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Interview

Flore Vasseur, réalisatrice de "Bigger Than Us" : "La plus grande école, c'est celle de l'action et de l'engagement"

Mélati Wijsen (à gauche) avec la réalisatrice Flore Vasseur. Depuis l'âge de 12 ans, Mélati lutte contre la pollution plastique.
Mélati Wijsen (à gauche) avec la réalisatrice Flore Vasseur. Depuis l'âge de 12 ans, Mélati lutte contre la pollution plastique. © © 2021 - Elzevir Films - Big Mother Productions - All You Need Is Prod - France 2 Cinema.
Par Etienne Gless, publié le 29 septembre 2021
9 min

Mélati combat la pollution plastique en Indonésie, Mohamed construit une école au Liban pour les enfants réfugiés, Memory a fait cesser le viol institutionnalisé des fillettes au Malawi... Le documentaire "Bigger Than Us", sorti le 22 septembre, revient sur les actions extraordinaires menées par sept jeunes, chacun dans leur pays, pour changer le monde.

Ils et elles se sont engagés enfants ou à l'adolescence. Leurs combats ? La justice environnementale, les droits des femmes, l'accueil des réfugiés ou encore la liberté d'expression. Flore Vasseur, écrivain, journaliste et réalisatrice raconte dans son nouveau film "Bigger Than Us", sortie le 22 septembre, les combats de sept jeunes activistes à travers le monde.

Au Malawi, Memory, 12 ans, s'est dressée contre le viol institutionnalisé des jeunes filles dans des camps d'initiation dédiés. Elle a réussi à faire relever l'âge légal du mariage de 15 à 18 ans dans la constitution du pays. Rene, dans sa favela de Rio de Janeiro, a créé dès l'âge de 11 ans un journal avec son frère pour raconter de l'intérieur, sa vie quotidienne. Quant à Mary, elle participe au sauvetage en mer de migrants au large des côtes grecques, turques ou libyennes.

Tous ces jeunes mènent chacun dans leur pays des actions pour améliorer le monde. Comment vous est venue l’idée de ce film ?

Ce film est le résultat de deux impuissances. D’abord, en tant qu’écrivain journaliste depuis 15 ans, j’écris des chroniques dans la presse ou des reportages et des documentaires pour la télévision. J'y explique pourquoi nous sommes dans cette situation au niveau global, économique, social et écologique. Je mets en lumière des personnes qui essaient de faire autrement. J’adore mon travail mais concrètement, en 2016, je me suis rendu compte que ça ne servait à rien : j’ai beau travailler beaucoup, les adultes ne bougent pas, ne changent pas alors que des choses très difficiles arrivent.
Ensuite, j’ai un fils de 7 ans qui m’interroge : "Maman ça veut dire quoi : 'la planète va mourir ?'". Et malgré mes recherches et mon travail, je suis incapable de me mettre à sa hauteur pour lui expliquer ce qui est en train de se passer et ce qu’il peut faire. J'ai alors décidé de faire un film pour lui et sa génération qui leur explique ce qu'il se passe et ce qu'il est possible de faire.
Memory a fait cesser la tradition du viol institutionnalisé des jeunes filles dans des camps d’initiation dédiés. Elle a ensuite fait modifier la constitution du Malawi pour relever l’âge légal de 15 à 18 ans afin de protéger les filles du mariage forcé.
Memory a fait cesser la tradition du viol institutionnalisé des jeunes filles dans des camps d’initiation dédiés. Elle a ensuite fait modifier la constitution du Malawi pour relever l’âge légal de 15 à 18 ans afin de protéger les filles du mariage forcé. © © 2021 - Elzevir Films - Big Mother Productions - All You Need Is Prod - France 2 Cinema

Comment avez-vous sélectionné ces profils de jeunes activistes parmi des centaines à travers le monde ?

En 2016, j'ai réalisé un premier documentaire pour Arte sur Mélati Wijsen, qui lutte contre la pollution plastique chez elle, en Indonésie, à Bali. Puis j'ai très vite repéré Mohamad, Xiuhtezcatl, Memory et Rene parce qu’ils étaient déjà actifs depuis quatre ans. Je suis aussi repartie du travail d’autres journalistes et ai poussé l’enquête plus loin.

Les causes portées par les jeunes n'intéressent pas uniquement à l’environnement mais aussi à d’autres thèmes : droits des femmes, accueil des réfugiés, éducation, sécurité alimentaire…

Oui. Parce que l’environnement est un dysfonctionnement parmi d’autres. Il est hélas catastrophique mais pas le seul. J'ai regardé les 17 objectifs du millénaire (les 17 objectifs du développement durable adoptés par l’ONU, NDLR) et ai retenu parmi eux ceux qui engagent la vie et la mort. Je me suis dis que je n’aurais peut-être pas le temps de faire plusieurs films, j'ai donc démarré très fort.

Ensuite, j'ai regardé qui est actif sur ces sujets-là. J'ai récolté beaucoup de noms mais j’ai éliminé tous ceux qui sont dans l’incantation ou dans le discours. Un documentaire, c’est l’exercice de la preuve : je ne peux pas raconter d’histoire, mentir et travestir la réalité. J'ai choisi des personnes qui mènent des actions ayant un impact sur les autres. J’ai aussi écarté les personnes qui agissent pour avoir des bonnes notes parce que dans certains pays, c’est valorisé pour entrer à la fac ou avoir un diplôme. Je suis en recherche de ce qui est viscéral.

Plusieurs jeunes se battent pour que des fillettes, des réfugiés voire eux-mêmes puissent aller à l'école. L'éducation, les études peuvent-elles sauver le monde ?

L’école est une base. Ce n’est pas une finalité. Il faut savoir s’en servir puis la dépasser. On oublie, en Occident, combien de gens se battent pour avoir l’opportunité d’aller à l’école et d'échapper à des trappes de pauvreté. En même temps, les personnes s’accomplissent à travers ce qu’elles font. Elles ont trouvé le moyen de faire de leur engagement non seulement un travail mais leur vie.
Les études, c’est pour assurer ses arrières. Mais la plus grande école, c’est celle de l’action et de l’engagement. Et il me semble que l’école, en Occident, ne permet pas de se préparer à ce qui nous arrive. Il faut donc trouver d’autres moyens de le faire. Et l’un de messages du film est qu’il faut s’éduquer les uns les autres. Il faut qu’on apprenne les uns les autres à agir, à survivre, à être résilient, à inventer, à créer.

Comment trouver le goût de s’engager et de passer à l’action quand on est collégien, lycéen ou étudiant ?

S’engager n’est pas nécessairement douloureux ou triste ! Mais nous sommes dans une société qui tend à le dévaloriser. Le film montre que l’envie de s’engager part d’une fatalité. La plupart des personnes qui agissent le font parce qu’elles n’ont pas le choix. C’est un moyen de survivre pour elles. Mais il y aussi le cas de Mary, une Anglaise de 22 ans qui travaillait depuis quatre ans pour sauver des migrants en mer au large de l’île grecque de Lesbos. Cela vient d’elle : elle veut être sûre d’avoir été utile sur cette Terre.

Dans tous les cas, l’important est de trouver sa motivation, son ressort interne : qu’est-ce qui fait que l’on bouge ? Le fait d'agir va vous remettre dans la vie et vous permettre de trouver une place, un rôle, une utilité et une communauté. Car si c’est une aventure qui part d’un ressort intime, très vite elle tend vers le collectif.
Winnie a lancé YICE, une initiative visant à transmettre aux plus démunis, les réfugiés en Ouganda, les bases de la permaculture afin qu’ils puissent survivre sur des sols détruits par les pesticides.
Winnie a lancé YICE, une initiative visant à transmettre aux plus démunis, les réfugiés en Ouganda, les bases de la permaculture afin qu’ils puissent survivre sur des sols détruits par les pesticides. © 2021ELZEVIR-FILMS-BIG-MOTHER-PRODUCTIONS-ALL-YOU-NEED-IS-PROD-FRANCE-2-CINEMA

Quel regard portez-vous sur la jeune génération française actuelle ?

Tous les discours qu’on plaque sur cette génération qui serait "égoïste", "irresponsable", "rivée sur ses écrans", ne sont qu’une projection des adultes. La génération que j'observe dans les salles de cinéma est à rebours de ce qu’on dit d’elle. Beaucoup de professeurs emmènent leurs élèves voir le film. Si certains entrent en traînant les pieds, ils ressortent avec une autre énergie ! Tout simplement parce que le film parle d’eux et de cet âge de la vie où on explore, on expérimente on se cherche. Ils découvrent un monde qui ne va pas bien et ne savent pas quoi faire.
Après la projection, ils nous partagent leur désarroi et leur envie de se battre. Et le film leur montre des jeunes qui ne font pas de la politique politicienne mais de la grande politique : s’engager pour les autres et les affaires de la cité. Et s’engager, ça rend heureux, vivant et vibrant ! Agir pour autre que soi est peut-être le moyen de renouveler notre rapport au monde pour passer cette épreuve terrible de l’effondrement.

Concrètement, comment peut-on s’engager ?

Nous avons créé un site autour du film biggerthanus.lefilm.com dans lequel vous trouverez plein d’outils. Vous pourrez vous connecter à chacune des personnes du film, converser avec eux. Vous trouverez aussi des kits pédagogiques sur chacun des combats soutenus et des lieux pour vous engager : nous avons prévu des formations gratuites, des liens vers des associations de terrain. Changement climatique, accueil des réfugiés, sécurité alimentaire… quel que soit le sujet, vous trouverez des possibilités d’action près de chez vous.

A 12 ans, Mohamad a construit une école dans un camp de la frontière libano-syrienne. Ayant fui la guerre en Syrie, il avait tout perdu. A commencer par l’école. Aujourd’hui, sa Gharsah School accueille chaque jour près de 200 enfants réfugiés.
A 12 ans, Mohamad a construit une école dans un camp de la frontière libano-syrienne. Ayant fui la guerre en Syrie, il avait tout perdu. A commencer par l’école. Aujourd’hui, sa Gharsah School accueille chaque jour près de 200 enfants réfugiés. © 2021 Elzevir films big mother productions All you need is prod France 2 cinema

Votre film n’est pas centré sur Greta Thunberg. Pourtant l’activiste suédoise est présente deux fois, au début et à la fin. Pourquoi ?

Pas par opportunité marketing. Ce que dit Greta est confondant de vérité et de simplicité. Je voulais lui rendre hommage parce qu’elle a pris sur ses frêles épaules toute l’attention du monde. Elle a été pourchassée, traitée de sorcière. La réaction contre l’énergie qu’elle incarne est symptomatique des forces qu’on doit dépasser aujourd’hui : dès que vous êtes jeune, que vous avez des idées, que vous avez envie de vivre, la société vous dit : "Attends. Ce n’est pas ton tour. Tu n’as pas le bon diplôme." Avec un seul but : vous désactiver. Greta a concentré sur elle une partie de la société qui refuse la contestation, le changement et lui préfère le cynisme et le sarcasme.

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