et plus que de mettre les générations dos à dos, elle appelle à leur collaboration pour avancer ensemble.

Comment est née l’envie d’écrire ce livre ?

J’ai eu envie de l'écrire parce que je subissais souvent des remarques liées à mon âge, avec la tendance de moins prendre ma parole au sérieux.
J’avais cette sensation qu’on n’écoute pas assez les jeunes, qu’on ne leur donne pas la place qu’ils méritent. Jai eu envie d’écrire un livre pour explorer tous les clichés que l’on entend sur eux et voir s’ils étaient fondés.

De quels clichés parle-t-on ?

Que les jeunes seraient narcissiques, égoïstes, paresseux, accros aux écrans, incultes, etc. Pendant mon enquête, je me suis rendu compte que ces clichés sont infondés par bien des aspects. Je me suis appuyée sur des statistiques, des études sociologiques, mais aussi sur une série de témoignages de jeunes pour appuyer ces sources.
J’ai donné de la voix à des jeunes de milieux sociaux, d’opinions politiques et d’âges différents aussi puisque, selon l’INSEE, on est jeune quand on a entre 18 et 29 ans.

Vous avez senti un besoin de s’exprimer de la part des jeunes que vous avez rencontrés ?

J’ai eu énormément de facilité à recueillir des témoignages quels que soient les milieux sociaux d’où venaient les jeunes. Ils avaient tous envie de m’expliquer ce qu’ils vivaient.
Avec la crise sanitaire, il y a eu une dégradation sans précédent de la santé mentale des jeunes en France. Une descente aux enfers qui, pour beaucoup, s’est opérée en silence. Résultat, on se retrouve en février 2023 avec ce chiffre ahurissant : un jeune sur cinq souffre de trouble dépressif.
Une partie de la jeunesse a sombré en silence parce qu’on n’est pas venu l'écouter vraiment, sans jugement préalable, sans idées préconçues.

Quelle critique faite aux jeunes vous semble la plus insupportable ?

Ce sont les accusations en paresse, le fameux : "Les jeunes ne veulent plus travailler". Parce que c’est totalement faux. Aucune statistique ne montre que les jeunes seraient plus paresseux qu’avant.
C’est particulièrement insupportable et violent à entendre pour tous les jeunes qui galèrent. Et ils sont nombreux ! Beaucoup rêvent d’avoir un emploi à la hauteur de leur qualification et pour lequel ils donneraient tout. Et pourtant, ils enchaînent les stages et les statuts précaires sans jamais accéder à un emploi stable.
C’est d’autant plus insupportable que ces critiques viennent de ceux qui n’ont pas eu à s’insérer sur un marché du travail aussi difficile. Si, dans les années 70, tout n’était pas rose, les statuts précaires n’existaient pas.
La précarité de l’emploi en 1982 était de 17%. Aujourd’hui, elle est de 52%. Autrement dit, la moitié des emplois pris par les jeunes sont des emplois précaires : CDD, intérim, auto-entreprenariat. Ce sont, avant tout, des jeunes qui pédalent le soir pour nous apporter notre repas !

Dans votre livre, on apprend que les critiques envers les jeunes existent depuis l’Antiquité. Pas de quoi s’inquiéter alors ?

Les critiques à l’encontre des jeunes ne sont pas nouvelles et ce sont les mêmes depuis 3.000 ans ! La différence aujourd’hui, c’est que la génération des plus âgés est plus nombreuse.
Les plus de 60 ans, en France, sont deux fois plus nombreux que les 18-29 ans, ce qui leur donne une forme de pouvoir par leur poids démographique, mais aussi par les positions qu’ils occupent dans les grandes entreprises, en politique ou dans les médias. Aujourd’hui, ce sont eux qui décident pour nous. Donc s’ils ont une mauvaise opinion des jeunes, c’est problématique.

Concrètement, en quoi c’est un problème ?

Par exemple, nous sommes dans un contexte inédit d’urgence écologique. On voit que nos modes de vie, les décisions politiques, l’organisation de notre modèle économique compromettent gravement l’avenir de notre génération. Et nous sommes dépendants des décisions, en matière environnementale, prises le plus souvent, par les plus âgés.
Or, on est face à une inégalité générationnelle inédite. Selon la revue Science, un jeune né en 2020 va connaître sept fois plus de vagues de chaleur qu'une personne née dans les années 60. Il faut souligner cette inégalité pour la résoudre et mettre en lumière l’urgence d’agir collectivement et vite.

C’est ce que vous expliquez dans votre livre : "La collaboration des générations est une des conditions de la préservation de l’habitabilité de notre planète". C’est fort !

Ce livre, c’est un appel à l’action. Pour donner envie d’agir, il faut avoir envie de préserver l’avenir des plus jeunes et pour ça, il faut connaître leur réalité et avoir une certaine empathie pour eux.
Je ne veux pas, avec ce livre, appeler à blâmer les générations précédentes. Ce serait contreproductif alors qu’on a besoin qu’elles agissent à nos côtés. L’heure n’est pas à la recherche de coupables, mais de solutions. Pour les mettre en place, on a un besoin vital des générations les plus âgées.

D'ailleurs de nombreux jeunes s’engagent. Une manière de garder espoir ?

Les jeunes ne peuvent pas tout changer seuls, mais ils sont clairement une partie de la solution. Et certains s’engagent de manière plus ou moins poussée. Mais là encore, ils sont souvent critiqués.
Dès qu’un jeune va agir pour une cause (climatique, féministe, antiraciste etc.) on va souligner le fait qu’il n’est pas parfait. Oui, il y a des jeunes qui font la queue pour acheter des vêtements SheIn fabriqués dans des conditions absolument déplorables. Oui, certains s’engagent pour le climat, mais continuent de prendre l’avion.
Je pense que les jeunes n’ont jamais prétendus être parfaits et qu’ils ne l’ont jamais été dans l’histoire. Donc plutôt que de s’attarder sur le négatif, on pourrait encourager le positif de ces engagements.

On vous érige parfois en porte-parole des jeunes. Êtes-vous d’accord avec ça ?

Je trouve ça dangereux de considérer qu’un ou une jeune soit le ou la porte-parole de la jeunesse. Parce qu’il n’y a pas une mais des jeunesses. On n’est pas jeune de la même façon selon que l’on vienne d'un quartier urbain aisé ou d’un territoire rural isolé.
Je me vois avant tout comme une connexion entre différents jeunes et les médias. J’ai essayé de porter la parole de ces jeunes, mais je n’entends pas l’incarner.
Je me suis permise, dans le livre, de prendre quelques fois mon cas personnel parce que mes expériences peuvent appuyer le propos, mais ce serait faux de me considérer comme une porte-parole de la jeunesse.
"Sois jeune et tais-toi", Salomé Saqué, ed. Payot, 320p.,19,90 €.

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