Témoignage

#MeToo hôpital : pour les étudiants et internes, "entre ma carrière et porter plainte, j’ai choisi la première"

Le hashtag #MeToo hôpital recense les témoignages de victimes de violences sexistes et sexuelles.
Le hashtag #MeToo hôpital recense les témoignages de victimes de violences sexistes et sexuelles. © Alliance/Adobe Stock
Par Malika Butzbach, publié le 26 avril 2024
6 min

Les violences sexistes et sexuelles à l’hôpital sont un fléau connu par beaucoup d’étudiants et internes lors de leur période en milieu hospitalier. Mais, alors que ces stages ou internats sont soumis à la validation des professionnels, parfois eux-mêmes auteurs de VSS, il est difficile de parler. Pour les étudiants, l’omerta est une réalité à l’hôpital.

"C’est triste de voir qu’en 2024, on en est toujours là", regrette Margot Martinez, présidente du Syndicat représentatif parisien des internes de médecine générale (SRP-IMG). Pour les associations d’étudiants en santé, le sujet des violences sexistes et sexuelles (VSS) au sein de l’hôpital est loin d’être nouveau.

Cependant, la parole se libère un peu plus depuis les accusations portées par l’infectiologue Karine Lacombe contre l’urgentiste Patrick Pelloux pour harcèlement sexuel et moral. Les témoignages de médecins ou étudiantes en médecine victimes de violences sexistes et sexuelles affluent sur les réseaux sociaux et sont de plus en plus entendus par les médias.

Une omerta toujours pesante

Tous dénoncent malgré tout l’omerta qui pèse sur leur récit. "Depuis le mouvement MeToo, on reçoit de plus en plus de témoignages d’internes victimes de ces violences, raconte Margot Martinez. Mais aucun ne veut témoigner par écrit ou porter plainte, par peur des sanctions."

Un constat que partage Pauline Bourdin, présidente de la Fnesi : "chaque mois, on reçoit plus de cent mails de signalement de VSS à l’hôpital de la part des étudiants".

Des agressions pendant les stages à l'hôpital

Cette peur des représailles, Camille* la connaît bien. Aujourd’hui chirurgienne ORL reconnue, elle se rappelle de son premier stage d’internat, il y a plus de dix ans. En prenant souvent des pauses, elle raconte l’agression qu’elle a subie un matin. "Je m’en souviens bien, c’était un mardi vers 6h du matin. Dans un couloir vide, il m’a plaquée contre le mur en chuchotant 'tu sais tout ce qu’on pourrait faire là ?' Heureusement, une infirmière est arrivée et il s’est écarté pour partir. Je tremblais de peur."

Camille est loin d’être une exception. En 2021, une enquête de l’Anemf met la lumière sur les VSS subies par les étudiants en médecine, notamment durant les stages à l'hôpital. Près d’une étudiante sur deux (49,7%) raconte avoir déjà reçu une remarque sexiste dans le cadre de son stage. Plus d’une sur trois (38,4%) dit avoir été victime de harcèlement sexuel, et 6% d’agression sexuelle.

Un constat qui touche d'autres professions de santé. Du côté de la Fnesi, selon l’enquête sur le bien-être des étudiants infirmiers menée en 2022, "un étudiant sur six est victime d’agression durant la formation, dont 70% dans le cadre de leur stage", souligne la présidente.

Jamais durant ces études, Camille a songé à faire remonter cette agression auprès du CHU ou de sa faculté. Pourquoi ? La réponse est toute simple. "Mon agresseur, c’était mon tuteur de stage. Il était reconnu dans le milieu. Me plaindre de lui, c’était me tirer une balle dans le pied pour ma carrière. Et vu que les études sont longues et dures, je ne voulais pas prendre le risque. Entre ma carrière et porter plainte, j’ai choisi ma carrière."

Des signalements a posteriori

C’est là que réside l’origine du silence des victimes. "L’omerta est très forte dans le milieu hospitalier, notamment parce que les victimes sont des jeunes et des étudiantes, et les agresseurs des supérieurs hiérarchiques, des maîtres de stage ou des chefs de service", explique Margot Martinez.

De fait, les victimes craignent pour leur stage ou, sur le plus long terme, leur carrière. "Il y a la crainte d’avoir une mauvaise réputation, voire d’être blacklisté, explique Pauline Bourdin. D’ailleurs, on a des cas d’étudiants qui se sont plaint de leur stage, notamment pour des VSS, et qui ont été exclus de leur formation." De quoi dissuader les autres qui veulent témoigner.

Lucas*, étudiant en Ifsi, reconnaît bien l’existence de cette omerta. "Durant l'un de mes stages, j’ai été témoin de harcèlement envers une autre stagiaire. Certaines personnes du service l’avait prise en grippe et lui parlait très mal, avec des allusions racistes."

Lui n’a pas osé dénoncer ces propos sur le coup. "Après mon stage, j’en ai parlé à certains formateurs et j’ai fait un signalement à la Fnesi. Mais il a fallu que je sois sûr de la validation de mon stage pour réussir à faire cette démarche."

Et il n’est pas le seul. "Tous les mails de signalement que l’on reçoit sur les stages sont écrits a posteriori, soit après la période passée à l’hôpital", observe Margot Martinez.

Seulement 1% de signalement de VSS auprès de l’université et de l’hôpital

Difficile pour un stagiaire ou un interne, qui reste dans le service durant une courte période, de dénoncer les agissements de professionnels qui y exercent depuis longtemps. "On se dit que l’on ne fait que passer, alors on s’accroche le temps qu’il faut", observe Lucas qui a pu discuter de la situation avec sa consœur victime.

Car, entre eux, les étudiants parlent. Selon les chiffres de l’Anemf, plus de 80% des victimes étudiantes interrogées se sont confiées à un proche, 40% à un interne et 9% à un étudiant élu. Mais moins de 1% l’ont signalé auprès du doyen, de l’administration hospitalière ou des forces de l’ordre.

Camille évoque "une toute puissance des médecins connue et reconnue par tout le monde". Un ressenti qu’elle a encore, après plus de dix ans dans les études de médecine et le milieu hospitalier.

Cependant, une chose a changé depuis qu’elle a été diplômée : les étudiants peuvent dorénavant noter leurs stages. Ce qui permet de faire remonter certains problèmes. "Mais il y a une vraie difficulté à témoigner contre des personnes occupant un poste prestigieux", reconnaît Margot Martinez, citant le cas d’un chef de service à Brest, suspendu en 2022 pour harcèlement envers les internes. "Il a fallu plus de 40 témoignages !"

(*) Les personnes qui témoignent ont demandé à rester anonymes

Vous aimerez aussi

Contenus supplémentaires

Partagez sur les réseaux sociaux !