Décryptage

Annulation de l'oral à l'ENS : pourquoi les filles ont mieux réussi le concours ?

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Les filles seraient plus à l'aise à l'écrit, c'est ce qui expliquerait en partie leur réussite cette année au concours de l'ENS, qui se déroulait sans oral. © plainpicture/Ralf Mohr
Par Amélie Petitdemange, publié le 31 août 2020
5 min

#Rentrée2020. Cette année, près de 7 admis sur 10 dans les filières littéraires de l'ENS sont des filles. Un changement qui coïncide avec l'annulation des épreuves orales à cause du coronavirus.

En raison de la crise sanitaire, tous les oraux ont été annulés pour les concours d'entrée à l'Ecole normale supérieure. Cette sélection uniquement sur l'écrit pour les promotions intégrant l'établissement en septembre 2020 a eu une incidence sur le profil des lauréats.

Parmi les admis aux concours littéraires de la voie CPGE (concours A/L et B/L), 67% sont des femmes contre 54% en moyenne les années précédentes (2015-2019), selon des chiffres publiés par l'ENS. L’écart avec les tendances habituellement observées en lettres concerne surtout le concours A/L.

Ces résultats coïncident davantage avec le profil des candidats, puisque les femmes représentaient 73% des inscrites en prépa littéraire en 2019-2020, selon des chiffres du ministère de l'Enseignement supérieur.

Biais culturels

Pour Gaëlle Redon, docteur en sociologie et responsable diversité au sein de l'école de commerce ISC Paris, les femmes pâtissent de stéréotypes culturels. Membre du jury d'admission de son école, elle n'observe pas de différences de compétences entre les filles et les garçons lors de l'oral. Pour elle, il s'agit de biais "inconscients".

"On attribue davantage le charisme et l'aisance à l'oral aux hommes. Pendant très longtemps, ce sont d'ailleurs uniquement les hommes qui prenaient la parole. Aux femmes, on attribue davantage le manque de confiance en soi, la timidité, la fragilité, le fait de rougir", explique la sociologue. Des clichés qui peuvent freiner les femmes dans leur réussite et influencer les décisions du jury.

Également coach en prise de parole en public, Gaëlle Redon note que les filles et les garçons n'abordent pas ces exercices de la même façon. "Les filles n'osent pas passer à l'oral, tandis que les garçons ne l'expriment pas. Cela ne veut pas dire qu'elles sont moins bonnes, mais elles le disent et le montrent physiquement". Une réaction qui pourrait aussi leur porter préjudice lors d'un oral de sélection.

Discrimination sur l'apparence

Les femmes peuvent par ailleurs être plus préoccupées par leur apparence, par l'image que telle tenue ou tel maquillage va renvoyer. Le jury serait d'ailleurs plus enclin à prêter attention à l'apparence des candidates qu'à celle des candidats.

"Malheureusement, le jury commentera plus la tenue d'une femme après un oral, trouvant sa jupe trop courte ou sa tenue peu adaptée. On va aussi la juger sur son maquillage. Cela arrive pour les hommes, mais plus rarement. Leur éventail vestimentaire est moins large, il y a donc moins de chances de se tromper", estime Gaëlle Redon.

Pas de changement en sciences

Le jury pourrait aussi tendre à favoriser les garçons, moins nombreux dans les filières littéraires, au moment de l'oral. Mais aucun "lissage" de ce type n'est observé dans les filières scientifiques en faveur des filles. En sciences, les statistiques sont stables cette année, malgré l'annulation de l'oral. "On compte 18% de femmes admises à l’issue d’une classe préparatoire aux grandes écoles (CPGE), un chiffre très proche des promotions antérieures (2015-2019)", rapporte l'ENS.

Les écrits, totalement anonymes, ne laissent place à aucune discrimination. Et a contrario, les qualités littéraires sont davantage attribuées aux femmes. "Elles seraient plus à l'aise à l'écrit, plus sérieuses et plus scolaires", analyse Gaëlle Redon. Des traits de caractère qui les rendraient plus enclines à suivre les règles méthodologiques de l'écrit.

Des causes plus diverses

L'ENS met cependant en garde sur les causes de cette modification du profil des admis. Plusieurs changements ont en effet eu lieu, notamment au niveau de l'organisation et des dates des épreuves. "À titre d’exemple, au concours A/L, toutes les disciplines ont été évaluées avec le même coefficient, sans singulariser les options qui permettent traditionnellement à des candidats de se démarquer", explique l'école dans un communiqué.

Les conditions de révision, dont plusieurs mois en confinement, ont aussi été très spéciales. Elles ont pu influer sur le profil des reçus.

Etude des résultats à venir

"L’ENS conduira une étude approfondie de l’ensemble des résultats de ses concours d’entrée (voie CPGE et normalien étudiant). Ces données seront disponibles dans le courant du mois de septembre et rendues publiques dans la foulée. Elles compileront une série de variables, notamment de genre, d’origine géographique et d’origine sociale", annonce l'ENS.

Les questions de discrimination que soulèvent ces résultats sont un signe positif, considère Gaëlle Redon. "Peut-être qu'il y a 20 ans, cela n'aurait pas interpellé. Nous sommes sur la bonne voie".

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