Décryptage

Pensées suicidaires, tentatives de suicide… : "Les jeunes qui ont des idées noires doivent pouvoir en parler autour d'eux"

Depuis 2014, les pensées suicidaires ont été multipliées par plus de deux chez les 18-24 ans.
Depuis 2014, les pensées suicidaires ont été multipliées par plus de deux chez les 18-24 ans. © Adobe Stock/Anastasiia
Par Rachel Rodrigues, publié le 15 février 2024
6 min

Les tentatives de suicide et les pensées suicidaires sont en forte augmentation chez les jeunes, selon une récente enquête de Santé publique France. Malgré une levée partielle du tabou autour de la santé mentale au sortir du Covid-19, celui autour du suicide persiste.

Il y a plusieurs années, à la suite d'une blessure, Nasrine a commencé à avoir des pensées suicidaires. Isolée, l'étudiante se rend compte qu'elle n'arrive pas à trouver les ressources pour aller mieux. "J'étais comme bloquée, j'avais peur de me faire aider. Résultat : je prenais rendez-vous chez un psy et ensuite, j'annulais."

Après une tentative de suicide fin 2019, elle trouve finalement une oreille auprès de la ligne d'écoute Nightline. "J'ai commencé par appeler, puis raccrocher directement, et au fur et à mesure, j'ai fini par dire quelques mots et ensuite à discuter." Aujourd'hui, elle-même bénévole au sein de l'association, elle a décidé de rendre l'aide qu'on lui avait fournie.

Comme elle, de plus en plus de jeunes sont concernés par ce phénomène. C'est l'une des conclusions de la dernière enquête de Santé Publique France, publiée le 5 février, qui pointe "une augmentation importante des pensées suicidaires et des tentatives de suicide au cours de la vie chez les 18-24 ans, observée depuis une dizaine d’années".

Les pensées suicidaires multipliées par deux chez les 18-24 ans depuis 2014

Un constat d'autant plus frappant qu'il concerne pour la première fois les jeunes dans des proportions plus importantes que les autres tranches d'âge, rapporte l'étude. Dans le détail, les pensées suicidaires ont été multipliées par plus de deux depuis 2014 chez les 18-24 ans. S'il y a dix ans, 3,3% des personnes interrogées déclaraient avoir eu des pensées suicidaires, au cours des douze derniers mois, ils étaient 7,2% en 2021.

La tendance observée pour les tentatives de suicide est presque la même puisque 9,2% des 18-24 ans interrogés déclaraient avoir déjà tenté de mettre fin à leurs jours en 2021, contre 6,1% en 2017.

À Nightline, l'observation s'est confirmée : "Depuis 2020, de plus en plus de jeunes parlent d'idées suicidaires", assure Nasrine. Selon les calculs de l'association, le nombre d'appels et de chats qui abordent cette thématique a augmenté de 14% entre 2022 et 2023.

Les femmes particulièrement concernées

L'augmentation des pensées suicidaires et des tentatives de suicide est encore plus marquée chez les femmes de 18-24 ans. Ainsi, selon Santé publique France, "la prévalence des pensées suicidaires survenues dans l'année (y) a été multipliée par 3", passant de 3,3 à 9,4%. 

Et, 12,8% des femmes âgées de 18 à 24 ans déclarent avoir déjà tenté de se suicider en 2021, contre 5,8% des hommes du même âge, pour la même année.  

D'après plusieurs interlocuteurs interrogés, les violences sexistes et sexuelles, auxquelles ces dernières sont davantage confrontées, peuvent être des facteurs aggravants pour leur santé mentale et fragiliser celles qui en sont victimes.

L'accumulation de plusieurs facteurs de stress

"Une crise suicidaire survient généralement à l'intersection de plusieurs facteurs de stress qui s'accumulent", indique Dominique Monchablon, psychiatre.

Ainsi, pour les étudiants, "la sélectivité et les goulets d'étranglement pour entrer en master peuvent créer de l'anxiété", illustre la psychiatre. Tout comme "la professionnalisation des parcours peut ajouter une pression supplémentaire quant à la nécessité de trouver des stages, d'être constamment dans la mise à l'épreuve professionnelle", argue-t-elle.

Plus globalement, une "quête de performance et de perfection", souvent véhiculée via les réseaux sociaux, peut aussi fragiliser la santé mentale de certains, ajoute Jessica Sautron, psychothérapeute en partenariat avec la Fage. D'autres facteurs peuvent être aggravants comme les situations de précarité ou encore avoir subi des violences sexuelles ou sexistes.

La santé mentale des jeunes mise en lumière par la crise sanitaire

Plusieurs enquêtes le démontrent ; la période du Covid-19 et les confinements successifs ont eu des effets délétères sur la santé mentale des étudiants. Aujourd'hui, "beaucoup de troubles anxieux et affects dépressifs issus de la pandémie n'ont pas été résorbés", pointe aussi Jessica Sautron.

Pour elle, le seul aspect bénéfique de la crise sanitaire, "c'est qu'on a commencé à vraiment parler de la santé mentale des jeunes à ce moment-là". Cette mise en lumière a permis d'enclencher une mobilisation des pouvoirs publics pour proposer une offre de soins aux étudiants, dont le fameux "chèque psy", lancé en 2021 et censé garantir d’abord trois, puis huit séances remboursées.

Outre ces actions, la parole sur la santé mentale s'est en partie libérée depuis la fin de la crise sanitaire. Jessica Sautron a observé que les 18-24 ans avaient de plus en plus le réflexe d'aller consulter. "Beaucoup de jeunes patients que je reçois ont été conseillés par leurs amis où sont venus par le bouche-à-oreille", remarque-t-elle.

"Poser le mot suicide"

Mais plusieurs zones d'ombre subsistent. D'abord, hormis les huit séances remboursées, tout le monde n'a pas les moyens de suivre une thérapie longue. Ensuite, seuls les jeunes en souffrance qui ont suffisamment de ressource pour effectuer une démarche arrivent jusqu'au cabinet. "Plus on va mal, et moins on consulte", résume Dominique Monchablon.

Résultat : "Les jeunes les plus à risque, personne n'arrive encore à aller les chercher", pose la psychiatre. Et pour cause, seul un tiers des 18-24 ans qui font une tentative de suicide se rendent à l'hôpital, selon les chiffres de Santé publique France.

Derrière ce chiffre se trouve le tabou sur la question suicidaire. Beaucoup ont "honte" de ces idées noires, ou "peur de déranger", explique Louise Delavier, directrice des programmes à l'association En avant toutes, qui propose un chat et une ligne d'écoute (via la plateforme Cnae).

Pour aller à l'encontre de ce sentiment, "il ne faut pas hésiter à poser le mot 'suicide' dans la conversation", estime Nasrine. "Les jeunes qui ont ces idées noires doivent pouvoir en parler autour d'eux", abonde Louise Delavier.

C'est précisément l'objectif des chats et lignes d'écoute comme Nightline, ou celle proposée par En avant toutes : redonner confiance avant la mise en relation avec le corps médical. L'expérience de Nasrine en témoigne : "C'est le fait d'en parler, d'être écoutée" qui lui a permis d'oser approcher des professionnels par la suite, et accepter de se faire aider.

Si vous êtes en détresse psychologique, vous pouvez contacter :

- Le 3114, numéro vert dédié et gratuit, 24h/24.

- SOS amitié, 09 72 39 40 50, 24h/24.

- Fil santé jeunes, 0 800 235 236, de 9h à 23h.

- Nightline, de 21h à 2h30

- Le 15 en cas d’urgence.

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