Interview

Claude Lelièvre, historien de l’éducation : "Le bac est une commémoration"

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Pour Claude Lelièvre, Napoléon Bonaparte a créé le bac pour "solidifier le recrutement à l’université, réservoir des cadres scientifiques, administratifs et militaires". © Adobe Stock/PIXATERRA
Par Thibaut Cojean, publié le 16 juin 2020
5 min

Pour la toute dernière édition dans sa forme actuelle, les épreuves du baccalauréat ont été annulées. Avant de passer à une toute nouvelle formule, l’historien de l’éducation Claude Lelièvre revient sur l’utilité, la signification et la valeur de l'examen, de sa création, en 1808, à cette édition particulière de 2020.

Le bac a été créé par Napoléon Bonaparte en 1808. À quoi servait cet examen ?

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À l’époque, ce n’était qu’un examen d’entrée à l’université. C’était un simple oral qui durait entre 30 et 45 minutes, devant un jury d’universitaires. Napoléon a créé cet examen pour solidifier le recrutement à l’université, car elle était le réservoir des cadres scientifiques, administratifs et militaires.

Comment le bac a-t-il évolué ensuite ?

Petit à petit, on va y adjoindre des épreuves écrites. D’abord, du latin, ensuite, une dissertation de philosophie… En 1874, il va prendre une forme qui va durer à peu près un siècle, avec un bac en deux parties. La première se passe en classe de première, avec un certain nombre d’épreuves écrites et d’épreuves orales, et l’autre se déroule en terminale, avec d’autres épreuves écrites et orales. À partir de 1927, il comprend une session de rattrapage, écrite et orale.

Aujourd’hui, presque 8 jeunes sur 10 obtiennent le bac chaque année. Depuis quand n'est-il plus réservé à une élite ?

Pendant un siècle, à peine 1 à 3% d’une classe d’âge avait un baccalauréat. Le moment d’accélération, c’est entre 1959 et 1969. On passe de 10% d’une classe d’âge diplômée d’un bac général à 20%. En 10 ans, cela a doublé ! Puis, de 1969 à aujourd’hui, on est passé de 20% à 38%. Le rythme d’accroissement s’est nettement amoindri.
Deux autres bacs ont été créés : en 1970, le bac technologique et en 1985, le bac professionnel. Aujourd’hui, les bacs technologiques et professionnels représentent plus de la moitié des bacs obtenus. Le bac n’existe pas, il y a des bacs.

Que représente le bac dans la société aujourd’hui ?

Au départ, le bac était un examen d’entrée à l’université. Maintenant, si les trois types de bacs donnent toujours ce droit, ce sont des examens terminaux, qui sanctionnent une fin d’études. Petit à petit, le bac est aussi devenu un marqueur de passage, du statut de jeune encore très encadré par les adultes, à celui où on échappe en partie au contrôle de la famille et de l’école. C’est pour cela qu’on dit souvent : "Passe ton bac d’abord !" Du point de vue de la presse aussi, c’est un moment important. Même à la télévision, on donne les sujets de bac ! Cela montre bien que c’est un rite de passage, une commémoration.

Ce rite de passage est-il perdu pour 2020 ?

C’est la deuxième fois dans l’histoire que les épreuves du bac sont annulées. La première fois, c’était après les émeutes de mai 1968. Que s’est-il passé pour les élèves à l’époque ?

En 1968, il n’y a pas eu d’écrits mais il y a eu des épreuves orales, et il y a eu beaucoup plus de reçus que d’habitude. Alors que seuls 63% des candidats réussissaient le bac en 1967 ou 1969, ils ont été 82% en 1968. On a dit que c’était un bac dévalué, mais en réalité ça a été un bac tout à fait normal, voire positif, car plus de jeunes ont ensuite suivi des études.

Donc le bac 2020 ne sera pas dévalué non plus ?

On pourrait dire que ce sera la même chose qu’en 1968, mais n’oublions pas qu’il n’y a pas eu d’épreuves terminales du tout. Il faut distinguer ses deux valeurs : je pense qu’il aura de la valeur comme examen terminal, comme diplôme de fin du secondaire, mais qu’il pourra être plus douteux comme "évaluateur" de compétences dans le cadre de longues études universitaires.

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