Reportage

École de production : apprendre son futur métier en l'exerçant

Faraz, Antoine, Jean-Louis et Mathias, ont intégré il y a un an l'école de production de Briacé pour devenir ouvriers du paysage.
Faraz, Antoine, Jean-Louis et Mathias, ont intégré il y a un an l'école de production de Briacé pour devenir ouvriers du paysage. © Catherine de Coppet
Par Catherine de Coppet, publié le 05 octobre 2017
9 min

Peu connues du grand public, les écoles de production sont des formations à part, ouvertes aux jeunes uniquement sur leur motivation. En plaçant les élèves dans la réalité concrète de l'entreprise, elles dispensent une pédagogie originale. Reportage à Briacé, où l'on apprend le métier d’ouvrier du paysage.

On les qualifie parfois de "décrocheurs", mais de leur passion, ils n'ont jamais décroché ! Tombés dans la marmite du jardinage, la plupart dès leur tendre enfance, les élèves de l'école de production du pôle de formation de Briacé, au Landreau en Loire-Atlantique, s'épanouissent dans la taille, la tonte, le débroussaillage et autre plantation de haie. Grâce à cette formation originale et encore peu développée en France (il existe une vingtaine d'écoles de production sur le territoire – voir encadré), ces futurs ouvriers du paysage se forgent une solide expérience professionnelle, tout en apprenant leur métier, en deux ans.

Mais ici, il ne s'agit pas d'apprentissage au sens strict : le principe d'une école de production est d'être en même temps une entreprise, qui délivre des prestations facturées à des clients (entreprises, collectivités ou particuliers). Ce matin-là, les huit élèves de première année ont rendez-vous à 9 h chez un couple, pour un toilettage approfondi de leur grand jardin.

Au milieu des pommiers chargés de fruits, le "maître professionnel" donne ses instructions : "Il faut alléger ce noisetier dans l'allée pour laisser passer les véhicules, arracher le lierre dans la haie, débroussailler sous les arbres…" Un "chantier", c'est le terme consacré, qui devrait s'étaler sur deux jours.

Des élèves un peu fâchés avec l'école traditionnelle

Rapidement, les tâches sont attribuées par le formateur et responsable de la formation, Gaspard Bregeon, paysagiste professionnel. "Toi, Nicolas, ça fait longtemps que tu n'as pas utilisé le débroussailleur, non ? De toutes façons vous allez tourner sur les différents postes !" Assez vite, il est clair que tout est matière à apprentissage : plantes nouvelles, chargement de la remorque, espaces verts aperçus sur le trajet depuis la route…

Ici, la sélection à l'entrée ne se fait que sur la motivation, via un entretien, à condition d'avoir moins de 20 ans. Les élèves sortent pour la plupart de 3e ou d'une formation qu'ils ont écourtée, et sont un peu fâchés avec l'école classique. "Je ne me suis jamais senti très bien dans les salles de cours, admet Thomas, 16 ans, qui se rêve paysagiste. J'aimerais faire de l'aménagement, dans les jardins d'eau."

Chez les clients, les élèves sont suivis pas à pas par leur maître professionnel.
Chez les clients, les élèves sont suivis pas à pas par leur maître professionnel. © Catherine de Coppet

"J'aime travailler dehors, j'ai pris le relais de mon père dans le jardin familial depuis longtemps", confie à son tour Guilhem, 15 ans. "J'adore découvrir la nature, le nom des plantes et des fleurs, je me vois travailler là-dedans plus tard", sourit Elvis, 16 ans, réfugié venu du Cameroun. "Un petit groupe, c'est bien, sinon on n'arrive pas à se repérer !", ajoute Adrien, 16 ans, yeux bleus et taches de rousseur.

De fait, la formation d'ouvrier du paysage de l'école de production est limitée à huit places. "Nous avons une fourgonnette pour les déplacements qui ne peut pas accueillir plus d'élèves", explique Gaspard Bregeon. Or les chantiers prennent une place déterminante dans la formation : "Dès le deuxième jour, nous étions chez un client avec les première année, indique le responsable, qui se charge du repérage chez les clients et de l'établissement des devis. Quand nous avons ouvert l'école en septembre dernier, en quinze jours le planning de chantiers était plein !" Un pari réussi pour le pôle de formation de Briacé, qui compte plusieurs établissements d'enseignement privé, et était organisé à l'origine autour des métiers viticoles et agricoles.

70 % de pratique

Au quotidien, sur 30 heures hebdomadaires, la pratique compte pour 70 %, l'académique, 30 %. À côté des prestations, les élèves réalisent de nombreux travaux pratiques sur le site de l'école, pour s'entraîner : du dallage à la maintenance des outils et machines, en passant par l'élaboration de massifs, les tâches sont très variées. Situé dans un parc arboré de 7 hectares, au milieu duquel trône un château du XIXe siècle, le site de Briacé se prête parfaitement à ces exercices.

Les élèves de l'école dispose de sites de pratique en plein air, notamment pour apprendre à planter ou daller.
Les élèves de l'école dispose de sites de pratique en plein air, notamment pour apprendre à planter ou daller. © Catherine de Coppet

En classe, les cours se partagent entre explication théorique du métier, disciplines traditionnelles (français et maths), et apprentissages spécifiques : les élèves apprennent ainsi à reconnaître les plantes et à les nommer (ils tiennent d'ailleurs un herbier), mais aussi à communiquer avec un client.

CAP de jardinier paysagiste

À 11 h 30, les élèves de deuxième année entament leur dernière heure de cours de la journée, avec William Rabiller, paysagiste professionnel également, et ancien élève de Briacé. Il fait partie des quatre enseignants intervenant au sein de l'école. "On va s'intéresser maintenant aux bétons décorés. On commence avec le béton poreux", annonce-t-il.
L'enjeu, in fine, est de préparer les jeunes au CAP de jardinier paysagiste, qu'ils passeront en fin d'année. "Je suis assez stressé, avoue Mathias, 18 ans, en deuxième année, j'ai du mal à retenir le nom des plantes…" Même problème chez Faraz, réfugié venu du Pakistan, qui a intégré l'école en janvier : "Le plus dur, ce sont les cours à l'écrit", explique le jeune homme de 18 ans qui ne connaît le français que depuis un an. Chaque "leçon" est projetée sur l'écran de la salle, et l'enseignant prend bien soin d'attendre que chaque élève ait eu le temps de noter.

Les élèves de première année passent eux aussi un examen, le titre professionnel d'ouvrier du paysage. Une façon de pouvoir valider leurs compétences le plus tôt possible. "Ces jeunes seront opérationnels sur le marché du travail en sortant de l'école, explique Gaspard Bregeon. Il y a de réels besoins dans la profession." La première année, les élèves ont le statut de stagiaires de la formation continue, la deuxième année, ils sont sous statut scolaire.

Des clients satisfaits

Du côté des clients de l'école, c'est la satisfaction qui l'emporte. "Les élèves sont venus trois ou quatre fois cette année pour entretenir le grand parc qui entoure le siège social, témoigne Hervé Ploux, DG de Flor'Atlantic, entreprise spécialisée dans la location de plantes. Ils ont assuré comme des professionnels, ils sont motivés et ont du bon matériel ! Je les ai recommandés à un ami qui a aussi sa société." Le patron d'entreprise souligne n'avoir eu aucune mauvaise surprise...

Chez le client, les élèves doivent aussi charger et décharger le matériel.
Chez le client, les élèves doivent aussi charger et décharger le matériel. © Catherine de Coppet

Parmi leurs clients, les élèves de l'école de production comptent également le pôle de formation de Briacé lui-même ! Régulièrement, ils prennent en effet le relais des élèves de formation continue du site, pour l'entretien de son immense parc. Une prestation également facturée, mais sans TVA. Cet après-midi, ce sont les élèves de deuxième année qui s'y collent : tondeuses, débroussailleuses, souffleuses et râteaux sont de sortie. Dans l'allée, les élèves saluent d'autres jeunes, élèves du lycée de Briacé. "On est mélangés à l'internat, c'est très sympa", explique Mathias. Une façon douce de renouer avec la sociabilité scolaire... sans les inconvénients !

Les écoles de production, entre formation et entreprise

Labellisées par la Fédération nationale des écoles de production (FNEP), ces établissements privés d'enseignement technique, à but non lucratif, forment des jeunes à partir de 15 ans. Préparant soit aux diplômes de l'éducation nationale (CAP, bac pro), soit à des certifications et titres professionnels du RNCP (Répertoire national des certifications professionnelles), elles sont originales par leur modèle économique, car elles s'apparentent à de petites entreprises. De fait, leur financement dépend pour un tiers de la production réalisée par les élèves et commercialisée par l'école, un tiers par la taxe d'apprentissage, et un tiers par les régions.

À cheval entre cursus professionnalisant et apprentissage, ces formations sont par ailleurs ouvertes à tous, en fonction de la motivation. "Une école accueille entre 40 et 45 jeunes en moyenne", précise Corentin Rémond, délégué générale de la FNEP. Certaines écoles peuvent être adossées à un organisme existant (organisme de formation adulte, établissement scolaire, école d'ingénieurs) ou sont complètement autonomes. Il en existe actuellement 25 sur le territoire. Elles couvrent des champs très variés : métallurgie, menuiserie, développement informatique, paysagisme, restauration collective, textile, etc.

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