Interview

Charlène Letenneur, dessinatrice du Muséum national d’histoire naturelle

publié le 19 mai 2010
1 min

À 25 ans, Charlène a été nommée dessinatrice au Muséum d’histoire naturelle. Elle a réalisé des illustrations pour l’exposition "Dans l’ombre des dinosaures" qui attire les foules.

« Moi qui adorais venir au Muséum et me promener au Jardin des plantes quand j’étais petite, je n’aurais jamais osé rêver y travailler », s’étonne encore Charlène. En octobre 2009, la jeune femme a été nommée dessinatrice officielle du laboratoire de paléontologie du prestigieux Muséum national d’histoire naturelle. Désormais, à quelques mètres de la foule qui se presse pour voir la nouvelle exposition « Dans l’ombre des dinosaures », où l’on peut admirer des dinosaures originaires de Chine, la jeune femme se penche au dessus de sa planche à dessin et ressuscite ces bêtes venues du fond des âges. Elle s’applique à repasser à l’encre un mammifère primitif Alcidedorbignya qu’elle a dessiné au préalable au crayon. Puis elle le scannera pour pouvoir le retravailler à l’ordinateur, mettre des ombres, gommer les imperfections. « Contrairement à ce qu’on pense, l’ordinateur ne remplace pas le dessin sur papier, c’est plutôt un complément », explique t-elle.

Quand la rigueur scientifique se mêle à l'artistique

Charlène travaille en collaboration avec les paléontologues, qui lui donnent les indications ». Et d’ajouter : « En paléontologie, le dessin est indispensable car les fossiles ne sont pas toujours exploitables tels quels, pour représenter tout ce que veulent dire les scientifiques. Une photo ne suffit pas toujours et, grâce au dessin, je peux enlever les cassures, compléter une mâchoire ou un os là où il manque des éléments ». Sur ces mots, Charlène montre une mâchoire de dinosaure que lui a prêtée un paléontologue, cachée dans une petite boîte. La dessinatrice se sert parfois d’une loupe binoculaire équipée d’une chambre claire. Cet instrument permet de voir en même temps le dessin et l’objet qu’elle doit reproduire grâce à un jeu de miroir. Puis elle dévoile un dessin de carnivore ressemblant à un chien au museau très allongé. « Toutes les parties molles, c'est-à-dire 70 % de ce qu’on voit de l’animal, comme la longueur du poil, sa couleur, la forme des oreilles, sont complètement inventées. Au départ nous n’avons que des os à notre disposition. C’est là qu’intervient ma sensibilité », précise t-elle.

Design, architecture, stylisme…

Charlène a toujours aimé dessiner. Après une seconde calamiteuse au lycée Camille-Sée dans le XVe arrondissement de Paris, elle s’inscrit au lycée privé sous contrat Sainte-Geneviève, situé dans le VIe arrondissement, sur les conseils de sa mère. « Je m’y étais prise trop tard pour m’inscrire à l’école Boulle », se souvient-elle. Elle intègre alors une seconde STI (sciences et techniques industrielles) arts appliqués et obtient son bac avec mention assez bien. « J’ai adoré ces trois années d’études, où j’ai énormément travaillé, et où pour une fois j’avais de bonnes notes ! ». Elle y fait un peu de tout : du design, de l’architecture, du stylisme. « L’école m’a permis de sortir, de me cultiver. Je suis allée à Rome, Florence, Pompéi et Venise, car mes parents ne sont pas du tout versés dans l’art ». Après son bac, Charlène intègre directement l’école Olivier-de-Serres à Paris où elle décrochera un BTS (brevet de technicien supérieur) communication visuelle option multimédia deux ans plus tard. Elle y apprend à utiliser l’image pour communiquer : mettre en page, utiliser la typographie, le dessin, la photo. Elle apprend également à utiliser les logiciels de traitement d’image comme Photoshop et Illustrator et s’ouvre à Internet. L’option multimédia venait juste d’être créée. Elle essuie donc un peu les plâtres. « Je trouvais ça passionnant, mais je trouvais aussi que ça manquait de fond, j’avais envie de parler de ce qui m’intéressait et pas uniquement communiquer pour communiquer. »

En DSAA, élèves ultra motivés recherchés

Après son BTS, Charlène postule en DSAA (diplôme supérieur d’arts appliqués) illustration médicale et scientifique à l’école Estienne, à Paris (sept élèves seulement). « En BTS, je voulais dessiner du vivant. En parallèle, je prenais donc des cours à l’Atelier des Beaux-Arts de la Ville de Paris. J’y ai appris à dessiner d’après des modèles vivants avec un professeur de l’école des Gobelins très carré. Grâce à ces cours très poussés, elle arrive fin prête devant le jury du DSAA. « Je devais faire un résumé de texte scientifique, un dessin d’os et passer un oral où je devais présenter un dossier de dessins personnels ». Elle est admise sans problème. « J’étais bien préparée car on ne peut pas y aller en ayant à moitié envie d’y aller. Ils veulent vraiment des élèves motivés. Il ne faut pas que ce soit un second choix pour les étudiants qui n’auraient pas été pris en section illustration par exemple ». Durant ces deux ans, la jeune femme suit des cours de biologie, d’anatomie et assiste à des dissections à l’école vétérinaire de Maison-Alfort (94). « Le professeur sortait d’un chapeau le nom d’un muscle et je devais en faire une planche comme pour un cours de bio ». Formateur…

Un concours réussi haut la main

Au cours de la semaine culturelle de l’école Estienne, qui accueille des conférenciers, elle rencontre un membre du Muséum d’histoire naturelle à qui elle demande un stage. Elle en fera plusieurs ainsi que des CDD (contrats à durée déterminée). Son mémoire de fin d’études est basé sur l’étude d’Amphicyon major, un animal préhistorique étudié par un paléontologue du Muséum dont elle a dû dessiner tous les os. « J’ai obtenu mon diplôme avec les félicitations du jury », raconte t-elle, plutôt fière. « Puis le poste de dessinatrice a été ouvert au concours de la fonction publique », indique-t-elle. Seulement 13 candidats postulent. Ce chiffre est réduit à deux à l’épreuve de dessin où ils devaient dessiner un coquillage. Charlène remporte le poste haut la main. « Il est vrai que le Muséum cherchait d’abord un dessinateur, et pas uniquement un infographiste. L’autre candidat ne maîtrisait apparemment pas le dessin classique », explique t-elle. Malgré un salaire peu élevé (1360 € net), Charlène n’en revient toujours pas de sa chance. De temps en temps, elle se permet d’augmenter ses revenus les week-ends et pendant ses vacances, avec des extras. Avec l’autorisation du Muséum, bien sûr. Dernièrement, elle a réalisé les plaquettes de communication du parc des félins de Nesles (77). « C’est aussi intéressant de communiquer pour le grand public. Cela me permet de travailler plus en couleurs ».
 
Dans l’ombre des dinosaures, exposition jusqu'au 14 février 2011. Jardin des plantes, grande galerie de l’évolution. www.mnhn.fr/dinos.  Tarif : 9 € pour les adultes, 7 € pour les enfants. Le billet donne accès aux expositions permanentes de la grande galerie de l’évolution.


Dessinateur scientifique : une seule formation en France

Il n’existe qu’une seule formation en France préparant au métier de dessinateur scientifique. Il s’agit du DSAA (diplôme supérieur en arts appliqués) illustration médicale et scientifique de l’école Estienne (Paris XIIIe). Le DSAA est un diplôme d’État de niveau II, bac + 4, c’est-à-dire master 1, qui se prépare en deux ans. L'enseignement comporte entre 30 et 35 heures de cours par semaine. Gratuit, il est constitué de cours (anatomie, biologie, sciences) et d'ateliers de dessin, complétés par la visite d'expositions et de manifestations. En dernière année, les étudiants doivent soutenir un projet réalisé à partir d’une véritable commande, devant un jury de professionnels. Cette formation très sélective (il n’y a que sept étudiants) est accessible après un bac + 2 et un excellent niveau en dessin. Pour le concours, les candidats doivent faire le résumé d’un article scientifique, un dessin d’après un modèle, puis passer un oral devant un jury en montrant un dossier de dessins personnels.
Juin 2010     
Sophie de Tarlé


 

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