"Notre travail ne se limite pas qu'à des calculs" : comment le numérique fait évoluer le métier d'expert-comptable
Le métier d'expert-comptable peine à trouver de nouveaux talents ces dernières années, souffrant de stéréotypes bien ancrés qui cachent pourtant des évolutions de pratiques récentes majeures.
Cela fait quelques mois que Kévin Dahan a obtenu son diplôme d'expert-comptable et exerce en région parisienne. Il l'admet : "On n'est peut-être pas les meilleurs communicants mais notre travail ne se limite pas qu'à des calculs et des règles déontologiques strictes".
La profession souffre en effet de difficultés de recrutement, depuis plusieurs années. Et pour cause, 68% des entreprises interrogées par le cabinet de recrutement Robert Walters "déclarent être inquiètes quant à une pénurie de talents" en finance et en comptabilité en 2024, précise Olivia Jacob, en charge de cette division au sein du cabinet.
Des stéréotypes qui persistent
À l'origine d'un tel désintérêt, des stéréotypes bien ancrés. Dans l'esprit collectif, on pense encore à l'image désuète de l'homme grisonnant, derrière sa calculatrice", déplore Pierrick Chauvin, expert-comptable à Paris (75).
Même constat du côté de Laurent Benoudiz, vice-président de l'Ordre des experts-comptables, qui pointe lui une méconnaissance des missions.
Pour de nombreux candidats, le métier est perçu comme trop rigide, avec des horaires et des charges de travail trop importants. "Cela peut faire peur à une nouvelle génération qui met beaucoup en avant l'équilibre vie pro-vie perso", explique Olivia Jacob.
Pourtant, selon Laurent Benoudiz, "les cabinets font de plus en plus d'efforts en termes de rémunération et de bien-être en entreprise".
Les missions de l'expert-comptable
L’expert-comptable aide les entreprises et les artisans à élaborer leurs bilans annuels et tous les documents fiscaux et sociaux exigés par la loi.
Il est aussi chargé de conseiller et assister ses interlocuteurs dans leurs choix stratégiques. Création d’entreprise, réformes fiscales, lutte contre la fraude…
Le numérique révolutionne le métier d'expert-comptable
Par ailleurs, si la production comptable reste l'incontournable de la profession, le métier "n'est plus le même qu'il y a dix ans", affirme le vice-président.
En effet, les progrès des outils numériques et l'IA ont permis d'automatiser la plupart des processus. Récupération des factures par fichiers électroniques, dématérialisation… "Dans la plupart des cabinets, il n'y a même plus de dossiers, ni d'armoires", explique-t-il.
Au quotidien, cette numérisation a permis d'améliorer la qualité des services auprès des clients." L'aspect redondant de nos métiers est en train de disparaître", poursuit-il.
Cette évolution des pratiques offre ainsi un gain de temps non négligeable, qui "laisse la place pour le développement de nouvelles missions à plus forte valeur ajoutée", abonde Kévin Dahan.
Le jeune expert-comptable fait notamment référence au BI (Business Intelligence), qui se développe de plus en plus. Le principe ? Exploiter la data des clients pour aboutir à des analyses non financières : "Dans la restauration, cela peut porter sur les préférences de consommation des clients de nos clients ou la séquentialité de leur fréquentation, par exemple".
L'humain derrière les chiffres
Au-delà de la fonction purement technique de l'expert-comptable, une approche plus globale est aussi de vigueur. "Il nous arrive de nous déplacer chez les clients, pour répondre à leurs questions, et comprendre leurs stratégies", illustre Pierrick Chauvin.
Dans l'ensemble, l'expert-comptable accompagne ses clients sur le long terme. "Avant d'analyser les données, il doit d'abord comprendre l'activité de l'entreprise de son client, son écosystème et sa philosophie", complète Kévin Dahan.
Pour cela, "il faut être dans l'anticipation et échanger régulièrement avec le client", explique l'expert-comptable de 28 ans. Pierrick Chauvin va même plus loin : "On est parfois leur bras droit, sans qui ils ne prennent pas de décision", affirme-t-il.
De nouvelles missions
Outre cette mission d'accompagnement, une directive européenne, qui doit progressivement commencer à s'appliquer à partir de 2024, a également élargi le champ d'action de la profession.
Concrètement, "de plus en plus de sociétés devront faire preuve de transparence concernant leur impact sur l'environnement ou sur la société", détaille Laurent Benoudiz. Cela impliquera, par exemple, d'attester de l'empreinte carbone ou du niveau de parité femmes-hommes de l'entreprise.
Cet accompagnement peut ensuite avoir un impact concret sur l'organisation interne des entreprises. "Un de nos clients a changé sa façon de produire, afin d'atteindre des niveaux de consommation de CO2 plus faibles", explique Pierrick Chauvin. Nous l'avons aidé dans ses démarches pour obtenir une subvention de l'État".
Repenser la formation d'expert-comptable ?
Face à ces évolutions, des réflexions sont en cours sur l'adaptation du contenu de la formation, au sein de l'Ordre des experts-comptables.
Entre l'exploitation des données, la gestion des flux numériques… "Toutes les problématiques en lien avec l'IA sont à intégrer de manière homogène dans les plaquettes et dans l'examen final", explique Laurent Benoudiz.
Avec néanmoins un point de vigilance : que ces évolutions ne se fassent pas "au détriment du niveau technique nécessaire pour se former au métier d'expert-comptable". Au risque ensuite que les ressemblances avec une école de commerce pèsent trop lourd sur le reste.
Les études pour devenir expert-comptable
Pour pouvoir s’inscrire à l’Ordre des experts-comptables et exercer, il faut obtenir trois diplômes successifs :
le DCG (diplôme de comptabilité et gestion) à bac+3
le DSCG (diplôme supérieur de comptabilité et de gestion) à bac+5
le DEC (diplôme d’expertise comptable), obtenu après 3 années de stage.