Reportage

À la Réunion, les décrocheurs ont leur micro-lycée

Une partie des élèves de terminale STMG du micro-lycée de Saint-Pierre, à la Réunion.
Une partie des élèves de terminale STMG du micro-lycée de Saint-Pierre, à la Réunion. © Lola Fourmy
Par Lola Fourmy, publié le 01 mars 2023
6 min

L’île française de l’océan Indien compte environ 2.500 jeunes en situation de décrochage scolaire. Face à ce phénomène, deux micro-lycées proposent à ces élèves de reprendre leurs études. Reportage au lycée Ambroise Vollard de Saint-Pierre où les classes de terminale préparent le bac.

À quelques semaines des épreuves anticipées du bac, les terminales STMG du micro-lycée Ambroise Vollard de Saint Pierre, à la Réunion, s’activent pour emmagasiner un maximum de connaissances en management. Une épreuve de spécialité coefficient 16 au bac.

Dans cette classe un peu particulière, six des onze élèves sont présents ce matin-là. Ils ont 18, 20 ou 21 ans. D’autres encore refusent de donner leur âge, par pudeur ou par honte, car tous ont, à un moment, décroché des études. Difficultés sociales, phobie scolaire, harcèlement, maternité… Les raisons de ces abandons sont nombreuses. Mais aujourd’hui, ces élèves ont choisi de revenir dans le circuit scolaire.

micro lycée La Réunion
Le micro-lycée est dans le lycée Ambroise Vollard, de Saint-Pierre./ © Lola Fourmy.

Reprendre le rythme scolaire

"Je suis stressé. Ces épreuves, c’est la première étape vers la fin de la scolarité", confie Pierre, 21 ans. Le jeune homme a quitté le lycée il y deux ans, après une mauvaise orientation. "Ça ne me plaisait pas, alors j’ai arrêté. J’ai enchaîné avec un service civique puis j’ai finalement intégré cette terminale STMG en août dernier."

Son projet ? Créer une entreprise spécialisée dans le e-sport, ce qui vaut bien de surmonter le "choc" du retour à un rythme scolaire d’après lui. "Je dois réussir cette année sinon il faudra tout recommencer et ça, je ne veux pas", explique encore le lycéen.

Pour mettre toutes les chances de leur côté, les professeurs organisent déjà des révisions. L’une des difficultés repose dans le fait que les élèves ne sont parfois pas passés par la classe de première, ou pas dans cette spécialité. Ils ont donc quelques mois pour rattraper la méthodologie acquise par d’autres en deux ans.

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Pierre, Indra et Emma, élèves de terminales STMG./ © Lola Fourmy.

Une pédagogie sur-mesure

Pour les révisions, Laalia Morel, professeure d’éco-gestion et de la spécialité ressource humaine, part des besoins des élèves et organise relecture, schéma et débriefing. "Pour que ça marche, il faut casser le rythme des révisions. J’organise donc aussi des débats mouvants."

Une technique qui permet aux jeunes de travailler la concentration et l’argumentation. "On a par exemple répondu à la question : la responsabilité pénale permet-elle d’indemniser la victime ?" Une vraie thématique de cours, mais une technique de révision ludique qui séduit. "Certains élèves reviennent en cours exprès pour ce genre d’atelier", affirme l’enseignante.

Avec des classes de douze élèves maximum, l’accompagnement est presque sur-mesure. "On fait du tutorat avec chaque élève. On a des groupes de discussions avec les élèves et les professeurs et des réunions d’équipe une fois par semaine. Ça fait vraiment la différence. Ce temps-là manque dans l’éducation nationale", explique Stéphanie Rigo, coordinatrice du dispositif. Ici, pas question de compter les absences, le mot d’ordre, c'est bienveillance.
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Stéphanie Rigo, coordinatrice du micro-lycée Ambroise Vollard./ © Lola Fourmy.

"Nous, la valeur du bac, on la connaît"

"Quand nos élèves sont absents, on s’inquiète. L’assiduité, c'est un de nos plus gros défis. À chaque période de vacances, on se demande qui va revenir ou non", détaille la professeure de maths.

À l’approche des épreuves, la gestion du stress apparaît comme un autre enjeu. Une thérapeute est accessible aux élèves, qui vont aussi travailler l’oral grâce au slam et au théâtre forum. "Ils ont une estime d’eux très dégradée", analyse Laalia Morel. Une conséquence de leurs parcours.

Parmi les élèves de terminale STMG, deux jeunes filles ont arrêté leurs études après avoir été victime de harcèlement scolaire. "Je ne voulais pas vraiment, mais je n’ai pas eu le choix", déplore Indra, 18 ans. "Alors être ici, c'est une véritable deuxième chance", s’enthousiasme la jeune fille.

Même discours chez Emma, elle aussi victime de harcèlement. "Quand j’ai vu tous mes amis fêter le bac, ça a été un déclic. J’ai fait des recherches et quand je suis tombée sur le micro-lycée, j’ai tout fait pour y entrer. On a vécu tellement de choses à l’extérieur que nous, la valeur du bac, on la connaît", raconte la lycéenne. "En fuyant l’école, j’ai un peu laissé gagner mes agresseurs, alors là, c’est ma revanche", lance-t-elle.

Pour Jeanne, qui fait chaque jour plus de 100 km pour venir en cours, "ce dispositif est super, mais il n’y en a pas assez. En plus, c’est un des rares dispositifs gratuits qui permet la reprise d’études, alors, il faudrait le dupliquer." Autre atout de ce micro-lycée : si les élèves ratent le bac cette année, ils pourront rester dans cette classe autant de temps que nécessaire. Seule contrainte : ne pas dépasser l’âge de 25 ans. Mais les résultats sont là : l’an dernier, 80% des élèves du micro-lycée ont obtenu leur bac.

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