Témoignage

Concilier études et soins d’un proche : le dilemme des étudiants aidants

Pour Amarantha Bourgeois de l'association Jade, qui vient en aide aux aidants, la société a tout à gagner à soutenir ces derniers "qui développent de nombreuses qualités, comme l’empathie, l’écoute des besoins des autres".
Pour Amarantha Bourgeois de l'association Jade, qui vient en aide aux aidants, la société a tout à gagner à soutenir ces derniers "qui développent de nombreuses qualités, comme l’empathie, l’écoute des besoins des autres". © Adobe Stock/klyaksun
Par Sarah Nafti, publié le 05 octobre 2023
6 min

16% des étudiants sont également de jeunes adultes aidants, soutiens d’un proche malade ou handicapé. Et pourtant, la plupart ne connaissent ni la définition, ni les aménagements possibles. L’association Jade se bat pour améliorer leur situation. Romane, Emma* et Irène témoignent.

Quand, en septembre 2021, Romane apprend que sa mère a un cancer de stade 4, sa vie a basculé. L’étudiante de 24 ans est alors en master 2 de biologie à l’ENS Lyon (69). "J’alternais des moments où j’étais avec elle, et d’autres où j’essayais de suivre les cours." Très bonne élève, elle a pourtant failli arrêter ses études. Sa mère l’en empêche.

Alors l’étudiante multiplie les allers-retours entre Lyon où elle étudie puis Paris (75) où elle est en stage, et le village près de Valence (26) où vit sa mère. Là-bas, Romane est aidante : elle s’occupe de la maison, l’aide à se lever quand les séances l’ont trop affaiblie, lui apporte un soutien moral pour surmonter l’alternance entre les bonnes et les mauvaises nouvelles, entre les séances de chimio et les opérations.

La maladie de sa mère influe sur son parcours de vie. "J’ai annulé un stage en Australie, et là, j’ai décalé le début d’un CDI pour être avec ma mère, qui doit recevoir de nouveaux soins." Très proche d’elle, Romane vit avec l’inquiétude.

Pendant sa deuxième année de master, sa tutrice lui conseille d’arrêter son année pour ne pas faire baisser ses notes. "Elle a été compréhensive, mais n’a jamais été formée à ça, ce n’était pas un sujet." Elle opte finalement pour les cours à distance et réussit ses partiels. "À ce moment, je ne me rendais pas compte de ce dont j’avais besoin. Je me sentais seule même si j’étais entourée. Je n’avais pas de vie sociale. C’est censé être les plus belles années, mais je n’avais pas envie de les vivre à fond."

L'aidance, un impact psychologique mais aussi financier

L’aidance a de nombreux impacts sur les étudiants. Des chercheuses du laboratoire de psychopathologie et processus de santé de l’université Paris Cité mènent le projet Jaid. Elles ont interrogé plus de 6.000 étudiants pour une étude Campus-Care, qui révèle que 16% des étudiants sont aidants. 87% sont des femmes et 82,2% ont un score clinique de détresse psychologique.

Mais le coût est aussi financier, comme le rappelle Romane, pour qui les allers-retours en train sont "un gouffre". Depuis un arrêté de juillet 2019, l’aménagement des rythmes d’étude (condition d’assiduité et d’examen) est possible pour les étudiants aidants. En cette rentrée 2023, une bonification de quatre points a également été instaurée dans les demandes de bourse. À l’époque, Romane, comme la grande majorité des étudiants dans cette situation, ne le sait pas.

Emma*, étudiante en master 1 de psychologie à Aix-en-Provence (13), a préféré "ne pas demander d’aménagements". Le terme d’aidant, elle ne l’utilise pas en public. "Je n’ai pas envie d’être aidante sur mon lieu d’étude. C’est l’espace que j’ai pour mener mes propres projets, alors tant que j’arrive à gérer les deux, je préfère garder un parcours 'classique'."

Pourtant, au quotidien, elle s’occupe de son petit ami, qui souffre de plusieurs handicaps, ce qui implique "une lourde charge mentale". "Toutes les tâches qui ont besoin de l’écriture, comme toutes les tâches techniques (nettoyer, s’occuper des vêtements), c’est moi qui les fais à la maison. Il y a beaucoup de choses qu’il ne peut pas faire en autonomie, il ne pourra jamais conduire par exemple." Et elle apprend aussi à vivre avec l’angoisse, car elle a "toujours peur que sa santé se dégrade rapidement".

Investir les études pour surmonter la maladie

De son côté, pour surmonter la maladie puis le décès de sa mère, Irène a surinvesti ses études de droit. Elle a mené de front son master, l’accompagnement de sa mère et vient de passer le concours du barreau, dont elle attend les résultats. "Les études ont été mon moteur pendant toute cette période. Si j’avais aménagé mes horaires, peut-être que je me serais relâchée", estime la jeune femme.

Sa situation, elle a mis longtemps avant d’en parler. "Ma mère a eu son premier cancer quand j’avais 7 ans et j’en ai 25. J’ai grandi avec ma mère malade, c’était ma normalité." Mais sa normalité, c’est d’accompagner sa mère à ses soins entre deux cours et faire ses devoirs à l’hôpital. "Parfois, la solitude était un choix, car je n’avais pas envie de recevoir des conseils maladroits de gens qui ne comprennent pas", précise Irène.

Lorsque les effets secondaires étaient trop forts, la jeune femme s’occupait de tout le quotidien. Pourtant, elle n’a parlé de sa situation dans son établissement que quand elle en a été obligée. À la fin de son M2, un mois avant le rendu de son mémoire, son professeur lui demande de changer sa deuxième partie. "J’ai craqué. J’étais à l’hôpital avec ma mère, je ne pouvais pas faire ça en un mois."

Alors que sa mère est hospitalisée depuis le mois de juin 2022, Irène passe le barreau une première fois en septembre 2022. "J’ai révisé à l’hôpital, mais je n’ai pas préparé les oraux. J’étais à son chevet jusqu’à son décès en novembre."

De nouveaux aménagements à trouver pour les étudiants aidants

Amarantha Bourgeois, directrice de l'association Jade, insiste sur l’importance de sensibiliser à la question de l’aidance. Souvent, ces étudiants, la tête dans le guidon, ne savent pas vers qui se tourner. D’autant que la reconnaissance du statut dépend de la situation du proche.

Ainsi, la bonification pour l’obtention des bourses ne concerne pas encore les aidants de proches atteints de maladie comme le cancer, mais uniquement le handicap. "Et puis le temps administratif est long, la reconnaissance d’un handicap peut prendre des mois."

Pourtant, la société a tout à gagner à soutenir les jeunes aidants, "qui développent de nombreuses qualités, comme l’empathie, l’écoute des besoins des autres, mais ils ont besoin d’être accompagnés", souligne Amarantha Bourgeois. L’association, qui a commencé par proposer des ateliers répits, permet à ces jeunes de trouver du soutien.

Romane s’y est investie et a participé à la création de la plateforme LinkAidant, qui vise à créer du lien entre les jeunes aidants, et à une première journée de mobilisation à l’ESCP, le 21 septembre.

Irène, elle, souhaiterait "rendre la question de l’aidance visible" et cela passe par la mise en place de choses qui simplifieraient leur vie "comme, enlever la condition d’assiduité pour les bourses".

*Le prénom a été changé

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