Décryptage

Premiers ECOS tests : une épreuve classante proche du "fiasco" selon les étudiants en médecine

Les ECOS sont déterminants pour accéder à l'internat de médecin.
Les ECOS sont déterminants pour accéder à l'internat de médecin. © Adobe Stock/Summit Art Creations
Par Pauline Bluteau, publié le 21 mars 2024
8 min

Après les EDN en octobre dernier, les étudiants en sixième année de médecine se sont attelés à leur deuxième épreuve phare : les examens cliniques objectifs et structurés. Les oraux blancs, organisés à l'échelle nationale le 12 mars, ont révélé de nombreuses failles. De quoi inquiéter les externes qui passeront les examens, pour de vrai, fin mai.

"Nous avons des retours dans toutes les facultés", résume Jérémy Darenne, président de l'ANEMF (association nationale des étudiants en médecine de France). Et ces retours concernant l'organisation des premiers ECOS (examens cliniques objectifs et structurés) tests sont loin d'être positifs.

Si certains vont jusqu'à évoquer un "carnage" sur les réseaux sociaux, les étudiants en sixième année de médecine sont surtout inquiets du déroulement des futures épreuves officielles qui se tiendront en mai prochain.

Les ECOS, une première dans les universités

Organisés pour la toute première fois en France, les ECOS sont déterminants pour accéder à l'internat de médecine. Réforme oblige, en plus des EDN (épreuves dématérialisées nationales), les externes doivent aussi passer des épreuves orales.

Au total, dix sessions de huit minutes où les candidats répondent à des situations cliniques face à un jury. L'objectif est surtout de mettre les étudiants face à de faux patients pour analyser leurs connaissances médicales, mais aussi leur savoir-être, leur empathie, leur pédagogie…

"La mise en place de cette nouvelle épreuve a mobilisé 2.600 enseignants et la quasi-totalité des personnels administratifs des 33 UFR concernées", souligne la Conférence des doyens de médecine. L'institution considère que ce test à grande échelle "a rempli ses objectifs", à savoir "montrer la faisabilité des ECOS nationaux".

"Après une première enquête de sortie d’examen à laquelle ont répondu 24 facultés sur 33, les retours sont globalement positifs de la part des étudiants, des enseignants-chercheurs, des personnels administratifs et des patients/acteurs qui ont participé à cette épreuve", confirme la Conférence.  

Un examen loin d'être équitable selon les étudiants

Mais du côté des étudiants, le tableau semble beaucoup moins rose. "De nombreux défauts ont été constatés, car même s'il y a un cadrage national, c'est bien la mise en application au local qui a pêché", estime Jérémy Darenne. L'ANEMF pointe notamment les "mauvaises prestations des participants standardisés, un manque de vigilance des examinateurs, une mauvaise adaptation des sujets au matériel".

Léo, étudiant à l'université de Strasbourg (67), évoque, lui aussi, "pas mal de couacs". "L'un des circuits était organisé dans la bibliothèque : les candidats étaient séparés par des paravents, ils pouvaient entendre toutes les réponses", détaille-t-il. De quoi rompre l'équité entre les étudiants.

Un avis partagé par Hélène, étudiante à l'université de Reims (51), pour qui les sujets étaient aussi "moins cohérents" que prévu. Parmi les exemples cités : interroger le proche d'un patient sans raison apparente, participer à des transmissions avec une infirmière peu informée ou encore, interpréter une imagerie avant d'interroger le patient pour faire un diagnostic.

La présence des patients standardisés pointée du doigt

Et si pour l'étudiante, "globalement, tout s'est bien déroulé", avec une "organisation bien ficelée", elle met tout de même un bémol sur les interactions avec les patients standardisés. Ces volontaires (souvent bénévoles) sont formés par l'université puis entrainés pour se mettre à la place d'un véritable patient, sans jamais orienter l'étudiant dans les réponses.

Or, dans de nombreuses universités, cette préparation semble bancale. "Certains répondaient 'je ne sais pas' à toutes nos questions, d'autres patients n'ont pas donné les mêmes informations à tous les candidats, notamment sur le traitement pris, les caractéristiques de la douleur. Ça nous met vraiment en difficulté pour poser le diagnostic", explique Hélène.

Léo, lui, s'est retrouvé face à un faux patient peu conciliant. "Il répondait à côté et 'oubliait' de nous fournir des documents. Dans la réalité, un patient réagit rarement comme ça."

Des analyses en cours pour régler les dysfonctionnements

Autant de dysfonctionnements qui inquiètent : "On bosse pendant six ans comme des malades, ce n'est pas pour jouer à la roulette russe. Et là, ça m'a donné le sentiment que c'était la loterie", estime Léo.

Mais la session test pourrait, à terme, remettre en cause la participation aux ECOS des patients standardisés. "Si c'est le même problème en mai, je préfère des stations sans patients, des épreuves écrites uniquement", concède Hèlène. "Nous allons consulter les étudiants : s'ils souhaitent la sortie des patients standardisés, nous le défendrons", assume l'ANEMF.

Car en plus de ne pas toujours maitriser leur rôle, les volontaires ont eu connaissance des sujets plusieurs semaines à l'avance, certains scenarios auraient donc pu être dévoilés avant l'examen. Du côté des doyens, "la suspicion de fuites en amont des épreuves est en cours d’investigation et fera, si elle est avérée, l’objet de poursuites". La Conférence doit aussi analyser les résultats des étudiants pour "mettre en évidence d'éventuelles situations d'iniquité entre UFR ou au sein d'une même faculté entre les différents circuits".

"Les débats vont se poursuivre, pour la session de mai, tout le monde sera plus vigilant. De toute façon, il y aura toujours des risques vis-à-vis des patients parce que c'est inhérent aux oraux, mais il faut faire en sorte que les candidats ne soient pas pénalisés", estime Jérémy Darenne.

En attendant les différentes analyses, à deux mois de l'examen officiel, des mesures doivent être prises. Le ministère de l'Enseignement supérieur rassemblait ce mardi 19 mars le comité de suivi de la réforme dont font parties la Conférence des doyens de médecine et l'ANEMF. "L'objectif est de proposer des pistes d'amélioration qui pourront être applicables en mai", explique Jérémy Darenne.

Plusieurs propositions ont émané : accorder un temps de préparation plus long aux patients standardisés, transmettre les scénarios aux enseignants-formateurs pour qu'ils puissent entraîner les faux patients, valoriser la démarche médicale du candidat et moins son interaction en tant que telle avec le patient…

"Les examinateurs pourraient aussi qualifier les interventions des patients, notamment s'ils n'ont pas bien répondu aux questions des étudiants, de sorte que le candidat ne puisse pas être pénalisé", préconise l'ANEMF. Les grilles d'évaluation pourraient également être transmises aux étudiants pour qu'ils puissent prendre connaissance des attendus et "éviter un étalage de connaissances".

Des épreuves classantes pour l'admission en internat

Selon les deux étudiants, cet examen présente tout de même beaucoup d'intérêt mais peut-être "uniquement dans le cadre de la fac". Car si la session test reste est comptabilisée pour valider la sixième année de médecine dans la plupart des universités, la session de mai sera, quant à elle, classante pour intégrer l'internat. Or, interrogé en octobre dernier sur l'importance des ECOS dans le classement, le doyen de la faculté de médecine de Lille, Marc Hazzan, confirmait d'ailleurs que ces épreuves - qui ne comptent que pour 30% de la note - pourraient bien bouleverser le classement final.

Mais l'heure n'est plus à la négociation selon l'ANEMF : passer d'un système classant à validant cette année nécessiterait une modification de la loi, intenable en si peu de temps. "La modification des règles sera délicate et l’épreuve de mai prochain ne pourra faire l’objet que d’ajustements mineurs", appuient les doyens, alors même que "le caractère classant des ECOS impose des contraintes organisationnelles très importantes".

Sans compter que comme le rappelle Hélène, "il y a des étudiants qui comptent sur les ECOS pour se rattraper des EDN". Changer les règles maintenant ne serait dès lors plus très équitable. Pour rappel, 7.885 étudiants en sixième année de médecine pourront se présenter aux ECOS en mai prochain avant d'envisager leur internat. Soit 1.200 de candidats de moins comparé aux années précédentes.

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