Décryptage

Les logiques de sélection sociale à l’entrée en master

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Par Valentine Daléas, publié le 01 juin 2023
7 min

L’université est souvent perçue comme l’endroit le plus égalitaire de l’enseignement supérieur français. Pourtant, des mécanismes de sélection sociale sont bel et bien à l’œuvre notamment au moment de l’entrée en master.

L'université est-elle vraiment ouverte socialement ? Si l'accès à la licence est très ouvert - notamment dû à des frais de scolarité très faibles et une absence de sélection dans la majorité des licences - il y a une ligne de fracture nette entre la licence et le master. L'accès au master reste plus difficile pour les étudiants issus de milieux défavorisés. Décryptage.

Une université plus ouverte socialement

"Longtemps, l’université a été l’endroit du système éducatif français où l’on observait les compositions sociales les plus variées", affirme Victor Chareyron, élève au département sciences sociales de l’Ecole normale supérieure (ENS) Paris-Saclay. L'université s'est selon lui massifiée dans les années 80, contrairement aux filières sélectives comme les classes prépas et les grandes écoles.

S’il partage ce constat, le chercheur Hugo Harari-Kermadec souligne que la situation n’est pas "si homogène". "Il y a des endroits dans le système universitaire qui ne sont pas si ouverts que ça, et il y a des classes préparatoires et des grandes écoles qui sont un peu plus mixtes que ce qu’on peut croire", détaille le professeur à l'université d'Orléans.

"Un écart très grand entre la L3 et le M1"

A l'université, l'écart se creuse entre la licence et l'entrée en master. A la rentrée 2021, 20% des étudiants en licence avaient des parents employés. Ils n’étaient plus que 13% en master, selon le ministère de l’Enseignement supérieur. A contrario, la proportion d’enfants de cadres et professions intellectuelles supérieures bondit entre la licence et le master : 29% en licence contre 40% en master.

Ces chiffres ne surprennent pas Hugo Harari-Kermadec : "il y a un écart très grand dans les populations universitaires entre la L3 et le M1, d’autant plus grand quand l’université est ouverte socialement". Pour le chercheur, "les universités de banlieues ou de villes moyennes sont très ouvertes en licence alors qu’en master les publics défavorisés ne représentent plus qu’une toute petite proportion des étudiants."

"Avoir les moyens" d'aller dans les grandes villes pour suivre un master

Parmi les explications, le coût financier des études. "En licence, l’offre est répartie sur le territoire alors que la plupart des masters sont dans des grandes villes, en région parisienne, à Aix-Marseille, à Lyon, pointe Victor Chareyron. Il faut avoir les moyens d’aller vivre dans ces endroits."

Pour certains, l’alternance peut être une solution. C’est l’avis de Pierre Parente, responsable du master Contrôle de gestion et audit organisationnel (CGAO) à l’université Paris-Nanterre, au sein duquel l’alternance a été rendue possible dès 1997. "Une majorité de la promotion est issue de milieux sociaux plutôt modestes, assure Pierre Parente. L’apprentissage permet d’avoir accès à une formation de qualité et garantit aux élèves un revenu sur la durée."

Encore faut-il pouvoir accéder à ce type de masters. Pour Victor Chareyron, tous les étudiants n’ont pas "la capacité à se projeter socialement dans ces grandes villes" : "Quand on vient d’un petit village, éloigné des grandes villes, on n’a pas forcément l’espace mental pour se dire qu’on peut aller étudier là-bas".

Seule exception, les masters de préparation aux métiers des enseignants (INSPE), qui sont "beaucoup plus populaires qu’ailleurs" selon Hugo Harari-Kermadec. Piste d’explication : l’offre des masters INSPE est répartie équitablement sur l’ensemble du territoire, avec une école de professorat par académie.

La mobilité géographique creuse les inégalités

La mobilité sur le territoire creuse en effet l’écart entre les étudiants et ce malgré les bourses de mobilité. "Quand on est un étudiant favorisé de Limoges, on peut essayer d'aller à Paris pour faire son master, souligne Victor Chareyron. C’est plus rarement le cas quand on est issu d’une catégorie sociale défavorisée."

Et après la licence, certains étudiants ne sont tout simplement pas admis en master. Victor Chareyron juge qu’il faut "être capable de suivre sa licence dans les meilleures conditions possibles" pour avoir un bon dossier, "ce qui est souvent rendu possible par un environnement économiquement et socialement favorisé".

Comme le résume Hugo Harari-Kermadec : "il y a plein de codes et de critères socio-culturels qui favorisent la réussite au cours des études."

Une sélection renforcée par Mon master

Si la sélection en master existe - notamment depuis la réforme qui a placé la sélection en master 1 -, elle risque d'être renforcée par la plateforme Mon Master récemment mise en place à l'échelle nationale. "Il y a toujours des jurys de sélection dans tous les masters, explique Hugo Harari-Kermadec, mais les universités n’avaient pas forcément besoin de sélectionner si elles avaient moins de candidats que de places."

Or, il estime que Mon master va encourager les étudiants à multiplier leurs candidatures : "La plateforme met une énorme pression aux candidats en leur disant qu’ils sont en concurrence à l’échelle nationale, alors qu’en fait il n’y a pas de changement radical."

La plateforme "semble avoir accru le nombre de candidatures", confirme Pierre Parente : "On était à environ 1.400 candidatures l’année dernière pour le master CGAO, cette année, on est autour de 2.000 candidatures".

Selon Hugo Harari-Kermadec, si "les universités d’excellence" étaient déjà habituées à recevoir beaucoup de candidatures, le risque est que les plus petites universités se retrouvent avec "une explosion du nombre de candidatures". Avec, pour le chercheur, le risque de "dégrader fortement la capacité à évaluer les dossiers". Et d’accentuer encore les mécanismes de sélection à l’œuvre.

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