Témoignage

Premier stage à l'hôpital : l'épreuve du feu pour les étudiants en santé

Les étudiants en santé doivent "se blinder" face aux difficultés lors de leurs stages.
Les étudiants en santé doivent "se blinder" face aux difficultés lors de leurs stages. © New Africa/Adobe Stock
Par Pauline Bluteau, Léo Braillon, Vaniala Radrianarimino, publié le 02 avril 2024
8 min

C'était il y a quelques mois ou plusieurs années déjà mais leur premier stage à l'hôpital, Emilie*, Maëliss et Jérémy s'en souviennent comme si c'était hier. Pour les trois étudiants, l'excitation du début a vite laissé place aux doutes et aux appréhensions. Confrontés aux patients, à la maladie et aux difficultés du métier, ils ont surtout appris à sortir de leur "zone de confort".

"Mon premier jour, c'était un lundi de Pâques. Je suis arrivée le matin, au moment des transmissions. On s'est retrouvé dans une grande salle avec toutes les sages-femmes et les auxiliaires de puériculture, se rappelle Maëliss. J'écoutais et puis tout à coup, le blanc. Je ne savais même pas ce que je devais noter… J'ai voulu me faire toute petite."

Aujourd'hui en cinquième année d'études de maïeutique à Amiens (80), l'étudiante de 22 ans s'amuse de sa toute première expérience à l'hôpital, en suite de couche, au milieu des patientes et de leurs nourrissons. Un peu perdue au début, l'étudiante alors en deuxième année, s'est rapidement mise dans le bain, prête à se lever à la "moindre sonnette" dès qu'une patiente en avait besoin.

Mais il ne suffit pas d'enfiler une blouse pour se mettre dans la peau d'un soignant. Comme Maëliss, Emilie*, étudiante en soins infirmiers et Jérémy, étudiant en médecine, l'ont très vite compris.

Une réalité bien différente de Grey's Anatomy

En études de soins infirmiers, la plongée dans le grand bain arrive dès la première année. "Je suis partie en stage cinq semaines après la rentrée", confirme Emilie, dont la première expérience se déroule dans un EHPAD à Créteil (94). "Les séries médicales comme Grey's Anatomy m'ont beaucoup encouragée dans cette voie même si c'est assez décalé de la réalité", constate-elle rapidement.

L'étudiante découvre le rythme soutenu de son travail : "J’arrivais toute souriante, très naïve car je voulais m’occuper de tout le monde. Mais en fait, tu n'as pas le temps. Ça m’a bien fait déchanter."

Jérémy apprend lui aussi que la vie à l'hôpital "ne se passe pas forcément comme dans les films". "On idéalise beaucoup", estime l'étudiant en médecine. Son premier stage se déroule, pendant sa deuxième année d'études, aux urgences pédiatriques, au Tampon à La Réunion. "Le service était immense, j'étais extrêmement stressé et je ne savais pas où je devais aller", plaisante-il.

Car au-delà d'appliquer la théorie et de pratiquer des gestes sur de véritables patients, le stage permet avant tout de découvrir un univers à part entière. "Il y a beaucoup de monde : les internes, les médecins, les aides-soignants, les infirmiers, etc. Toi, tu arrives, tu ne sais pas comment ça se passe, comment tu dois réagir et surtout, tu dois te présenter à tout le monde. Il fallait tout retenir, les noms, les rôles et je ne savais même pas si je devais les tutoyer ou les vouvoyer", poursuit Jérémy.

Des étudiants peu accompagnés pendant leur stage

Pour les accompagner, chaque stagiaire est encadré par un tuteur. Mais il n’est pas rare que les étudiants aient de mauvaises surprises. Lors de son premier stage, Maëliss tombe sur une tutrice à la fois "pas sympathique et pas avenante" jusqu'à se sentir "potiche" à ses côtés. "On la surnommait La Dragon", confie-t-elle.

Certains gestes, la jeune femme a donc dû les apprendre avec d'autres soignants. "On a souvent l'impression de déranger nos tuteurs. C'est une étudiante en troisième année qui m'a montré un geste que nous pratiquons au quotidien. On avait juste une année d'écart, c'est rien. "

Jérémy, de son côté, pointe du doigt le système très hiérarchisé de l'hôpital. À plusieurs reprises, il s'est senti pris de haut par des médecins qui lui disaient à peine bonjour et faisaient "comme [s'il] n’existai[t] pas".

Mais ce dénigrement peut aller bien plus loin. Emilie en a fait les frais en subissant un bizutage à son arrivée en stage. L’infirmière et l’aide-soignante lui demandent de faire la toilette d’un résident, ce qu’elle n’avait jamais fait. "Au bout de cinq minutes, j’ai bien vu qu’il y avait un problème. Je suis sortie de la chambre devant laquelle elles m’attendaient. Je leur ai dit : 'Je crois que le monsieur ne va pas bien.' Elles ont éclaté de rire." Le patient était en fait décédé.

S'affirmer en tant que futurs soignants

Quelques années plus tard, Emilie reste toujours traumatisée par cette première expérience. Difficile ensuite de trouver sa place dans une équipe. Encore plus, lorsque l'on est déjà assez timide. Pour Maëliss, il a fallu se faire violence : "Dans la vie de tous les jours, je suis assez fermée. Au début, avec les professionnels, j'avais du mal mais j'ai réussi à me décoincer." Devant les patients en revanche, les difficultés disparaissent. Sans "le regard du professionnel qui te juge sur tes paroles", l'étudiante a su trouver sa place très rapidement.

Pour Jérémy, au contraire, c'est plutôt le regard des parents de ses jeunes patients qu'il a fallu appréhender. "Quand on est en pédiatrie, faut gérer non seulement les enfants qui pleurent mais aussi les parents extrêmement stressés." Lors de sa première prise de sang, il se souvient de cette mère qui le regardait "d'une manière un peu bizarre". "Tu as quand même un truc au fond de toi qui te dit que tu vas rater", relate-t-il.

Ajouter à cela la peur de mal faire, de se tromper ou d'aggraver une situation déjà tendue comme lorsque l'étudiant a pris en charge une mère paniquée par le choc anaphylactique (réaction allergique très grave, ndlr) de son enfant. "Je ne savais pas trop comment réagir, je me suis dit si ça se trouve, je vais lui dire un truc qu'il ne fallait pas."

En EHPAD, Emilie s'est donc très vite "conditionnée" pour éviter de paraître hésitante. "Et on ne te laisse pas le choix, il faut quand même bosser", assure-t-elle.

"Se blinder" face à des situations difficiles

Mais préparation ou non, souvent, ce premier stage laisse des traces. Car la force mentale des étudiants est sans cesse mise à l'épreuve. Aux urgences pédiatriques, Jérémy a notamment été confronté des situations d'abus parentaux. "Je ne pouvais pas : j'allais rentrer dans l'émotion et je ne voulais pas", résume-t-il, bien conscient de ses limites.

Au contraire, en réanimation néonatale, Maëliss a préféré "rentrer directement dans le dur pour se blinder". Une décision pas évidente mais nécessaire, comme l’affirme l’étudiante : "Voir des bébés sous respirateur toute la journée c'est dur quand tu as 18 ans, mais ça m'a aidé pour la suite."

Les accidents, les maladies graves, la mort, Emilie a aussi choisi de s’y plonger rapidement. "J’ai regardé des documentaires, des vidéos. J’ai été curieuse de ça." Face à ces situations, elle en ressort peu impactée personnellement. "C’est voir les familles pleurer qui m’a touchée", nuance-t-elle.

Un stage pour découvrir une vocation

Même si elle reste éprouvante, cette première expérience permet surtout aux étudiants de découvrir leur véritable vocation. "J'ai lu beaucoup de livres mais je voulais savoir si ça me plairait vraiment, dans la vraie vie, précise Jérémy. J'ai été rassuré de voir que je voulais continuer à soigner des enfants même si c'était parfois assez chaud. Ça m'a motivé." Il confirme, ce premier stage l'a fait "sortir de [sa] zone de confort".

Jérémy conseille donc de se préparer mentalement à son stage car il peut être décisif. Rien qu'en première année, 3.400 étudiants en soins infirmiers ont abandonné leurs études en 2021, souvent après leur premier stage. Emilie a hésité. Selon elle, il est essentiel de "s’accrocher en se rappelant pourquoi on fait ce métier" et surtout, de ne "jamais rester dans son coin".

"Il faut beaucoup parler avec les formateurs et les autres étudiants, préconise-t-elle. Et savoir dire non !" Aujourd'hui, elle s'épanouit dans un service de réanimation où elle estime avoir plus de temps pour s'occuper des patients qu'en EHPAD. Un critère essentiel pour exercer son métier sereinement.

De son côté, Maëliss anticipe déjà les difficultés auxquelles elle sera sans doute confrontée une fois diplômée. "Le manque de personnel, de temps, on le remarque dès le premier stage. On a une certaine frustration." Dans des services où les soignants se retrouvent parfois submergés, elle donne un conseil très pratique : "Quand on a envie de manger, de boire, aller aux toilettes, il faut le faire. On se dit qu'on a le droit de rien faire en stage, à part 'bien faire', mais non. C'est vraiment un conseil en or."

*Le prénom a été modifié.

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