Témoignage

Comment je suis devenue psychocriminologue (profiler)

Emma Oliveira
Emma Oliveira © Photo fournie par le témoin
Par Mario Lawson, publié le 28 juillet 2021
6 min

Emma, 41 ans, est psychocriminologue à l’État-major au sein de la police judiciaire (PJ). Sa mission : décrypter un passage à l’acte criminel pour saisir la personnalité de celui qui l’a commis, afin d’aider les enquêteurs à le retrouver. Un métier "stimulant, singulier et surprenant".

"Beaucoup d’étudiants semblent déçus quand je leur dis, que nous allons rarement sur le terrain." En effet hormis des déplacements en province parfois, le quotidien d’Emma paraît "ordinaire". "Une journée est typique d’un travail de bureau, arrivée à 9 heures, départ à 18 heures." Mais le fond ne l'est pas tant que ça ! "La première étape d'une enquête consiste à analyser la scène de crime pour déterminer la motivation de l’auteur, le mobile du crime et les fantasmes sous-jacents qui lui sont propres", explique la psychocriminologue.
"Pour cela nous nous appuyons sur la 'procédure' (audition, constatation, autopsie). De cette analyse découle un profil d’auteur inconnu plus ou moins complet. Nous l’établissons grâce aux grilles du profilage et l’affinons avec nos connaissances de psychologues. De la même façon, nous dressons 'un profil victimologique' pour compléter la triade criminelle : auteur/lieu/victime", affirme-t-elle.

"Une vocation et non un métier d’opportunité"

"À mon époque, il n’y avait aucun psychocriminologue au sein de la police. Aujourd’hui il y en a cinq." Emma en fait partie. "Toute ma scolarité, j’ai entendu 'ça ne sera pas possible, ça n’existe pas. Fais autre chose'", raconte-t-elle mais cela ne l'a pas freiné, bien au contraire.
"À 15 ans, j’ai été surprise par la personnalité singulière d’Hannibal (ex-psychiatre psychopathe et cannibale) dans Le Silence des agneaux (thriller policier américain). Celle-ci m’a interrogée : "Est-ce que des hommes réfléchissent vraiment comme ça ?". Le roman L’Aliéniste de Caleb Carr m’a ouvert une fenêtre de réflexion sur les personnalités criminelles. L’être humain et ses déviances me passionnent. C’est une vocation et non un métier d’opportunité", précise Emma.

Son parcours en tant qu’étudiante "discrète, curieuse par nature" le prouve : licence et master de psychologie clinique, DU en criminologie appliqué à l’expertise mentale, mémoires de recherche sur le crime passionnel ou la violence féminine.

Qu’est-ce que la psychocriminologie ?

"C’est l’étude psychologique des phénomènes criminologiques, criminogènes qui s’étend à des spécialités comme la victimologie ou le pénitentiaire. Pour les enquêteurs, c’est un instrument qui contribue à résoudre une enquête avec rapidité et efficacité", explique Emma.

Une profession rare et soumise à rude épreuve émotionnelle

Être psychocriminologue implique de trouver LA bonne spécialisation en psychologie, parmi les nombreuses sous-catégories de la discipline. "La plupart des psychocriminologues en France sont psychologues cliniciens. Ils ont reçu une formation en psychologie générale mais surtout en psychopathologie, qui appréhende la criminologie et ses phénomènes récurrents comme les pathologies, les comportements violents etc.", précise la professionnelle.

Qu’en est-il du savoir-être ? : "Un bon psychocriminologue doit être patient et empathique. Il faut se départir de ses jugements et avoir une bonne connaissance de soi", estime Emma.
Prendre du recul sur les affaires est aussi essentiel à l’équilibre avec la vie privée : "On me demande souvent l’affaire qui m’a le plus marquée. Je cite l’affaire Fiona, ayant été impliquée tout le long. J’ai rencontré la mère et j’ai été dupée par sa souffrance, que je pensais pour sa fille, mais qui était en fait destinée à son compagnon. Elle parlait au téléphone de refaire sa vie, alors que sa fille était portée disparue depuis deux semaines".

Un quotidien éloigné de l'image véhiculée dans les séries télés

Si le métier de psychocriminologue est digne de séries télévisées, la réalité en est pourtant très éloignée : "Il est difficile pour moi de conseiller une série fidèle à notre quotidien", estime-t-elle. En cause, des qualités fictives (flashs, dons de clairvoyance) qui dénaturent sa profession.
Que penser alors de son homologue fictive, la profiler Wendy Carr dans la série Mindhunter ? "Elle n’en est pas vraiment une, car psychiatre venant du monde universitaire. Entre les profilers et nous, il y a des différences institutionnelles. Nous sommes des titulaires engagés par le ministère de l’Intérieur. Nous avons une carte de police mais ne portons pas d’armes".
Finalement, elle trouve que le terme "psychologue du crime" - titre du livre de Florent Gathérias, qui a créé le service de psychocriminologie de la PJ française en 2009 - est le plus adéquat pour expliciter son métier. Mais la réalité peut donner aussi des envies de fictions... Épanouie dans son travail, Emma n’exclut pas quitter un jour la police pour "se lancer dans l’aventure solo d’un roman, l’écriture de scénarios de séries, voire décrocher un rôle dans une pièce de théâtre", qu'elle pratique depuis une dizaine d’années.
Parcours d'une psychocriminologue
- 1998 : obtention du bac ES ;
- 2005 : Master 2 en psychologie clinique et certificat d’analyse comportementale ;
- 2007 : contrat en CDD (puis CDI sept ans plus tard) à la police nationale en sécurité publique ;
- 2012 : mutation à l’OCRVP, au service d’analyse comportementale psychocriminologique ;
- 2020 : mutation à l’État-major de la Direction centrale de la police judiciaire. Affectation au service d’intervention et d’étude en psychocriminologie, rattachée à la sous-direction de la lutte contre la criminalité organisée.

Formation : Un Master 2 en psychologie clinique est nécessaire avec une spécialisation en criminologie et/ou des années d’expériences dans le domaine de la criminologie (victimologie/ PJJ, pénitentiaire, association, etc) (pour parfaire les connaissances théoriques essentielles).

Salaire : soumis à la grille de la fonction publique. Entre 1.300 euros net pour un 35 heures et 2.500 euros net primes comprises (environ 600 euros) après 15 ans d’activité.

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