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"Nous ne sommes pas les bienvenus" : des étudiants étrangers dénoncent la loi immigration

La loi immigration votée en décembre aura des consequences sur l'accueil des étudiants étrangers en France.
La loi immigration votée en décembre aura des consequences sur l'accueil des étudiants étrangers en France. © Eric TSCHAEN/REA
Par Amélie Petitdemange, publié le 16 janvier 2024
6 min

La loi immigration, votée le 19 décembre, est actuellement examinée au Conseil constitutionnel. Les étudiants étrangers s'inquiètent de l'impact que cette loi pourrait avoir sur leurs études et dénoncent une atmosphère hostile.

Plusieurs volets de la loi immigration concernent les étudiants étrangers. Ils devront déposer une caution pour obtenir leur carte de séjour, dont le montant reste encore à préciser.

Par ailleurs, les étudiants internationaux non-ressortissants de l'Union Européenne, de l'Espace Economique Européen ou de Suisse devront s'acquitter de frais de scolarité à l'université plus élevés. Cette évolution des frais était déjà actée dans le cadre du plan Bienvenue en France mais était jusqu'à présent peu appliquée par les universités.

Leur carte de séjour pourra par ailleurs être retirée, s'ils ne se présentent pas en cours ou en examen. Enfin, ils seront concernés par le quota d'étrangers autorisés à s'installer en France, qui sera fixé par le Parlement tous les trois ans.

Le Conseil constitutionnel examine cette loi, et pourrait censurer certaines dispositions qui iraient contre la Constitution. Il rendra son avis avant le 25 janvier.

Des difficultés financières amplifiées pour les étudiants étrangers

"Les étudiants étrangers ou binationaux rencontrent de réelles difficultés financières. Ça nous inquiète de voir que les parlementaires complexifient encore plus cette situation", réagit Gédéon Kakonde, président et fondateur de "Voix des étudiants étrangers", une association qui accompagne les étudiants étrangers dans leurs démarches administratives.

En 2020, 37% des étudiants étrangers estimaient avoir des difficultés financières importantes ou très importantes, contre 17% des étudiants français, selon l'Observatoire de la vie étudiante.

Gédéon Kakonde souligne l'incohérence de cette politique qui "marginalise" les étudiants étrangers, alors que le plan Bienvenue en France table sur 500.000 étudiants étrangers en France d'ici 2027. Un objectif loin d'être atteint, puisqu'ils étaient 402.883 à être inscrits dans le supérieur en 2022-2023, selon Campus France.

Une loi "discriminatoire" pour les étudiants internationaux

"C'est dur psychologiquement", témoigne Jaber, étudiant en licence d'économie à l'université Lyon 2. "Les étudiants comme nous ont des parents modestes qui ont économisé toute leur vie pour nous offrir de bonnes études. Je vois mal comment nous pourrions payer de tels frais d'inscriptions, en plus du quotidien. Il y avait déjà une discrimination systémique, notamment à travers les difficultés administratives. Avec cette loi discriminatoire, on ressent encore davantage qu'on n'est pas les bienvenus", témoigne l'étudiant d'origine marocaine.

Les étudiants interrogés dénoncent unanimement une sélection par l'argent. Mahnaz, étudiante en master de littérature française à l'université Paul Valéry-Montpellier 3, est originaire d'Iran. Elle alerte sur les conséquences de cette loi.

"Dans mon pays, il y a malheureusement de la corruption. Avec cette loi, on sélectionne les riches Iraniens qui ont acheté un faux certificat de langue française, et on se prive d'étudiants talentueux qui n'auront plus les moyens de venir. Le système ne se concentre plus sur les compétences, mais sur l'argent de papa. C'est une catastrophe pour la France", estime la jeune femme.

Elle-même sera en difficulté pour continuer ses études. Touchée psychologiquement par la révolution en Iran, les exécutions sommaires de citoyens, alors que son mari est encore sur place, l'étudiante a eu du mal à valider son année. "J'ai validé tous mes séminaires avec de bonnes notes et j'ai participé à des conférences, j'étais très investie. Mais j'ai mis mon mémoire de côté. L'université m'a demandé de redoubler pour faire mon mémoire", raconte Mahnaz.

Elle essaie de trouver une solution auprès de l'université pour être exonérée, car l'année prochaine, les frais auront drastiquement augmenté.

Des conditions d'accès de plus en plus difficiles

L'association "Voix des étudiants étrangers" note aussi beaucoup d'inquiétude de la part des jeunes qui souhaitent venir étudier en France. "Les conditions pour obtenir un visa se sont durcies. Il y a des conditions financières que je n'ai pas connues à mon arrivée en 2018", témoigne Gédéon Kakonde, président de l'association et étudiant en master Droit des affaires à Aix-en-Provence.

Aujourd'hui, les étudiants qui veulent obtenir un titre de séjour étudiant doivent prouver qu'ils disposent d'au moins 615 euros par mois, soit plus de 7.000 euros par an. "Il faut sélectionner sur le projet d'études, pas sur une somme bloquée sur un compte bancaire", affirme Gédéon Kakonde.

Gloire, actuellement en République Démocratique du Congo, fait partie des étudiants étrangers dont le projet d'études est menacé par la loi immigration. L'étudiante de 21 ans, en master 1 de droit, voudrait poursuivre ses études en France. "J'aimerais intégrer un master en droit des affaires à Paris, Nanterre, Dijon, ou Toulouse. En RDC, ce sont plutôt des masters de droit économique et social", explique-t-elle.

Gloire attend que le montant de la caution soit précisé, et espère être exonérée en partie des frais d'inscription. Sinon, elle pourrait abandonner ce projet d'études, qu'elle porte depuis sa première année de licence.

Fuite des talents

La France risque aussi de se priver de nouveaux talents, mais aussi de voir les étudiants étrangers formés en France quitter le territoire. Après son master d'économie, Jaber, qui avait comme premier projet de travailler en France, songe à déménager dans un pays anglophone. Il observe depuis plusieurs années "une orientation politique qui exclut les étrangers", dont la loi immigration est la confirmation.

"On nous empêche d'un côté de venir, et de l'autre de travailler quand on a fini nos études, alors qu'il y a un manque de cadres qualifiés en France. Mes amis ont eu beaucoup de mal à changer leur statut d'étudiant à travailleur, malgré un poste stable et un bon salaire", témoigne Jaber.

Une situation délétère pour la France, pointe Gédéon Kakonde : "La France, comme tout pays, a besoin d'étudiants étrangers. Aux Etats-Unis, ce sont aussi des étudiants chinois, indiens, africains… qui ont été formés dans les écoles puis innovent dans le pays. C'est une valeur d'avoir des gens qui voient les choses différemment".

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