Témoignage

"Ils ont vu le changement climatique" : des collégiens changés par leur expédition au Svalbard

Les collégiens lors d'une visite à la station météo à Longyearbyen.
Les collégiens lors d'une visite à la station météo à Longyearbyen. © Photos fournies par les témoins
Par Thibaut Cojean, publié le 30 juin 2023
6 min

En 2018 et 2019, une trentaine de collégiens de La Rochelle ont voyagé jusqu'au Svalbard pour voir les effets du changement climatique. Une expérience, racontée dans un livre par leur enseignant et la glaciologue Heidi Sevestre, qui a marqué leur orientation et leur engagement.

"Je n'ai pas du tout eu l'impression de faire un voyage scolaire." Cinq ans après, François Bernard garde encore un souvenir très fort de ses deux excursions au Svalbard, archipel norvégien situé à 1.300 kilomètres du pôle Nord.

En 2018 puis en 2019, ce professeur de technologie y a amené quelques élèves de 3e de son collège de La Rochelle (17), pour une expérience autour de l'éducation sensorielle au changement climatique et à ses conséquences.

Des "paysages inédits" voués à disparaitre

Siméon, aujourd'hui âgé de 19 ans, faisait partie de ce premier voyage. Il se remémore encore parfaitement ces "paysages inédits" de glaciers, loin de la mer et des montagnes françaises. "On n'avait jamais vu autant de blanc. C'était immaculé, très lumineux."

Deux mots pour décrire ses émotions d'alors : "Puissant et fragile". "On nous disait que ces paysages étaient voués à disparaître", explique-t-il.

Vingt aventuriers de 3e triés sur le volet

Mais pourquoi partir à près de 4.000 kilomètres de la Rochelle pour s'imprégner du changement climatique ? "J'ai l'expérience des grands espaces", raconte l'enseignant-baroudeur, qui compte des traversées du Sahara et de la Mongolie à son actif. "Je savais qu'aller dans un lieu très fort, ça change les choses. Le Svalbard, c'est un désert de glace, c'est hyper impressionnant."

Suivre les traces des explorateurs des pôles n'est pas au programme du cours de technologie. Le projet monté par François Bernard était donc extrascolaire, et réservé à des volontaires triés sur le volet : 20 aventuriers ont été choisis parmi 80 candidats.

Ouvert uniquement aux élèves de 3e en raison de la résistance physique nécessaire, ce voyage d'une dizaine de jours a demandé des mois de préparation et mobilisé de nombreux domaines d'études. Notamment en géographie, géologie, histoire, anglais avec l'appui d'une enseignante du collège, et sciences du climat.

Pour ce dernier domaine peu exploré au collège, l'enseignant s'est tourné vers Heïdi Sevestre, glaciologue et enseignante à l'université du Svalbard à Longyearbyen (Norvège). Habituée à donner des cours à des étudiants et à présenter des rapports climatiques à des politiques, la scientifique était "très intimidée" par cette classe de collégiens.

"La première session qu'on a faite en visio, je ne faisais vraiment pas la maline !" sourit-elle cinq ans plus tard.

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Au Svalbard, les collègiens ont découvert un nouveau monde fait de neige et de glace. /Photos fournies par les témoins.

Éduquer par l'émotion

Mais la confiance s'est vite installée. "Très rapidement, nous étions dans l'échange et le dialogue, très loin des monologues que je peux faire pour expliquer les rapports du Giec (groupe d’experts intergouvernemental sur le climat)", raconte Heïdi Sevestre.

L'approche pédagogique des deux enseignants a été de commencer par évoquer les conséquences du changement climatique, avant d'en expliquer les causes. Ce que François Bernard appelle "éduquer par l'émotion".

Si les ateliers n'ont pas eu de mal à se tenir en visio, l'expédition en elle-même a nécessité une certaine organisation administrative et financière. Une expérience racontée dans l'ouvrage Demain, c'est nous (paru en 2023 aux éditions du Faubourg).

Pour les collégiens, en plus de la découverte d'un nouveau monde où le soleil d'avril ne se couche que deux heures par nuit, ce voyage était également l'occasion de "se responsabiliser", souligne François Bernard.

Car sur place, à chacun de gérer ses vêtements, de se débrouiller en anglais, de porter sa part de nourriture (transportée, pour partie, de France car moins chère), de prendre son quart de tâches collectives. Et même de monter la garde face à la présence d'ours blancs !

"Ça fondait de partout !"

Après une première expérience réussie, l'équipe de "Demain, c'est nous" a organisé une seconde expédition l'année suivante, avec seulement 12 élèves. Avec une surprise : une nuit à l'extérieur, dans des igloos construits le jour même par les élèves.

Anissa, 19 ans aujourd'hui, était du voyage. "Quand j'ai vu que c'était encore mis en place, j'ai sauté sur l'occasion", raconte-t-elle.

Mais ce voyage a été bouleversé par des températures extrêmement douces ! "On a eu -20°C la première année, et on a relevé 6°C l'année suivante, pour des moyennes de -17°C en avril."

Pour François Bernard, "au premier voyage, les élèves ont vu la fragilité de la nature, mais au second, ils ont vu le changement climatique".

"On voyait la neige fondre l'après-midi, on savait que ce n'était pas normal, confirme Anissa. Même pour faire l'igloo, on avait du mal à faire des blocs, ça fondait de partout !"

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Les expéditions ont permis aux participants de prendre conscience de la fragilité de la nature au Svalbard. /Photos fournies par les témoins.

Une expérience qui pousse à l'engagement

Qu'ils aient fait partie du premier ou du second voyage, la plupart de ces apprentis explorateurs ont été marqués par leur expédition. "Après le voyage, j'ai ressenti le besoin de m'engager, mais pas uniquement dans le climat car toutes les causes sont imbriquées les unes aux autres", explique Siméon.

Impliqué dans des associations, il a choisi d'étudier à Sciences po Paris "en raison de ce sentiment d'impuissance sur des sujets sociétaux, avec comme pilier le changement climatique, dont j'ai pris conscience au Svalbard".

Anissa, quant à elle, est rentrée de l'archipel norvégien avec l'envie de faire des sciences. Elle est aujourd'hui en première année de L.AS option géologie à Poitiers (86).

Si elle ne valide pas son entrée en médecine, elle se tournera vers la vulcanologie ou… "la glaciologie". Une orientation déjà choisie par deux anciens élèves de François Bernard.

Sensibiliser au changement climatique

Heïdi Sevestre, elle, n'a pas coupé les ponts avec le collège de La Rochelle. Car si les expéditions au Svalbard ne sont plus d'actualité, le projet "Demain, c'est nous" a survécu à la crise sanitaire et à la longue absence pour congé maladie de son créateur.

Cette année, un nouveau groupe de collégiens s'est rendu dans les Alpes, accompagné de la glaciologue originaire d'Annecy, pour voir les effets du réchauffement global sur la Mer de Glace. "On n'a pas toujours besoin d'aller au bout du monde. C'est la connexion avec la nature qui est importante", explique la scientifique.

"On a besoin de sortir de l'école pour voir le changement climatique de nos propres yeux, estime Siméon. La prise de conscience implique une dimension émotionnelle et un programme scolaire ne suffira jamais."

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