Reportage

Au lycée Voltaire, le blocus pour Théo : "C'est notre seul moyen de nous faire entendre"

Mobilisé "contre les violences policières", le lycée Voltaire a été totalement bloqué, à l'instar de 16 autres établissements parisiens.
Mobilisé "contre les violences policières", le lycée Voltaire a été totalement bloqué, à l'instar de 16 autres établissements parisiens. © Paul Conge
Par Paul Conge, publié le 23 février 2017
1 min

Seize lycées parisiens ont été bloqués, jeudi 23 février 2017, en guise de protestation "contre les violences policières", selon le mot d'ordre de la journée. Au lycée Voltaire, déjà en tête du front contre la loi Travail en 2016, les élèves s'insurgent : "La police, on en a peur".

Obstruées par une douzaine de poubelles empilées les unes sur les autres, les portes du lycée Voltaire, dans le XIe arrondissement de Paris, n'ont laissé entrer personne, ce 23 février 2017. Une banderole surmonte le parvis de l'établissement : "Unité populaire contre les violences policières". Voyez-y un mot de soutien à Théo, ce jeune Aulnaysien qui souffre d'une fissure anale depuis un contrôle d'identité qui a mal tourné. Des blocus de ce type ont touché 16 établissements parisiens, selon le rectorat de Paris, qui a indiqué qu'à ses yeux "les blocages ne constituent pas un mode d'action légitime". Douze autres ont été partiellement bloqués. 

"Notre seul moyen de communiquer"

"Bloquer les lycées, c'est notre seul moyen de communiquer et de nous faire entendre", justifie Carla, 16 ans, devant l'amoncellement de poubelles. "On veut dire qu'on n'a pas envie de vivre, de grandir, d'être éduqué dans la soumission face à la police. On connaît tous quelqu'un qui a été touché par leurs violences." Dans l'esprit de Nolwenn également, une élève de terminale L, piercing à la lèvre, l'image des gardiens de la paix s'est dégradée : "Nos parents nous ont appris que la police servait à nous défendre. Mais quand on voit la police, on a peur".

Lire aussi : Loi Travail : comment la webosphère lycéenne "prépare la riposte"

Ce blocus, arguent certains, est un message direct aux forces de l'ordre. "On veut parler directement aux policiers", assure Nathalie, 17 ans, juchée sur un feu de signalisation. Cette élève de seconde estime que "ce qui est arrivé à Théo, même si je suis une fille, peut m'arriver aussi". Un sentiment répandu. Doudoune bleue, cheveux au vent, Lucille reste un peu en retrait. "Que ce ne soit pas qualifié de viol, c'est révoltant", s'insurge cette lycéenne de terminale S, âgée de 17 ans. Une référence au communiqué de l'IGPN (Inspection générale de la police nationale), la "police des polices", qui affirmait que la blessure de Théo était un "accident, grave et réel", mais y écartait l'idée de "viol délibéré". Bien qu'ils soutiennent la lutte, Lucille et ses deux camarades restent soucieux de leur réussite au bac : "On n'ira pas à la manifestation à Nation, à 11 h, parce qu'on a un cours de maths important. Ce matin, c'était de l'allemand, c'était moins grave...".

Une mobilisation "autonome"

Comment se sont érigés ces blocus ? Via une série d'appels du MILI (Mouvement inter-luttes indépendant) relayés sur les réseaux sociaux, puis dans les salles de classe. "Il y a des gens, les plus conscientisés, qui ont fait des tours de salles de cours, hier, et pendant les heures de perm", reconstitue Charlotte, en pianotant sur son téléphone. Pour décider de la marche à suivre, plusieurs organisateurs se sont réunis tôt ce matin, à 6 h 15, au métro Ménilmontant. Foulard noir sur le visage, Marie* est de ceux-là. "C'est une mobilisation autonome, soutient-elle. On voulait bloquer le lycée de manière à pouvoir aller en manifestation. Cela nous permet de rameuter des gens, sans crainte d'avoir une absence et d'être sanctionné." 

Un professeur d'histoire-géographie lui emboîte le pas : "Ils ont le droit de montrer leur indignation. Personnellement, je ne compterai pas leur absence. Après, c'est idiot de cramer des poubelles..." Quelques minutes plus tôt, une demie-douzaine d'élèves cagoulés ont mis le feu à des conteneurs avant de les jeter en travers de la route. Les pompiers sont vite intervenus.

En 2016, le lycée Voltaire était en première ligne contre la loi Travail. Les confrontations avec la police ont laissé des traces durables, et entériné la défiance. "L'an dernier, on a été gazés, matraqués à l'entrée du lycée. Des copains ont été embarqués alors qu'ils n'avaient rien fait", affirme Nolwenn. Cette année, le feu pourrait bien repartir. La vue d'un élève sévèrement bousculé par la police nationale, ce matin, devant le lycée, laisse Charlotte pantoise. "Je suis encore choquée ! Des manifestations, on en revient toujours égratignés, gazés..." Les lycées en lutte ont tous convergé à 11 h vers la place de la Nation pour un cortège commun. À suivre.

Le blocus pour #Théo vu par les réseaux

À regarder le hashtag #blocuspourtheo, les réseaux sociaux ont réservé un accueil mitigé aux blocus des lycées. D'un côté, les lycéens mobilisés y sont très actifs et relaient des images de leur protestation. On peut y voir des amas de poubelles, des banderoles véhémentes ("Vengeance pour Théo", par exemple). Y est repris aussi un message ironique, "Blocus accidentel", qui orne une banderole accrochée devant le lycée Fénelon, à Paris.
De l'autre côté, des internautes non participants s'insurgent contre ce mouvement, à l'aide parfois de quelques stéréotypes : "J'espère qu'ils ne le faisaient pas seulement pour sécher quelques heures de cours", gazouille une jeune Parisienne. "Faux voyous", lance un autre. Des tweets avec plus ou moins d'humour : "Promettez leur un selfie avec Nekfeu, ils vont retourner en cours".

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