Que prévoit le gouvernement pour réformer la formation des enseignants ?
La formation des enseignants va de nouveau être réformée a confirmé Emmanuel Macron, lors d'un déplacement dans une école, ce vendredi 5 avril. Parmi les évolutions, le président de la République annonce avancer les concours enseignants en L3, créer des écoles normales supérieures du "21e siècle" et passer les étudiants au statut de fonctionnaire avec une rémunération...
Emmanuel Macron confirme la grande réforme de la formation des enseignants lors d'un déplacement dans une école, ce vendredi 5 avril. Selon le gouvernement, conformément au document de travail que l'Etudiant a pu consulter, trois grands changements sont prévus dans la formation des enseignants.
Le premier concerne le passage du concours pour devenir professeur dès la fin de la licence 3. Par ailleurs, les étudiants passeront sous statut de la fonction publique lors de leurs deux années de master avec une rémunération de 1.400 euros en M1 puis de 1.800 euros nets en M2.
Enfin, le projet prévoit la création d'"Ecoles normales supérieures du Professorat" (ENSP) qui piloteront la formation générale des futurs enseignants.
Si plusieurs questions restent encore aujourd'hui en suspens, on fait le point sur les évolutions en cours de discussion.
Une formation des futurs enseignants en cinq ans
Actuellement, les étudiants entrent en master MEEF (Master de l'enseignement, de l'éducation et de la formation) après une licence disciplinaire (mathématique, histoire, etc.). La réforme de la formation des enseignants vise à créer une formation globale en cinq ans.
Des licences spécifiques seront donc créées par les universités sous la mention Préparation au professorat des écoles (LPPE) pour avoir le "socle général" centré notamment sur le français, les mathématiques et l'histoire-géographie, pour les futurs enseignants du primaire. "C'est une forme de prépa intégrée, cette licence qu'on va créer", a expliqué Emmanuel Macron ce vendredi.
La formation des professeurs des écoles sera d'abord réformée mais les enseignants du secondaire seront aussi concernés. Pour enseigner au collège ou lycée, les étudiants suivront une licence disciplinaire, assortie de modules de la licence dédiée. "Ces licences de préparation, ça vaudra aussi pour eux", a précisé le président de la République.
Le réseau des INSPE (Institut national supérieur du professorat et de l'éducation, qui délivre le master MEEF), est en théorie satisfait de ce changement. "Nous sommes favorable au continuum sur cinq ans, la création de ces licences est donc une bonne chose", réagit Alain Frugière, président du réseau des INSPE.
A condition qu'elles soient conçues "de façon universitaire, avec des passerelles entrantes et sortantes en milieu de parcours", précise le président.
Création des Ecoles normales du 21e siècle
En effet, le projet prévoit la création "d'Ecoles normales du 21e siècle" en 2026, afin de piloter l'ensemble de la formation des enseignants à savoir les licences LPPE et des masters qui porteront la mention "Ecole normale supérieure du professorat" (ENSP).
Ces écoles vont-elles remplacer les actuels INSPE qui délivrent les master MEEF ? Si la ministre de l'Enseignement supérieur a assuré le contraire à l'Assemblé nationale, mardi dernier, le réseau des INSPE est sceptique. "Je ne vois pas comment les INSPE et les ENSPE pourraient cohabiter. D'ailleurs, le document de travail précise qu'il s'agira d'une transformation", souligne Alain Frugière. Emmanuel Macron a en effet précisé que les INSPE seraient transformés en Ecoles normales.
Le réseau se positionne pour le maintien de la formation des enseignants au sein des INSPE, afin de garantir une formation universitaire de qualité et liée à la recherche. France Universités, qui rassemble les présidents d'université, tient également à ce que la formation reste en leur sein.
Passage du concours à la fin de la licence
Autre point de cette réforme : le concours pour devenir professeur, actuellement passé en master 2, serait déplacé à la fin de la licence 3. Les étudiants qui auront validé une licence LPPE et également réussi des "tests standardisés en L1 et en L2" seraient exemptés des épreuves écrites du concours.
Ce concours comprendrait en effet deux épreuves d'admissibilité puis deux épreuves d'admission, et il serait accessible à tous les titulaires d'une licence. A l'issue, les candidats intègreraient donc un master ENSP. Un projet également reçu favorablement par le réseau des INSPE et par l'AFNEE (Association fédérative nationale des étudiant.e.s en enseignement).
"L'idée de passer le concours le plus tôt pour se professionnaliser en master est intéressante, tout comme la professionnalisation en licence", affirme Léo Faconnier, président de l’AFNEE et étudiant en master MEEF à Strasbourg.
L'association a cela dit identifié certains risques. "La troisième année est charnière, c'est une période d'orientation, avec la plateforme Mon Master. Cette pression serait accentuée avec le concours à passer", pointe Léo Faconnier.
Il s'interroge également sur la façon dont les étudiants seront accompagnés et sur le devenir de ceux qui n'obtiendront pas le concours. Pour l'heure, le document ne précise pas si ces masters ENSP ne seront ouverts qu'aux étudiants ayant réussi le concours ou non. De son côté, Alain Frugière espère que les masters MEEF pourront accueillir les étudiants qui n'auront pas réussi le concours afin de les repréparer.
Des étudiants de master sous statut de la fonction publique avec une rémunération
L'objectif de ces nouveaux masters ENSP est une "prise de fonction sur le terrain renforcée et progressive", selon le document de travail du gouvernement. Les étudiants de master 1 seraient un jour et demi par semaine devant des classes, accompagnés par un tuteur. Une fois en master 2, ils enseigneraient seuls deux jours par semaine.
Emmanuel Macron confirme par ailleurs que les étudiants reçus aux concours passeront sous statut de la fonction publique. En master, ils seront élèves fonctionnaires en M1, avec une rémunération nette mensuelle dont le montant reste à définir (900 euros ou 1.400 euros), et fonctionnaires stagiaires en M2, à 1.800 euros. Un statut accessible sous réserve d'avoir obtenu le concours. Payés en temps que fonctionnaires de l'Etat, ces élèves seront donc engagés à travailler dans le service public, pour une période qui reste encore à définir.
Pour Alain Frugière, cette rémunération est "un réel progrès", bien que le réseau des INSPE plaide pour une bourse allouée dès la licence. Le syndicat Snesup-FSU craint quant à lui que les étudiants soient utilisés comme "moyen d'enseignement" pour pallier le manque de professeurs.
"Cela risque de les mettre en difficulté, car ils devront à la fois être devant les classes et préparer leur mémoire. Par ailleurs, on voit mal quelle place sera laissée pour la recherche", pointe Caroline Mauriat, co-secrétaire générale du Snesup-FSU.
Elle milite également pour qu'une allocation d'études soit versée à tous les étudiants dès la licence, afin de suivre leurs études sans travailler à côté ou avoir besoin de ses parents.
Si le réseau des INSPE et l’AFNEE sont plutôt favorables à la prise de fonction des étudiants en master, ils seront attentifs à l'accompagnement. Des moyens humains devront être déployés afin d'avoir suffisamment de tuteurs et de référents de stage.
Un calendrier trop serré
Le calendrier prévu par le gouvernement est serré. Les modules complémentaires pour préparer le concours en L3 seraient mis en place dès la rentrée 2024, et les licences et masters spécialisés seraient créés en 2025.
Le concours nouvelle formule passerait en juin 2025, a indiqué Emmanuel Macron, qui souhaite "systématiser" la nouvelle formation "sur deux ou trois ans".
"Ça nous parait difficile", réagit Alain Frugière, qui pointe une incohérence : "les étudiants qui entrent en master en 2024 avec la maquette actuelle ne seront pas préparés à passer le nouveau concours dès 2026".
"A mon sens, ce planning n'est pas jouable. Pour l'instant, nous sommes dans l'attente et dans le flou. Si cette réforme se fait au dernier moment, nous allons la subir, et il y a un risque de cafouillages", ajoute Léo Faconnier.
Manque de concertations
Les syndicats regrettent par ailleurs des réformes successives, qui plus est, menées de façon descendante. "Aucune concertation n’a eu lieu au sein des universités. Une fois encore, il faudrait improviser et bricoler dans l’urgence, au détriment de l’avenir des étudiants et en mettant une nouvelle fois les équipes sous pression", affirme le Snesup-FSU, qui demande le report de la réforme.
Le ministère de l'Enseignement supérieur ne souhaite pas réagir avant que le gouvernement ne se prononce officiellement. L'Elysée devrait annoncer officiellement les nouveaux points de la réforme d'ici quelques jours.