Décryptage

Le discours des diplômés d’AgroParisTech reflète une évolution au sein des grandes écoles

discours agro paris Tech 30 avril
Le collectif "des agros qui bifurquent" a pris la parole lors de la remise de diplôme à Agro Paris Tech le 30 avril dernier © Des agros qui bifurquent/YouTube
Par Alexandra Luthereau, publié le 17 mai 2022
5 min

La vidéo des diplômés d'AgroParitech remettant en cause leur diplôme a fait le tour des réseaux sociaux. Un exemple de l'évolution en cours au sein des grandes écoles. Arthur Gosset, tout juste diplômé de Centrale Nantes, et réalisateur du film "Ruptures" décrypte le phénomène grandissant de ces jeunes qui refusent de travailler dans les métiers et les entreprises jugés "destructeurs".

"Nous sommes plusieurs à ne pas vouloir faire mine d'être fiers et méritants d'obtenir ce diplôme à l'issue d'une formation qui pousse globalement à participer aux ravages sociaux et écologiques en cours." C’est par ces mots qu’a démarré le discours de huit étudiants d’AgroParisTech lors de la cérémonie de remise de leur diplôme le 30 avril 2022.

Durant sept minutes, ces "bifurqueurs" expliquent leur choix de ne pas embrasser les carrières qui les attendent pour préférer devenir apiculteur, lutter contre le nucléaire ou encore faire de l’agriculture vivrière. Près de 24 heures après sa mise en ligne sur Youtube le 11 mai, la vidéo a été visionnée plus de 400.000 fois. Ces paroles font écho auprès de nombreux étudiants et jeunes diplômés. "Dans toutes les grandes écoles et universités, il y a quelque chose qui est en train de se passer", a tweeté le chercheur François Gemenne.

Déjà, en 2018, le discours poignant du centralien Clément Choisne lors de sa remise de diplôme avait fait du bruit. La même année, le manifeste pour un réveil écologique a été signé par 30.000 étudiants. Dernièrement, en mai 2022, des étudiants des Ecoles normales ont publié dans Le Monde une tribune pour une "pratique de la recherche scientifique alignée aux enjeux de notre siècle". "Nous n'acceptons plus de contribuer au désastre écologique. C’est impossible. Au contraire, nous voulons travailler au bien commun", résume Arthur Gosset.

Un tiers des étudiants de grandes écoles sont en rupture

Le fraîchement diplômé de Centrale Nantes est aux premières loges de ce phénomène. Durant son année de césure, il a documenté le changement de cap professionnel de six proches. Depuis la sortie en septembre 2021 de son film "Ruptures" (disponible sur la plateforme Spicee), le jeune réalisateur a assisté à environ 150 projections dans des écoles d’ingénieurs, des écoles de commerce, des universités, des IUT…

De ses rencontres avec des milliers de jeunes ressort deux sujets de préoccupation. "D’une part, les étudiants réclament des modifications de la maquette pédagogique afin qu’elles prennent en compte les enjeux sociaux et environnementaux, explique-t-il. D’autre part, ces jeunes se questionnent sur les métiers auxquels ils sont formés".

Et le phénomène prend de l’ampleur. Selon ses estimations, "environ 30% des étudiants des grandes écoles sont en rupture" c’est-à-dire qu’ils ont décidé de se “"consacrer à temps plein à l’impact social, écologique ou économique, quelles que soient les conséquences sur leur statut social ou leur situation financière".

Démarginaliser les parcours alternatifs

Toutes ces prises de parole contribuent à démarginaliser les parcours alternatifs. En visionnant un film comme "Ruptures" ou une vidéo de discours de diplômés invitant à "déserter" les carrières toutes tracées, des jeunes "se reconnaissent", "se sentent moins seuls" entendent "ce qu’eux-mêmes n’osent pas dire".

C’est aussi l’opportunité de faire comprendre à leur entourage leurs choix. Quand par ailleurs, ces discours commencent à faire bouger les lignes dans les écoles et universités. A titre d’exemple, Centrale Nantes, Audiencia ou encore les Insa ont changé en profondeur leurs contenus pédagogiques. Certaines forment leurs enseignants aux enjeux sociaux et écologiques.

Surtout, ces témoignages illustrent "le bouleversement en cours concernant le rapport à la réussite, mais aussi au temps, au travail et à l’argent", estime le réalisateur. "Quelle vie voulons-nous ? Un patron cynique, un salaire pour prendre l’avion, [...] même pas cinq semaines par an pour souffler [...] et puis un burnout à 40 ans ?", interpelle l’un des diplômés d’AgroParisTech.

Bien sûr, "changer de cap" n’est pas à la portée de tous. "Nous avons conscience d’être ultra privilégiés, d’être passés par ces écoles et de pouvoir nous consacrer au bien commun et d’expérimenter de nouvelles formes de travail, décrit Arthur Gosset. Il y a des réalités et on n’a pas tous le choix".

Vous aimerez aussi

Contenus supplémentaires

Partagez sur les réseaux sociaux !