Décryptage

Pourquoi l'origine sociale a-t-elle encore un impact sur l'insertion professionnelle ?

39% des enfants dont les deux parents sont cadres connaissent un accès rapide à un emploi stable, contre 26% d'enfants de parents avec une dominante ouvrière.
39% des enfants dont les deux parents sont cadres connaissent un accès rapide à un emploi stable, contre 26% d'enfants de parents avec une dominante ouvrière. © Gustavo Muñoz / Adobe Stock
Par Rachel Rodrigues, publié le 05 juin 2024
7 min

INFOGRAPHIES. Une fois le diplôme obtenu, l'origine sociale a encore un impact déterminant sur le devenir professionnel des jeunes. L'Etudiant décrypte les facteurs d'inégalités qui s'accumulent tout au long du parcours, jusqu'au premier emploi.

Les débuts professionnels n'ont pas le même goût pour tout le monde. Et pour cause, tous les jeunes "n'arrivent pas sur le marché du travail avec le même bagage", affirme Estelle Herbaut, professeure junior au CNRS sur les inégalités éducatives.

Dans les faits, l'accès aux professions valorisées ou à des catégories d'emploi durables varie encore selon l'origine sociale. 

Ainsi, 39% des enfants dont les deux parents sont cadres connaissent un accès rapide à un emploi durable (type CDI), contre 26% d'enfants de parents à dominante ouvrière, selon une étude du Céreq publiée à la mi-mai.

Une grande partie de cet écart s'explique par le diplôme, "encore déterminant dans les systèmes d'organisation et de recrutement français", estime Estelle Herbaut.

Le diplôme, une "clé essentielle" pour l'insertion

Le niveau d'études "joue sur la rapidité d'accès au marché du travail, les conditions d'emploi et les salaires", poursuit Dominique Epiphane, co-autrice de l'étude du Céreq. Selon elle, le diplôme constitue d'ailleurs une "clé essentielle" d'accès au monde professionnel, en France.

Or, la proportion d’élèves enfants d’ouvriers titulaires d'un diplôme du 3e cycle universitaire (bac+5 et plus) semble toujours relativement faible, en comparaison avec celle des enfants de cadres.

Par ailleurs, même à un niveau de diplôme équivalent, la rémunération varie selon l'origine sociale. Selon les chiffres du Céreq, trois ans après l'entrée dans la vie active, le salaire médian d'un enfant de cadres s’élève à 2.400 euros contre 2 .100 pour les jeunes issus de familles à dominante ouvrière. 

Cela s'explique par le poids des spécialités de formation et filières choisies tout au long du parcours (selon qu'elles soient plus ou moins prestigieuses). À titre d'exemple, parmi les élèves en classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE), 54% sont enfants de cadres, et 7% seulement sont enfants d'ouvriers. 

"Les jeunes issus de milieux modestes poursuivent davantage leur cursus de l'enseignement supérieur dans des filières courtes, or la proportion de jeunes avec ces diplômes courts et qui accèdent en début de carrière au statut de cadre devient plus faible avec le temps", détaille Mohamed Harfi, expert référent enseignement supérieur et recherche à France stratégie.

Le poids de l'orientation

C'est précisément derrière ces choix d'orientation que les inégalités se creusent. Le baccalauréat en est peut-être la première preuve concrète, à la fin du lycée. Ainsi, seuls 5% des enfants de cadres n'obtiennent pas le bac, contre 33% des enfants issus de famille à dominante ouvrière

Aussi, les choix de filières dans le secondaire déterminent encore largement les parcours dans le supérieur. "Les enfants d'ouvriers et d'inactifs sont surreprésentés dans le monde professionnel : ils y étaient 57% en 2020, contre un peu moins de 30% dans les filières générales et technologiques", rappelle Mohamed Harfi, en s'appuyant su des données de la DEPP publiées dans le Portrait social 2022 de l'INSEE. 

Or, ces filières professionnelles donnent encore aujourd'hui accès dans une moindre mesure aux cycles longs du supérieur. "Au fur et à mesure des différents paliers d'orientation, une séparation s'opère entre les jeunes", résume Dominique Epiphane.

Des conditions d'études inégales

Une fois arrivés dans l'enseignement supérieur, les étudiants se retrouvent inégalement armés pour réaliser leur cursus. La précarité économique que rencontrent de nombreux jeunes les pousse à devoir prendre un emploi étudiant, ce qui peut contrarier leurs performances académiques. 

Il s'agit plus souvent de "jobs alimentaires" pour les jeunes de milieu modeste : 67% des enfants d'ouvriers s'engagent dans un emploi sans lien avec leur domaine d'études, contre 59% des enfants de cadres, selon une autre étude du Céreq. "L'impact est assez clair sur l'obtention du diplôme", assure Estelle Herbaut. 

Qui plus est, les familles d'origine sociale aisée sont plus à même d'optimiser le parcours scolaire de leur enfant. Entre les stages prestigieux, les mobilités à l'étranger, les années de césure"Les ressources financières et informationnelles des familles les plus favorisées permettent de tirer profit au maximum du diplôme réalisé", détaille la professeure. 

La logique est la même lors de l'insertion professionnelle. "Devoir rester chez ses parents parce qu'on n'a pas les moyens de prendre une location pour un poste sur Paris, quand on est en CDD, ça réduit le champ des possibles", illustre Dominique Epiphane.

Le réseau et les "codes" professionnels

Le rapport du Céréq établit qu’avec un même diplôme (même domaine et intitulé), un enfant de cadres a deux fois plus de chances d’être cadre lui-même qu’un enfant d’ouvrier. Une forme de reproduction sociale dont les facteurs sont donc bien plus complexes qu'un simple CV alignant les bonnes qualifications.

Outre le poids du parcours et des trajectoires universitaires, le réseau professionnel constitue un facteur d'inégalités déterminant au moment de l'insertion professionnelle. D'ailleurs, selon l'APEC , "27 % des candidatures retenues par les entreprises proviennent de recommandations (réseau de contact et cooptation de collaborateurs)". 

Au même titre, 57% de cadres auraient décroché un emploi grâce à leur réseau, précise l'association dans la même étude publiée fin mai. Or, "le milieu social peut donner accès à des réseaux qui permettent d'avoir des infos sur le marché du travail dans un certain domaine visé", explique Estelle Herbaut.

En outre, la chercheuse pointe la transmission plus insaisissable dans les familles favorisées de "savoir-être, de traits de personnalité valorisés" dans les sphères professionnelles. Il en va de même des "codes" professionnels qu'on retrouve autour des grandes professions, comme les avocats, et qui peuvent parfois faire la différence au moment des entretiens.

Lutter contre l'autocensure inconsciente

Pour lutter contre ces inégalités, de nombreux dispositifs ont été mis en place ces dernières années. Sur un total de 105 milliards d'euros mobilisés par l'Etat en faveur des jeunes en 2022, 13 milliards ont été engagés pour favoriser la mobilité sociale, selon France stratégie. Il s'agit de moyens "relativement modestes par rapport au total des moyens consacrés aux jeunes", constate Mohamed Harfi. 

Parmi eux, des dispositifs comme le dédoublement des classes, le Contrat d'engagement jeune, ou encore les Cordées de la réussite. Ces dernières entendent lutter contre l'autocensure des jeunes et permettre une égalité des chances, d'accès et de réussite dans l'enseignement supérieur.

"Des différences d'ambition peuvent exister entre les élèves de milieux sociaux différents", assure en effet Estelle Herbaut, qui préconise de continuer à lutter contre ces déterminismes. Un manque d'informations sur certaines filières prestigieuses peut entraîner "une difficulté pour certains jeunes de milieux modestes à s'y projeter, à s'y imaginer réussir", poursuit-elle. 

Résultat, pointe Dominique Epiphane, "une famille modeste aura tendance à viser moins souvent les CPGE ou filières plus sélectives que les familles plus aisées", en dépit des mêmes notes obtenues au baccalauréat.

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