Portrait

Les 20 ans de Julie Schepens : comment elle est devenue danseuse et chorégraphe

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Repérée à 10 ans par un professionnel, Julie Schepens intègre, deux ans plus tard, l’École de danse de l’Opéra de Paris. © Sacha Lenormand pour l'Etudiant
Par Nathalie Helal, publié le 21 décembre 2017
12 min

Entrée dans la danse à l’âge de 7 ans, formée à l’Opéra de Paris, elle est aujourd’hui professeure de danse classique, chorégraphe et auteure d’une méthode unique de barre au sol, qu’elle enseigne à Paris, Bruxelles et Tokyo. Elle nous livre ici les secrets d’un parcours pas si académique.

Quels souvenirs gardez-vous de vos premières années d’école ?

J’aimais l’école car j’y retrouvais littéralement toute ma famille ! J’habitais dans le Hainaut [province de l’ouest de la Belgique], région wallonne, située près de la frontière linguistique. Mon école se trouvait dans un village flamand, appelé Kluisbergen-Ruien, et accueillait à la fois les classes de maternelle et de primaire. Les cours étaient enseignés en flamand, mais ça ne me gênait pas car je parlais couramment français et un peu néerlandais, à la maison avec mes parents. Nous étions huit de la même famille à fréquenter cet établissement. C’était un peu une ambiance de colonie de vacances !

Comment la danse est-elle arrivée dans votre vie ?

Ce n’est pas moi qui ai choisi la danse, mais la danse qui m’a choisie ! Un vendredi soir, je pars dormir chez ma meilleure amie. Le lendemain, elle avait un cours de danse classique, à Tournai [en Belgique]. Je l’accompagne et on me propose de suivre le cours. J’ai 7 ans, je suis très maigre, car j’ai hérité de la morphologie de mes parents. Et là, je suis repérée par la professeure, Myriam Lepape. À la fin du cours, elle vient parler à la mère de mon amie, insiste pour que je suive ses cours en disant que je suis faite pour la danse. Mes parents, mis au courant, me demandent ce que j’en pense. J’étais d’accord et j’ai accepté. Au début, je me contentais des samedis et des premiers spectacles, mais très vite, Myriam a eu un autre projet pour moi. Elle venait d’acheter une grande maison bourgeoise, à Bruxelles, pour fonder sa propre école avec cinq élèves, qu’elle souhaitait former à plein temps. Elle a réussi à convaincre tous les parents, dont les miens, de nous laisser partir pour vivre chez elle.
20 ans Julie Schepens
20 ans Julie Schepens © Photo fournie par le témoin

Concilier la danse et une vie scolaire normale n’a pas été compliqué pour vous ?

J’étais inscrite dans une petite école flamande bruxelloise. La maîtresse était gentille, nous n’étions que dix par classe, mais malgré tout, je devais me débrouiller seule. Je n’étais pas très à l’aise car je n’étais pas une pure néerlandophone. J’aimais beaucoup la poésie, et aussi le sport. J’étais une enfant joyeuse, souriante, sociable. Après l’école, je rentrais chez Myriam et elle nous emmenait en voiture dans une salle de danse qu’elle louait, et on s’entraînait. C’était une bonne professeure, mais elle était sévère. Je dansais au moins une heure et demie par jour, soit plus de six heures par semaine. Son but était de nous envoyer dans des grandes écoles de danse, l’Opéra de Paris en tête. Je passais donc mes semaines à Bruxelles, je partais chez mes parents le week-end et, le lundi matin, je revenais chez Myriam.

À quel moment la danse prend-elle le pas sur les études ?

Tout commence avec les stages de danse que Myriam organisait ou auxquels je participais. C’est le stage de Thonon-les-Bains [74] qui a été un déclic. Durant l’été, il y a beaucoup de stages, un peu partout, souvent donnés par des professeurs et chorégraphes prestigieux… Daniel Franck [professeur à l’École de danse de l’Opéra] était un de ceux-là. Nous étions plus d’une centaine par cours. Il me corrige alors que j’étais en train de faire une arabesque [figure de danse] et s’arrête sur moi. À la fin du cours, il se dirige vers Myriam qui m’avait accompagnée et lui dit : "Elle, il faut l’envoyer à l’Opéra !" Je venais d’avoir 10 ans. Dès la rentrée, elle a envoyé un dossier. Elle prenait toutes les décisions pour moi, en se substituant d’une certaine façon à mes parents, très aimants mais qui ne connaissaient pas cet univers. Ils lui faisaient confiance.

Est-ce compliqué d’intégrer l’École de danse de l’Opéra de Paris ?

Disons que cela n’est pas donné à tout le monde. En octobre 1990, nous avons été convoqués pour la première étape. Ma mère m’a accompagnée à Paris. L’École de danse, dirigée à l’époque par Claude Bessy, avait ouvert ses portes trois ans plus tôt, à Nanterre [92]. On se présentait par groupe de quatre sur une scène, avec des fauteuils comme unique mobilier. Nous avons toutes été pesées, mesurées par des professeurs qui détaillaient nos anatomies. Il fallait se pencher en avant, en arrière, montrer sa souplesse, etc.
20 ans_Julie Schepens_Danseuse © Photo fournie par le témoin
20 ans_Julie Schepens_Danseuse © Photo fournie par le témoin © Photo fournie par le témoin
Puis, il y avait un peu d’attente, avant de savoir si nous étions retenues ou pas pour l’épreuve du lendemain : un cours de danse dans les mêmes conditions que ceux de l’École parisienne. Je me souviens que Claude Bessy y assistait. Le soir même, les résultats étaient annoncés. Et j’étais en larmes ! J’étais prise pour l’étape suivante, le stage de six mois avant l’admission définitive comme petit rat, et je n’avais pas du tout envie d’y aller ! Ma professeure a même cru que j’avais raté l’entrée du concours.

À quoi ressemble le cursus dans cette école ?

Il y a un stage préparatoire de six mois, qui démarre en février. À l’entrée, nous étions 52 stagiaires. Le matin, on avait cours comme à l’école, et à midi, cantine ! L’après-midi, avaient lieu les cours de danse. On comprend tout de suite qu’on arrive dans un univers hyperconcurrentiel, et que personne, ni les élèves ni les professeurs, ne vous fera de cadeaux ! À l’issue du stage, il y a un examen, sous forme d’un cours. Nous n’étions que 13 filles retenues. J’étais la première Belge à entrer à l’Opéra : 3 % d’étrangers sont admis seulement. J’y suis restée jusqu’à 14 ans.
En glissant dans le jardin de l’école, je me suis cassé le radius du bras gauche. On était presque à la fin de l’année scolaire, et j’ai continué à suivre les cours et à me présenter à l’examen avec mon plâtre. C’était rédhibitoire : à l’Opéra, on déteste les bobos. On n’aime pas non plus les filles trop sensibles, qui ont le cafard. Si on pleure, c’est en cachette. Les oublis de chaussons, les retards, peuvent être des motifs d’exclusion. Avec mon bras cassé, je ne pouvais plus faire partie de l’École. On m’a juste tolérée parce qu’on était proche de la fin de l’année, et aussi parce que mes parents avaient insisté pour qu’on me garde.

Comment avez-vous continué à vous former après votre sortie de l’Opéra ?

Claude Bessy avait proposé à mes parents de me présenter en candidate libre à la rentrée de septembre [1994]. J’ai refusé. Je crois que je saturerais un peu ! Trop de jalousies liées au physique, trop de pression… Après un stage à Paris chez Raymond Franchetti [ancien maître de ballet de l’Opéra] à l’Académie des arts chorégraphiques, le chorégraphe voulait absolument que j’intègre l’école de danse qu’il venait de créer à Marseille, en compagnie de Roland Petit. Là encore, j’ai refusé. J’en avais assez de vivre loin de chez moi.
20 ans_Julie Schepens_Danseuse3 © Sacha Lenormand pour l'Etudiant_PAYANT
20 ans_Julie Schepens_Danseuse3 © Sacha Lenormand pour l'Etudiant_PAYANT © Sacha Lenormand pour l'Etudiant
Je suis retournée chez Myriam, qui m’a fait passer des tas de concours, pour que je sois repérée. J’ai obtenu des prix prestigieux, comme celui qui m’ouvrait la porte de la compagnie de Maurice Béjart, à Lausanne, en Suisse. En parallèle, avec pas mal de retard et de difficultés, j’essayais de reprendre une scolarité normale, dans une école francophone, à horaires aménagés.
À 16 ans, je suis repérée pour jouer le premier rôle dans une pièce autobiographique sur le thème de l’univers des camps de concentration. J’ai adoré l’expérience de la scène, je n’avais aucun mal à retenir mes textes, et la pièce a été jouée dans plusieurs théâtres à Bruxelles. À ce moment-là, j’ai commencé à décrocher de la danse, et, au même moment, j’ai rompu avec Myriam : j’étouffais, j’ai pris mon indépendance et j’ai vécu seule. J’ai obtenu mon diplôme de fin d’études [pas de bac en Belgique] en section théâtre, et je me suis inscrite au Conservatoire national de musique et de danse à Paris, après avoir suivi mon petit ami.

À quel moment avez-vous décidé d’enseigner la danse ?

Quand j’étais pensionnaire chez Myriam, j’aimais démarrer les cours à sa place quand elle était en retard. À 19 ans, j’ai compris que j’étais attirée par la pédagogie et la transmission. Je faisais du théâtre et de la danse contemporaine ; je ne voulais plus entendre parler des pointes !
Un jour, en allant m’inscrire dans une école de danse contemporaine, au RIDC [Rencontres internationales de danse contemporaine], je me trompe de porte : je suis… à l’IPAC [Institut pédagogique d’art chorégraphique], une école qui préparait au diplôme d’État d’enseignant. La danse classique me rattrapait alors que je faisais tout pour la fuir ! Alors, je me suis lancée : j’ai passé mes UV [unités de valeur] théoriques, mes examens d’aptitudes techniques et, enfin, en candidate libre, les examens pédagogiques. Et je me suis retrouvée professeure de danse à l’âge de 22 ans.

Quels conseils donneriez-vous à un jeune qui voudrait devenir danseur, chorégraphe ou professeur ?

Les trois métiers sont différents. Être danseur exige une qualité de travail, de mouvements et une grande maîtrise des techniques, et surtout de bonnes dispositions physiques. Mais, on a les capacités ou pas. Surtout, il faut rappeler que la danse classique est basée sur l’apparence. Il faut être acharné, avec de la rigueur, de l’endurance pour suivre toutes les répétitions. Et aussi, il faut passer un maximum de concours, pour se faire repérer.

Le métier de chorégraphe : c’est autre chose. La danse classique est devenue néoclassique et très contemporaine. Il suffit presque d’avoir une histoire à raconter, des danseurs et… des subventions !
Pour enseigner, il faut obtenir le diplôme d’État. Savoir corriger et montrer le juste mouvement. Transmettre, créer chaque exercice et respecter une progression, sans jamais s’ennuyer. Dans l’idéal, inventer sa propre méthode pédagogique, comme je l’ai fait en créant "Barre au sol chorégraphique", déposée en 2014. C’est un métier de passion : si on s’ennuie pendant les cours, il faut arrêter !
Biographie express
1978 : naissance à Renaix, en Belgique.
1988 : repérée par Daniel Franck (professeur à l’École de danse de Paris) lors d’un stage à Thonon-les-Bains (74).
1990 : devient petit rat, à l’Opéra de Paris.
2000 : diplômée d’État en danse classique.
2009 : première mise en scène en tant que chorégraphe et interprète.
2014 : dépose sa méthode de "Barre au sol chorégraphique" pour adultes. Organise de nombreux stages internationaux à Paris, Bruxelles et Tokyo.

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