Témoignage

Recherche d'emploi : la corpulence, un frein à l'embauche ?

La loi française, qui condamne certains types de discriminations, est l'une des rares à avoir inscrit "l'apparence physique" comme critère valable.
La loi française, qui condamne certains types de discriminations, est l'une des rares à avoir inscrit "l'apparence physique" comme critère valable. © plainpicture/Blend Images/Chris Clor
Par Catherine de Coppet, publié le 06 décembre 2017
7 min

C'est une discrimination qui n'est pas toujours explicite, mais qui a un nom : la grossophobie. Alors que la loi française est l'une des seules à considérer l'apparence physique comme motif de discrimination, les pratiques des recruteurs ont tendance à confirmer les préjugés de toute une société à l'encontre des personnes corpulentes. Témoignages et conseils.

"Je me suis retrouvé une fois très mal assis dans une chaise à accoudoirs trop petite pour moi lors d'un entretien d'embauche pour un stage. J'ai fait mine de changer de chaise et la personne qui me recevait m'a demandé de rester assis sur cette chaise..." Hakim, 25 ans, jeune diplômé en action publique, ne saura jamais s'il n'a pas obtenu ce stage à cause de sa corpulence, mais une chose est claire : celle-ci n'avait pas l'air au goût du recruteur. Humiliations, silences gênés, quand ce ne sont pas des réflexions directes, la discrimination à l'encontre des personnes corpulentes, obèses ou non, prend des formes variées, et le monde du travail ne fait pas exception à cet égard.

Ce problème de société persiste malgré les lois et les recherches qui l'ont révélé. Dès 2005, l'Observatoire des discriminations de l'université Paris 1 - Panthéon Sorbonne a démontré, grâce à un testing d'envois de CV avec photo, que les personnes obèses avaient deux à trois fois moins de chances qu'une personne de poids moyen d'être appelées pour un entretien (en l'occurence pour un poste de commercial).

Pourtant la loi française qui condamne certains types de discriminations est l'une des rares à avoir inscrit "l'apparence physique" comme critère valable, au même titre, par exemple, que l'âge ou l'orientation sexuelle. "Cela inclut la corpulence, mais aussi la façon de s'habiller, le look", commente Jean-François Amadieu, directeur de l'Observatoire et auteur de plusieurs ouvrages sur le sujet. Malgré cette inscription dans la loi, les recours devant la justice pour ce motif restent rares, selon le Défenseur des droits.

Des entretiens douloureux

Sur la toile, fleurissent les témoignages qui confirment ces préjugés, assénés de façon parfois très violente. En particulier lors d'un entretien d'embauche, moment où se révèlent de façon privilégiée les discriminations. C'est ce que montre le témoignage de "CocoVanylle", youtubeuse beauté, qui a raconté les détails d'un entretien discriminant.

Julie, 23 ans, étudiante en master recherche de langues, a subi le même genre d'affront. Elle travaille en parallèle de ses études comme serveuse en restauration. "Avec mes patrons actuels, tout se passe bien. Mais il m'est arrivé de passer un entretien pour servir dans une brasserie et le recruteur m'avait demandé si je pensais arriver à passer entre les tables pendant le service, raconte-t-elle. Je n'ai pas donné suite."

Pour Jean-François Amadieu, les postes d'accueil du public ou en lien direct avec les clients font particulièrement l'objet d'une discrimination par les recruteurs. "Ce n'est pas seulement la corpulence qui pose problème ici : les employeurs ont rarement envie de mettre à l'accueil une personne senior ou en situation de handicap. La discrimination touche aussi les femmes entre elles. Il faut qu'elles soient minces et blondes, pour dire vite." Comme souvent lorsqu'il s'agit de discriminations, les femmes sont en première ligne.

Mince et blonde

Lucie, graphiste de 33 ans, était obèse à l'époque de ses études. "Comme toute étudiante qui cherche un job, j'ai fait le tour des magasins du coin pour des postes de serveuse ou vendeuse. Je n'ai pas été rappelée une seule fois ! Les gens prenaient mon CV de façon expéditive, ne cherchaient pas à me connaître plus. Une fois, ce sont des vendeurs, jeunes aussi, qui m'ont carrément dit : 'c'est même pas la peine !'."
Parfois, la discrimination est plus insidieuse. Julie se souvient ainsi d'une annonce d'une enseigne d'équipement ménager qui cherchait des jeunes pour distribuer des flyers : " Le texte indiquait qu'ils fournissaient des t-shirts, en précisant qu'ils étaient de taille M !" "J'ai déjà lu des annonces qui demandent une apparence correcte, généralement on sait qu'on a, dans ce cas, aucune chance", renchérit Lucie.
Mais dans l'univers professionnel, les recruteurs n'ont pas le monopole des préjugés qui peuvent aboutir à la discrimination. Celle-ci peut venir des collègues ou, justement, des clients. "J'ai été hôte de caisse un été dans un grand magasin, en faisant de l'intérim, se rappelle Hakim. J'étais le seul homme et la seule personne corpulente. Il arrivait régulièrement que des clients refusent que ce soit moi qui m'occupe d'eux..."

Le préjugé est souvent implicite

Depuis qu'elle est diplômée, Lucie travaille, mais elle a du mal à se faire embaucher de façon stable, en CDI (contrat à durée indéterminée). "Je me demande, du coup, si c'est lié à mon apparence. Quand je compare avec d'autres qui ont les mêmes compétences, ils sont plus facilement embauchés. Quand j'envoie mon CV, je suis souvent appelée, mais une fois l'entretien passé, je n'ai souvent plus de nouvelles", explique la jeune femme, qui envoie toujours ses CV sans photo.
Selon Lucie, même s'il lui est rarement arrivé qu'un recruteur la renvoie à son poids, les préjugés liés à la corpulence influencent beaucoup les employeurs. "Au vu de ce que je vis au quotidien, et des remarques que les gens font dans toutes les circonstances de la vie, c'est évident que cette discrimination existe dans le travail ! C'est un phénomène qui fait partie de l'inconscient de notre société !"

Avancer malgré tout

Face à la discrimination, plusieurs attitudes sont possibles, et parfois compatibles. Si vous pouvez prouver les faits, sachez qu'une action en justice est toujours envisageable, soit en portant plainte, soit en saisissant le Défenseur des droits. Si vous vous faites embaucher tout en ayant subi des remarques désobligeantes à l'entretien, il faut anticiper les difficultés : "Les étudiants sont souvent en situation précaire, ce n'est pas évident de réagir quand on a besoin d'argent. Mais il faut apprendre à être à l'aise avec soi-même. Aujourd'hui, je n'irai pour rien au monde travailler avec la boule au ventre", témoigne Julie.

User d'humour, si vous le sentez, permet parfois de renvoyer votre interlocuteur à ses préjugés, quitte à ne pas obtenir le poste... Au moins, vous serez restés fidèles à ce que vous êtes ! Pour le sociologue Jean-François Amadieu, la difficulté est de passer au travers de cette discrimination liée aux représentations, pour accéder au monde du travail : "Tant que ces préjugés seront à l'œuvre et que les pratiques de recrutement n'auront pas évolué, le candidat doit se focaliser sur ce qui peut être amélioré chez lui, ses marges de progression : l'expression orale, mais aussi la communication non verbale ou encore la présentation."

Sortir du schéma de la séduction

Fervent défenseur du CV anonyme, le sociologue déplore que cette pratique, généralisée dans le monde anglo-saxon, ne soit plus à l'ordre du jour en France. "Le concept a été enterré par le quinquennat de François Hollande, et aujourd'hui les politiques s'enthousiasment pour le CV vidéo, qui est une catastrophe. Il reste beaucoup de travail à faire ! Il faut sortir du schéma selon lequel le recrutement est une affaire de séduction." On commence quand ?

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