Reportage

Camille-Jenatzy : le lycée pro qui fait réussir ses élèves

Les élèves peuvent être amenés à réparer des voitures clients
Dans l'atelier de maintenance du lycée Camille-Jenatzy, les élèves travaillent sur les voitures des clients. © IDautresme
Par Isabelle Dautresme, publié le 19 avril 2016
1 min

Évaluation par compétences, travail par projet, suivi des élèves… Les projets pédagogiques innovants sont nombreux au lycée professionnel Camille-Jenatzy. Résultat : pourtant situé en zone prévention violence, il figure en haut du classement des lycées pro 2016 de l'Etudiant. Son mérite ? Afficher un taux de réussite au bac supérieur à celui attendu au vu du niveau et du profil des élèves. Reportage.

“Le lycée est très sympa, on s’y sent bien. On fait plein de choses et les profs ont du respect pour les élèves”, lâche, avec un grand sourire, Kevin, en première pro mécanique au lycée Camille-Jenatzy à Paris. Situé en bordure de périphérique, “au bout du monde”, selon la proviseure Catherine Gillet-Lion, le lycée spécialisé dans les formations en logistique et maintenance des véhicules automobiles, accueille très majoritairement des élèves défavorisés dont la plupart ont connu un parcours chaotique au collège.

La filière logistique est peu attractive alors même qu'elle débouche sur une grande diversité de métiersLa filière logistique est peu attractive alors même qu'elle débouche sur une grande diversité de métiers. // © Isabelle Dautresme

Sur le papier, toutes les ingrédients sont réunis pour que cet établissement rejoigne la liste des endroits à éviter. Pourtant, au classement 2016 des lycées professionnels, Camille-Jenatzy se distingue par un taux de réussite au bac 2015 de 82 %, soit 22 points de plus que celui attendu au vu du niveau et du profil des élèves. Les raisons sont multiples : travail sur l’orientation, pédagogie par projets, implication des équipes de professeurs

Des élèves préparés dès le collège

“L’une des raisons des taux d’échec importants en lycée pro tient au fait que de nombreux élèves y viennent sans savoir exactement ce qu’ils vont y faire”, remarque Catherine Gillet-Lion dans son bureau ensoleillé, situé au premier étage d’un bâtiment 1930, un brin vieillot. Pour éclairer leur choix, le lycée Camille-Jentzy leur ouvre grand les portes au cours de leur année de troisième, dans le cadre de "mini-stages". Le principe : “Les élèves parisiens qui le souhaitent [plus de 300 chaque année] sont accueillis dans l’établissement pendant une demi-journée. Quand ils en ressortent, ils doivent avoir une idée précise et concrète des enseignements dispensés en filière pro”, détaille Ghalaid Idres, le directeur délégué aux enseignements professionnels et techniques du lycée.

Ceux qui sont attirés par la filière logistique – qui manque d’attractivité – peuvent bénéficier d’un “pass pro”. Un dispositif proche du mini-stage mais plus complet, puisque l’élève doit écrire une lettre de motivation et passer un entretien avec la proviseure.

“Ces dispositifs visent à permettre aux jeunes de bien réfléchir à leur orientation en amont et ainsi d'éviter les choix par défaut”, justifie Chalaid Idres. Et ça marche. En atteste le faible taux d’abandon en cours de formation.

De nombreux projets

Autre point positif : la stabilité et l’implication des équipes pédagogiques qui s’investissent dans de nombreux projets : concours de poésie, spectacles, chants…
Chaque classe doit réaliser au moins un projet dans l’année. L’objectif est de décloisonner les enseignements et de donner du sens aux apprentissages. “Cette année deux classes de bac pro vont dans la Somme, histoire de rendre le cours sur la Première Guerre mondiale plus concret”, illustre la proviseure. Raccrocher les enseignements théoriques à un aspect pratique est essentiel pour des élèves pour qui l’abstraction ne va pas forcément de soi.

Ces projets ou ateliers permettent aussi de sensibiliser les élèves à d’autres formes d’expression, comme le théâtre ou la poésie. L’occasion de belles découvertes. En témoigne Allan qui a participé au concours de poésie : “Écrire des poèmes me permet de m’évader des cours et de m’exprimer autrement que je le fais en classe.” Ou encore Kevin, en première pro mécanique. Avec sa classe, il a travaillé à un projet artistique sur le thème de la mécanique et de la pollution, en collaboration avec le centre culturel 104. “Au début, j’ai trouvé cela bizarre, mais, très vite, j’y ai pris goût. Faire du théâtre aide à gérer le stress et on prend plaisir à être ensemble”, souligne le jeune homme avec gourmandise.
Ces activités permettent également de rapprocher les élèves de leurs enseignants. “Travailler sur un projet artistique avec un prof, cela crée des liens. On peut leur dire des choses que l’on ne dirait pas en classe”, s’enthousiasme Sam, en première.

Des enseignants proches des élèves

Cette relation privilégiée avec les enseignants, Smaël, en seconde pro mécanique et élu au CVL (conseil des délégués pour la vie lycéenne), l’apprécie particulièrement. “Ici, ils ne s’adressent pas à nous comme si nous étions des enfants mais comme à de futurs professionnels. On se sent respectés, c’est très agréable.

La “qualité” des relations entre jeunes et profs doit aussi beaucoup aux petits effectifs : en moyenne 15 élèves par classe, sans parler des nombreux cours en demi-groupe. “Cela permet d’individualiser les apprentissages et de suivre au mieux chacun des élèves”, explique la proviseure. Car, au final, “si le lycée parvient à faire réussir les jeunes, c’est d’abord et surtout grâce aux enseignants”, insiste-t-elle. Et Ghalaid Idres d’ajouter : “Ils sont très impliqués, exigeants et toujours bienveillants.” “Ils ont pour volonté de faire réussir tous les élèves. Ces derniers le sentent et cela crée une dynamique positive”, commente de son côté Frédéric Martin, professeur documentaliste.

Les lycéens ont obtenu qu'un espace du lycée soit aménagé en foyer

Une attention particulière portée à la vie scolaire

De là à en conclure que tout est rose au lycée Camille-Jenatzy, il y a un pas qu’il serait imprudent de franchir trop vite. “Il y a encore beaucoup d’absentéisme perlé contre lequel nous avons du mal à lutter et qui a un effet délétère sur la réussite des élèves”, reconnaît la proviseure. Et ce malgré un encadrement très important : “Toute absence est immédiatement signalée aux parents par SMS et par courrier”, note Sam, résigné.

Quant aux incivilités, elles sont encore trop nombreuses. En ce début avril, la proviseure a mis au programme de sa matinée ensoleillée une intervention en classe de seconde pro avec une partie de l’équipe pédagogique. “Pourquoi y a-t-il autant de problèmes de vie scolaire dans cette classe, je veux comprendre ?” demande-t-elle aux élèves. Et chacun d’exposer son point de vue, de suggérer des pistes d’amélioration. “Pas gagné”, glisse la proviseure en quittant la salle après 1 heure d’échanges. Et Ghalaid Idres de conclure : “Nous n’avons aucun problème avec 90 % des élèves. Mais les 10 % restants occupent 90 % de notre temps.”
Pas de quoi effrayer des collégiens de plus en plus nombreux à demander le lycée et ce malgré sa localisation. Faut-il y voir un effet palmarès ?

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