Flore, 27 ans : "J'ai dessiné l’affiche du Festival de Cannes"
Son parcours scolaire est atypique, son destin professionnel hors norme. Zoom sur Flore Maquin, la jeune graphiste lyonnaise qui a maquetté l'affiche de l'un des plus importants festivals de cinéma au monde, celui de Cannes.
"Voilà, j’aimerais que tu réfléchisses à l’affiche du Festival de Cannes." Dans les minutes qui ont suivi le coup de téléphone, Flore Maquin s’est répétée cette phrase pour s’assurer qu’elle l’avait bel et bien entendue. La jeune graphiste de 27 ans n’a pas rêvé. Thierry Frémaux, le délégué général de l'événement, lui a demandé de maquetter l’affiche la plus attendue et la plus commentée de France. Le défi est énorme.
Le Festival de Cannes lui a donné carte blanche. Première étape : dénicher une image emblématique, comme le portrait d’un acteur, la photographie d’un tournage ou d’une scène de film. Passionnée de cinéma, la jeune Lyonnaise farfouille dans sa mémoire avant de lancer des recherches sur Google images.
Après plusieurs jours d’investigation, elle tombe sur un cliché relativement peu connu signé Georges Pierre. Le photographe de plateau a immortalisé – sur le tournage du film culte "Pierrot le fou", de Jean-Luc Godard – le baiser à la volée de deux monstres du cinéma français, Anna Karina et Jean-Paul Belmondo. Flore tombe sous le charme de cette photo, qui évoque à la fois "l’amour du cinéma et l’amour dans le cinéma".
Stylet numérique ou baguette magique ?
"Réaliser une maquette, c’est un peu comme assembler un puzzle", compare Flore. L’affiche qui sera placardée tout le long de la Croisette doit nécessairement comporter quelques informations pratiques, comme la date du festival (8-19 mai 2018), le logo (la fameuse feuille de palmier) et bien évidemment le nom de l’événement (71e Festival de Cannes). À l'aide de sa tablette graphique, des logiciels InDesign et Photoshop, version 2.0 du papier et du stylo, Flore déplace ces différents éléments sur la photo des deux amants.
Son stylet numérique agit comme une baguette magique. Elle modifie le style, la taille et la couleur des inscriptions. Elle fait disparaître la route sablonneuse et les arbres qui se trouvent sur la photo d'origine, avant de les remplacer par des couleurs criardes. "L'œil se focalise ainsi sur l'action principale, à savoir le baiser. Le orange et le bleu apportent une touche solaire", décrit Flore à la manière d'une critique d'art.
L'affiche est dévoilée au grand public le 11 avril 2018, avec cette légende : "C'est une femme et un homme qui s'embrassent". À l'heure où nous écrivons ces lignes, le visuel de l'édition 2018 totalise plus de 30.000 "j'aime" sur Instagram, ainsi que des commentaires élogieux de certaines stars internationales, comme Marion Cotillard.
Du tourisme au graphisme
Comme beaucoup de lycéens, Flore a choisi son orientation en se disant : "Pourquoi pas ça". Après un bac ES (économique et social), elle se retrouve, sans vocation, en BTS (brevet de technicien supérieur) "animation et gestion touristique et locale" au lycée Clovis-Hugues d’Aix-en-Provence. "Le tourisme m’a fait découvrir le graphisme, ce n’est donc pas du temps de perdu", tient-elle à préciser. En cours, Flore délaisse l’aspect rédactionnel des circuits touristiques pour soigner le design des brochures.
À l’issue de son BTS, Flore est "dans une impasse ". Son profil atypique ne lui permet pas d’intégrer une école de graphisme publique : elle a uniquement étudié le tourisme et son book comporte essentiellement des flyers et des affiches touristiques réalisés dans le cadre d’un stage pour la commune de Lambesc, sa ville natale. Le jury des écoles lui recommande de s’inscrire en prépa ou en MANAA (mise à niveau en arts appliqués), et donc de reprendre ses études à zéro. Mais elle a une bien meilleure idée…
Flore a identifié une école privée susceptible de lui plaire : Sup de pub Lyon. Son plan est à la fois simple et audacieux : postuler à la troisième année de communication, accessible à différents profils, pour convaincre le jury de lui ouvrir les portes du cursus création – qui mène notamment au métier de graphiste. Le jour de l’oral d’admission, Flore tente le tout pour le tout devant des enseignants médusés : "En fait, je ne suis pas ici pour la communication. J’ai mon portfolio avec moi, j’aimerais passer l’oral de création". La directrice de l'établissement apprécie le culot et la motivation de cette candidate qui n’a apparemment pas le profil souhaité. Elle décide de lui donner une chance.
En haut de l'affiche
Une chance, c’est tout ce qu’il fallait à Flore pour se lancer et faire parler d'elle. Après l'obtention de son Bachelor, elle fait un stage de trois mois au pôle création de l'Institut Lumière, une association lyonnaise qui organise son propre festival de cinéma. Les affiches et les flyers réalisés par la nouvelle recrue séduisent rapidement le directeur général de l'Institut, un certain Thierry Frémaux. Flore est embauchée en tant que graphiste en chef après deux courtes périodes en CDD (contrat à durée déterminée).
Elle restera trois ans à l'Institut Lumière, avant de se mettre à son compte et de connaître "un buzz phénoménal" avec ses "digital paintings", des portraits d'acteur et des affiches de film revisités sur Photoshop. Le magazine "Elle", le site Internet HuffingtonPost, et même l'éditeur de logiciels graphiques Adobe, lui consacrent un article.